Hyperactivité, la maladie inventée par Big Pharma?
L’industrie pharmaceutique aurait-elle créé cet ensemble de symptômes pour écouler ses molécules ? Du psychomarketing ? C’est un peu la thèse de Patrick Landman, psychiatre français, qui reconnaît cependant la souffrance réelle de certains enfants
Publié le 13-02-2015 à 18h28 - Mis à jour le 15-02-2015 à 08h53
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Et si le TDA/H, ou trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, n’était finalement que pure invention de l’industrie pharmaceutique pour écouler ses molécules ? Une pseudo-maladie, en quelque sorte. C’est en résumé la vision, en réalité un peu plus nuancée, de Patrick Landman, psychanalyste français qui vient de publier "Tous hyperactifs ?", l’incroyable épidémie de troubles de l’attention (Albin Michel, 17€).
Si ce n’est pas une maladie, le TDA/H, c’est quoi, selon vous ?
C’est une construction sociale. Ce n’est en tout cas pas une maladie dans le sens où il y aurait une validation scientifique. Que ce soit en génétique moléculaire ou générale, en neurochimie ou en neuro-imagerie, rien pour l’instant ne vient attester la preuve de l’existence de cette "pathologie". Ceux qui parlent de maladie neurologique ou neurodéveloppementale prennent leur hypothèse pour une réalité ; c’est une forme de tromperie par rapport au public à qui il faut dire la vérité : il n’existe, pour l’instant, aucune validation scientifique du TDA/H.
Pourquoi alors le TDA existe-t-il ?
Parce que c’est la réunion de trois grands groupes de symptômes : l’hyperactivité, l’impulsivité et les troubles de l’attention. Pourquoi les avoir réunis ? Parce qu’ils sont la cible privilégiée d’un médicament, le méthylphénidate (Concerta, Rilatine…) qui, à court terme, produit un effet sur le cerveau, aidant à la concentration et amenant à un certain apaisement.
Quand vous dites que le TDA/H n’existe pas en tant que maladie, on ne peut toutefois pas nier l’existence des symptômes ?
Bien entendu. Et je les rencontre tous les jours dans ma pratique de psychiatre et psychanalyste. Ce n’est pas la question. Mais c’est le regroupement de ces symptômes qui est fait pour des opérations de psychomarketing plutôt que des opérations scientifiques. On vend le TDA/H, et en le vendant, on assure l’avenir du médicament anti-TDA/H. C’est une propagande que les laboratoires pharmaceutiques poussent. Les ventes de méthylphénidate sont passées aux Etats-Unis de 80 millions de dollars à plus de six milliards de dollars ces dernières années ! On voit donc bien l’intérêt financier qu’il y a à maintenir cette idée du TDA/H et à prescrire le plus possible.
L’industrie pharmaceutique est-elle l’unique responsable ?
Non, il y a aussi des acteurs sociaux qui poussent à la promotion de cette soi-disant maladie. Il y a d’abord les familles, dépassées par des enfants qui ont des troubles du comportement ingérables, mais aussi les enseignants… Du coup, on a tendance à psychiatriser ce genre de symptômes et à considérer que cela vient du cerveau. En plus, quand on donne un diagnostic TDA, souvent, cela soulage les familles, rassurées que l’on ait enfin trouvé la "maladie" de l’enfant. Et donc l’espoir de le guérir.
Comment les médecins posent-ils le diagnostic ?
C’est un diagnostic très difficile à faire, à poser avec beaucoup de prudence. En réalité, on fait des tests, très subjectifs et très peu spécifiques, où l’on demande notamment aux parents et aux enseignants de faire un relevé de comportements. En outre, il y a un entretien purement comportemental. Depuis la suprématie de la méthode diagnostique américaine ("Diagnostic Manual of Mental Disorders"), on ne s’intéresse plus qu’au comportement. On ne s’intéresse plus au contexte ou à l’histoire de la famille. Sur la base de ce relevé de comportements, on pose donc un diagnostic hasardeux dans lequel on va retrouver des enfants qui effectivement ont des troubles importants d’hyperactivité ou de l’attention, mais cela peut être des enfants épileptiques, immatures, qui ont une encéphalite ou simplement qui regardent beaucoup trop les écrans…
Dans quelle mesure peut-on envisager de donner une médication ?
Lorsque les symptômes deviennent trop gênants, et si les mesures éducatives, pédagogiques, psychothérapiques ne marchent pas, on peut alors envisager une médication qui va permettre d’apaiser une situation. Il faudrait réserver les prescriptions à ceux qui en ont vraiment besoin et toujours les accompagner d’un certain nombre de mesures.
Que sait-on des éventuels effets à long terme ?
On ne connaît pas, à l’heure actuelle, les risques à long terme sur les cerveaux d’enfants. Il y a des études en cours, mais elles n’ont pas encore été publiées et il est donc trop tôt pour se prononcer. Cela dit, il y a des contre-indications à prescrire ce médicament qui sont les risques de troubles cardiaques, cérébro-vasculaires, l’épilepsie, l’anorexie, les troubles du sommeil et, surtout, le retard staturo-pondéral. Et lorsque se manifestent ce type d’effets secondaires, il faut immédiatement arrêter le traitement.
En conclusion, le TDA/H serait une mode ?
Oui, c’est une mode qui va passer. Il y a eu l’époque où nous étions tous bipolaires ou dépressifs. Il y aura d’autres constructions sociales. Le "Sluggish Cognitive Tempo", qui qualifie des enfants manquant de réactivité, est déjà une nouvelle maladie qui se trouve dans les tiroirs des laboratoires pharmaceutiques, car il semble qu’il y ait déjà des molécules qui vont pouvoir cibler ce type de pathologie. Si j’étais chimiste avéré, j’essaierais de synthétiser une molécule proche de l’alcool, qui désinhibe juste ce qu’il faut, qui "désangoisse" et rend un peu euphorique, mais sans avoir les effets secondaires de l’alcool. Je ne pourrais pas la prescrire comme anxiolytique parce qu’elle n’est pas assez puissante, ni comme anti-dépresseur… Il faudrait donc trouver une maladie qui permette d’écouler ce produit. Cela pourrait, par exemple, être une maladie qui affecte les gens un peu inhibés, un peu dépressifs et un peu anxieux. Autrement dit, 99 % de la population !
Je caricature, j’ironise, mais c’est à peu près la méthode qui a cours actuellement en psychiatrie.
Il nous a aussi dit…
Patrick Landman : Je pense que je suis là pour soigner, pas pour normaliser. Ou pour donner un opium artificiel à des cerveaux d’enfants ou d’adolescents.
Maladie bidon. La fibromyalgie est aussi une maladie bidon ; elle n’a, à ma connaissance, reçu aucune confirmation scientifique. Très longtemps, la fibromyalgie a d’ailleurs été diagnostiquée dans le cadre de l’hystérie. Si les symptômes existent vraiment et que l’on en souffre, il faut essayer de les soulager. […] L’appellation que l’on donne est trompeuse, variable et construite socialement. Ce qui compte, c’est de s’occuper des gens, de leurs souffrances. Si les médicaments permettent de calmer leurs souffrances, je n’y suis pas opposé.
Bullshit. On pourrait l’appeler aussi bien TDA/H que "bullshit", cela ne me dérange pas, mais que l’on ne vienne pas me vendre le TDA/H comme une maladie neurodéveloppementale ou neurologique. Ce n’est pas vrai et aucune validation scientifique n’est à l’ordre du jour. Ceux qui attendent les marqueurs biologiques du TDA/H auront autant de temps à patienter que ceux qui attendent le Messie.
Je m’incline devant… Moi, je ne m’incline que devant les découvertes scientifiques. Et pas devant les idéologies, les dogmes et tout ça…
Pure invention. Il y a en effet des maladies qui sont inventées pour pouvoir écouler un certain nombre de produits pharmaceutiques.
Témoignage d’un instituteur: "Les élèves sont davantage agités qu’auparavant"
Ecole. Des enfants incapables de répondre aux demandes malgré les rappels à l’ordre, de rester posés sur leur chaise dans une attitude physique de travail, qui seuls face à une feuille de dix questions n’en répondent à aucune... C’est ainsi qu’Alfred De Decker, 34 ans de carrière en première et deuxième primaire, décrit les enfants hyperactifs. "Il y a beaucoup d’enfants qui sont très actifs, ou se comportent ainsi occasionnellement, mais les trois enfants hyperactifs que j’ai eus dans ma classe avaient cette attitude quasi en permanence. Ceux-là étaient plus turbulents qu’il n’est acceptable dans une classe", explique cet instituteur au collège Saint-Michel de Jette. En observant ce comportement, il "a tiré la sonnette d’alarme". Il avait déjà entendu parler de la Rilatine et a pris contact avec les parents, en leur demandant de vérifier si leur enfant n’étaient pas atteint du TDA/H. Après visite chez le neuropsychiatre, il s’est avéré que c’était bien le cas. Résultat : le changement, après la Rilatine, a été marquant dans l’un des cas - l’enfant parvenait à terminer sa tâche et ses "points" étaient meilleurs - pas du tout dans les deux autres. "Je pense que ces enfants n’ont pas pris leurs médicaments régulièrement." L’instit est certain que les enfants "médiqués" ne l’ont pas été abusivement. "Mon seuil de tolérance est élevé. L’enfant a le droit d’être un enfant, et d’être différent ! Et je ne me permettrais jamais de dire aux parents : donnez de la Rilatine à vos enfants. Je ne me substitue pas au médecin. D’ailleurs, il est arrivé que je conseille une visite chez le médecin et que l’enfant ne soit au final pas diagnostiqué hyperactif." Mais il convient que les risques d’abus peuvent exister, vu que les profs se trouvent face à de grosses classes, avec des élèves dans l’ensemble plus actifs, agités qu’auparavant, et davantage d’enfants à la limite de l’hyperactivité (même si selon lui le taux d’enfants réellement hyperactifs reste stable) : "Ils ont un déficit d’attention et un manque total d’autodiscipline, il faut rappeler à l’ordre dix fois avant de commencer la leçon, par exemple ! " Pour l’instit, c’est un effet induit par la société : les parents stressés font des enfants stressés qui, traînés d’activité en activité, n’ont plus de vrai temps libre. On est exigeant avec eux. L’instituteur se souvient ainsi de parents d’un élève qui avaient eux-mêmes réclamé la Rilatine pour leur fils, simplement car il se battait dans la cour et avait de mauvais résultats scolaires. Sous pression, le médecin de famille avait accepté. Et la Rilatine n’a eu que l’effet de rendre l’enfant plus amorphe qu’avant...
Témoignage d’une maman: Guillaume a beaucoup de mal à gérer ses émotions
Appel à l’aide. Avec ses boucles blondes et son regard déjà ravageur, Guillaume a tout l’air d’un ange. Mais du haut de ses "bientôt 12 ans", c’est parfois un petit démon qui sort de ce corps. "A son entrée en maternelle, c’était déjà un enfant plus agité, plus nerveux que les autres. Pour certaines institutrices, ses débordements étaient très compliqués à gérer", nous raconte sa maman, qui refusera de faire entrer son fils dans l’enseignement spécialisé - comme on le lui avait conseillé - mais qui acceptera en revanche de le faire suivre par un psychomotricien et un psychologue. Lorsqu’il entre en première primaire dans la classe d’un instituteur réputé pour bien cadrer les enfants plus turbulents, "cela s’est vraiment bien passé ; il avait pris un bon départ, nous confie encore sa maman, jus qu’à la 3e primaire, où il commence à avoir des débordements lors des récréations, au point d’un jour griffer une institutrice, qui voulait séparer les deux enfants en pleine bagarre". Ce qui fait sortir le gamin de ses gonds ? La loi qui change, l’injustice… Guillaume a vraiment "un problème au niveau de la gestion des émotions". Il est alors capable de violences verbales et physiques surprenantes. Craignant que leur enfant "se désocialise et ne puisse plus s’intégrer dans le système", les parents décident d’aller consulter. "J usque-là, je me disais que mon enfant était très turbulent. De là à mettre un nom - TDA/H - sur ce comportement et se l’entendre dire - ce fut difficile mais à la fois un soulagement - alors que cela relève quand même de la pathologie…" Lorsque, suite à des tests chez la logopède, Guillaume interroge : "Est-ce que vous allez pouvoir m’aider ?", la maman prend vraiment conscience de la souffrance de son fils. Une neuropédiatre lui prescrira dans la foulée de la Rilatine, en plus d’un suivi psychologique. "Cela lui permet vraiment de prendre une distance par rapport à ses émotions et de diminuer son agressivité. On le fait dans l’idée qu’il soit acteur et prenne ce médicament avec raison, comme une aide quand nécessaire. J’estime que ça l’aide à bien fonctionner dans les moments difficiles et à s’insérer socialement. Je ne pense pas vraiment aux effets secondaires à long terme. Pour moi, l’important est que son quotidien se passe bien maintenant, qu’il puisse gérer les choses. Et s’il faut un médicament pour cela, en plus de l’accompagnement psychologique, cela nous laisse espérer dans la durée que ce trouble va disparaître, sans doute à l’adolescence."