Ces aliments adulés, puis diabolisés, avant d’être réhabilités
Selon les époques, les croyances et tendances alimentaires diffèrent. Des aliments autrefois décriés sont à présent encensés. Et vice versa. Les connaissances scientifiques progressent, expliquant en partie ces revirements parfois surprenants. Et sans doute des adages d’aujourd’hui n’auront-ils plus cours demain. Lait, viande, féculents, gluten, beurre... petit état des lieux.
Publié le 09-02-2015 à 21h21 - Mis à jour le 10-02-2015 à 18h11
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Selon les époques, les croyances et tendances alimentaires diffèrent. Des aliments autrefois décriés sont à présent encensés. Et vice versa. Les connaissances scientifiques progressent, expliquant en partie ces revirements parfois surprenants. Et sans doute des adages d’aujourd’hui n’auront-ils plus cours demain. En attendant…
Des modes aux effets délétères
Depuis que j’ai supprimé le gluten de mon alimentation, je me sens beaucoup mieux", nous confiait il y a peu un fier quinquagénaire. Y avait-il une véritable raison justifiant cette éviction ? Souffrait-il, le malheureux, de cœliaquie ? Non, du tout, mais il avait lu, vu, entendu, et donc cru qu’en adoptant ce nouveau régime alimentaire, il retrouverait une forme olympique… Et de fait, grand bien lui fasse donc.
Dans le cas présent, peu de danger pour autant que les aliments exempts de gluten aient bien été remplacés par d’autres, équivalents en terme d’apports nutritifs. Cela, afin de conserver une alimentation équilibrée sur le plan nutritionnel.
Car si, oui, on peut vivre sans gluten et sans mettre sa santé en danger, certaines modes alimentaires ont parfois des effets délétères. Avant cette tendance au "sans gluten", on a connu au cours du siècle dernier, nombre de tendances et croyances qui ont circulé, se sont installées avant d’être bafouées. Il y en a eu, des aliments adulés, puis diabolisés avant d’être réhabilités.
Avec le Dr Anne Boucquiau, médecine nutritionniste et responsable de la prévention au sein de la Fondation contre le cancer, nous en avons passé en revue cinq d’entre eux : le lait, le beurre, les féculents, la viande et le gluten.
Petit état des lieux en l’état des connaissances actuelles.
Le lait
Une grande confusion avec le lactose
La vague anti-lait a déferlé dans les années 60, déjà. Son origine vient d’associations de défense du bien-être animal aux Etats-Unis, qui ont trouvé là un angle d’attaque pour s’insurger contre les conditions d’élevage des bovins. Des gourous se sont emparés du sujet et le lait a alors été accusé de tous les maux : la consommation de lait est associée à des problèmes ostéo-articulaires et tendineux, d’allergies, mais aussi à des maladies graves comme la sclérose en plaques ou le cancer… On dit que le lait acidifie le sang. Chez nous, cette vague est arrivée fin des années 90, début des années 2000 avec une grande confusion dans les accusations. On sait maintenant que le lait et les produits laitiers ont un effet protecteur par rapport au cancer colorectal. Par contre, une étude américaine suspecte qu’à des doses 2 à 3 fois supérieures à celles recommandées, il soit associé à une augmentation du cancer de la prostate. Au niveau cardiovasculaire, le lait a été innocenté. Des avantages du lait et des produits laitiers ont même été mis en évidence au niveau de l’hypertension artérielle et du syndrome métabolique. Notamment riche en calcium, qui est en plus bien assimilé, il joue un rôle protecteur contre l’ostéoporose.
Une énorme confusion règne au sein du public. Certaines personnes croient être allergiques au lait (aux protéines de lait de vache, en l’occurrence) alors qu’en réalité elles ont une intolérance au lactose qui sont deux choses très différentes. Si l’allergie aux protéines est rare chez l’adulte, elle est assez fréquente chez l’enfant mais la plupart du temps, elle disparaît spontanément vers l’âge de 2 ans. Quant à l’intolérance au lactose, elle est relativement fréquente. Il s’agit d’une intolérance au sucre contenu dans le lait, qui peut être objectivée par un test. Il suffit alors d’être vigilant afin d’éviter l’inconfort gastrique, intestinal…
Autre avertissement : il ne s’agit surtout pas de croire que l’on peut remplacer du lait de vache par un lait végétal (de châtaigne, d’amandes…) qui n’a de lait que le nom. Ce sont des jus, qui peuvent avoir leur intérêt, mais qui n’ont pas du tout la même composition que le lait, en calcium, protéines…
La viande
Petite quantité et de grande qualité
Portée aux nues après la Première Guerre mondiale, cet aliment "noble" a payé des décennies plus tard les frais de sa consommation devenue excessive. Fort décriée ces derniers temps, notamment pour ses effets néfastes sur l’environnement et l’augmentation des maladies cardiovasculaires (car s’il y a des viandes maigres, il y en a aussi d’autres qui sont très grasses et qui enrichissent la teneur en lipides de la ration alimentaire), la viande rouge regroupe toutes les viandes à l’exception de la volaille. Une viande "blanche", comme le veau ou le porc, est donc bien comprise dans la viande rouge.
Outre les effets néfastes des viandes grasses au niveau cardiovasculaire, on a aussi mis en évidence un lien entre une consommation hebdomadaire de viande rouge supérieure à 500 g et le cancer colorectal. Mais ici intervient aussi la qualité de la viande (viandes hachées, texturisées, bourrées de conservateurs à base de sels nitrés sont davantage incriminées). Ne parlons pas de la charcuterie : le moins est le mieux. Le mode de cuisson intervient également : il faut limiter les cuissons au barbecue et éviter de faire caraméliser la croûte, car la réaction de Maillard qui en découle est liée à la production de substances cancérogènes. Par ailleurs, le fer héminique contenu dans la viande aurait aussi un effet pro-oxydant, donc délétère au niveau de la carcinogenèse.
En revanche, associer la viande à des herbes aromatiques, de l’ail, une grande quantité de légumes… fait diminuer ce risque de cancer colorectal.
En conclusion : consommer un petit peu de viande (de préférence maigre) de très bonne qualité est bénéfique pour ses apports en protéines, vitamine B1, fer, zinc…
Les féculents
A la base de notre alimentation
Massacrés dans les années 80, les féculents ont aussi été pointés comme les causes importantes de surpoids. Le message d’alors était : pour maigrir, bannissez les féculents de votre alimentation. Or, les féculents sont un excellent fournisseur d’énergie. Si l’on considère les féculents, les fruits et légumes, en terme de glucides et de fibres, on recommande d’avoir 50 à 55 pc de sa base alimentaire sous forme de sucres complexes ou de féculents. Ils constituent donc notre base alimentaire. Ceci est à moduler, évidemment, en fonction de l’activité physique. Cette source d’énergie va se transformer en glycogène dans les muscles, faire de bonnes réserves qui vont se diffuser beaucoup plus lentement dans l’organisme. L’apport sera différent pour un sportif ou un bûcheron et une personne plus sédentaire, qui passe sa journée derrière son PC. Les besoins sont donc différents et cela doit rester proportionnel aux dépenses. Les féculents sont aussi un très bon fournisseur de calories pour le cerveau qui ne fonctionne qu’avec du sucre. En outre, la consommation de féculents ne risque pas d’entraîner des maladies métaboliques particulières.
Cela dit , plus que l’apport de calories qui n’est même pas si important, c’est la façon dont les féculents sont préparés qui peut poser problème : des frites ne sont pas équivalentes à une pomme de terre vapeur ! Sans compter les garnitures qui sont souvent caloriques…
Le conseil du médecin nutritionniste : plutôt que les aliments raffinés, il faut favoriser les féculents complets (pain, pâtes, riz, céréales…). En plus de leur richesse en fibres et sels minéraux, ils rassasient davantage. On peut donc dire : féculents à tous les repas, y compris le soir, sans aucun problème !
Le gluten
De l’intolérance à la véritable allergie
Il s’agit de la partie protéinée de certaines céréales (blé, orge, épeautre, seigle…). Alors qu’aujourd’hui le "sans gluten" est à la mode, il fut une époque où, dans le cadre de certains régimes amincissants, on enrichissait de gluten des pains de façon à augmenter la proportion glucides/protéines. Fin des années 2000, dans la vague bio, est apparue cette mode où le gluten a, lui aussi à son tour, été accusé de tous les maux, davantage liés à de l’inconfort et principalement aux symptômes associés au côlon irritable (ballonnements, fatigue, maux de tête)… Les personnes qui ressentent ces désagréments prétendent qu’en supprimant le gluten de leur alimentation, elles se sentent mieux.
Il ne faut cependant pas confondre ces personnes avec les malades coeliaques, lesquels font une réaction immunitaire au niveau de la paroi intestinale quand ils sont en contact avec la glutéine. Cela a pour effet de complètement laminer au niveau intestinal la bordure en brosse qui est très importante car elle augmente considérablement la surface d’absorption des aliments. Le fait que cette surface est réduite chez ces patients entraîne des syndromes de malabsorption, avec pour conséquence des carences en fer, notamment. Pour ces personnes, le seul traitement est l’éviction totale et très stricte du gluten de leur alimentation.
En revanche, pour une personne qui n’est pas allergique au gluten, le supprimer de son alimentation n’a pas véritablement de fondement, mais si elle s’en porte mieux, pourquoi pas ? Cela ne présente pas non plus de danger pour autant qu’elle ne déséquilibre pas son alimentation par ailleurs. Remplacer du pain par du pain sans gluten, par exemple. Le danger de ce genre de mode est en effet d’arriver à des régimes restrictifs sans raison. L’autre danger étant que l’on banalise ce phénomène et que les véritables malades ont alors du mal à se faire entendre, dans les restaurants par exemple. Car pour eux, il s’agit non pas de confort ou de mode, mais de quelque chose d’essentiel pour leur santé !
Le beurre
Bon avec modération
Complètement dénigré dans les années 80 au profit des margarines végétales, principalement pour le risque accru de maladies cardiovasculaires, le beurre était en effet considéré comme "la" source de cholestérol, et donc le grand responsable de l’hypercholestérolémie, mais aussi d’hypertension artérielle. Fin des années 2000, revirement. Depuis, le beurre a en effet été fortement réhabilité avec quelques nuances, en l’occurrence pour les personnes qui n’ont pas nécessairement de problème cardiovasculaire. Pourquoi cette réhabilitation ? Avant, il y avait un paradigme assez simple : les graisses insaturées sont bonnes pour la santé et les graisses saturées sont mauvaises. Cette analyse des lipides a été beaucoup affinée. Récemment, des études ont fait apparaître qu’une consommation de lait et produits laitiers a un effet protecteur au niveau du syndrome métabolique, au niveau cardiovasculaire et même du diabète de type 2. Or, les graisses de ces produits sont les mêmes que celles du beurre.
En conclusion : on peut tout à fait consommer du beurre, notamment cru ou fondu, dans une alimentation équilibrée; cet aliment ne doit pas être banni.
Le conseil : il faut varier ses sources de lipides. Chaque huile a ses avantages et ses inconvénients, tout comme le beurre, qui est notamment source de vitamine A, D…