Danse avec Parkinson
Les bénéfices thérapeutiques de la danse commencent à être démontrés scientifiquement chez les patients atteints de la maladie de Parkinson. Cette activité permet d'améliorer l'amplitude des mouvements. Mais elle joue aussi un rôle social et de partage non négligeable. Reportage.
- Publié le 06-03-2015 à 19h06
- Mis à jour le 08-03-2015 à 09h10
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"Ce que je voudrais, c’est juste que vous vous amusiez. Peu importe que vous soyez ou non dans le rythme. Allez, c’est parti !" Professeur de danse-thérapie, Aline Schurgers envoie la musique - folklorique et très entraînante en l’occurrence - et rejoint aussitôt la ronde de ses danseurs, prenant par la main deux d’entre eux.
Ce jeudi en fin d’après-midi, il y a Marie-Paule, Marcella, Armelle, Bernadette, Anthony, Daniel et Marcel. Du "bon" quinqua à la septuagénaire, en passant par une majorité de sexagénaires, tous atteints de la maladie de Parkinson. Pieds nus ou en chaussettes, sur le tapis plain de cette salle du centre de Bruxelles, ils emboîtent le pas, plus ou moins assuré selon les cas. On perçoit un léger tremblement d’une main, certaines raideurs chez les uns, alors que d’autres prennent un manifeste plaisir à des déhanchés du plus bel effet et d’amples mouvements de bras, gracieux jusqu’au bout des doigts.
On s’applique, mais on sourit la plupart du temps. Souvent même, on rigole ; surtout quand on se trompe de sens ou de mouvement. Et alors, on se lance une affectueuse petite réflexion.
Il faut dire que la jeune prof de danse-thérapie a l’art de mettre ses élèves à l’aise. "Youhooo, hey ! Cinq pas vers la gauche, cinq à droite ; trois pas en avant, trois pas en arrière. Concentrez-vous sur vos pieds. […] N’oubliez pas d’onduler la colonne. Amusez-vous. Détachez-vous du rythme. Ça va pour tout le monde ? Marie-Paule, c’est O.K. pour toi ? Cool. Allez, on danse en couple, maintenant !"
Un ballet pour l’amour du mouvement
Sur la piste, il s’agit cependant de s’organiser et de prendre ses repères car c’est aujourd’hui la dernière répétition en petits groupes avant la générale, ce samedi, qui précédera la grande représentation de dimanche (Voir encadré). Ce 8 mars en effet, dans le cadre du projet Kinesiphilia (littéralement "amour du mouvement"), se déroulera le premier ballet en Belgique par des personnes atteintes de la maladie de Parkinson.
Ils et elles seront ainsi une centaine à participer à ce beau projet préparé pendant de longs mois.
"Les gestes que l’on fait vous semblent peut-être anodins, nous confie Daniel, mais pour les intégrer et arriver à tout bien coordonner, il nous a fallu beaucoup travailler. La symétrie des gestes, ce n’est pas si facile pour nous. La danse et la musique nous apportent le rythme que l’on n’a pas avec les séances de kiné, de gym ou de yoga. Cela aide dans nos problèmes d’équilibre. En venant ici, on espère prolonger ce que l’on appelle la ‘lune de miel’, qui est la période en début de traitement où l’effet est maximal. Puis, on apprend aussi à nous montrer…"
Car outre les bénéfices physiques de cette activité, il y a tous les aspects sociaux et psychologiques. "C’est chouette, ici, on rencontre des gens et l’on se retrouve d’ailleurs pour d’autres activités, des balades en forêt, des expositions, des visites ou un restaurant. C’est bon pour le moral", nous disent en chœur ces danseurs et danseuses très enthousiastes.
Mais quand on est ici, on évite de parler de la maladie. Il y a les jours avec et les jours sans, et même les moments de la journée où cela va et ceux où l’on se bloque. Mais quoi qu’il en soit, après la séance de deux heures dedanse, "on se sent toujours mieux qu’avant, même si parfois on est bien fatigué", ajoute la joviale Armelle, 75 ans.
Telle la kiné, en traitement adjuvant de la maladie
Instigateur du projet Kinesiphilia, une association qui vise à améliorer le quotidien des personnes vivant avec la maladie de Parkinson, le Dr Olivier Bouquiaux, neurologue de Vivalia à Libramont, est intimement convaincu que la danse peut contribuer à soigner les malades atteints de Parkinson, à défaut de les guérir. "La danse a des vertus rééducatives tout à fait adaptées aux problèmes du malade atteint de Parkinson, nous dit-il. Depuis très longtemps, on sait qu’une musique rythmée peut aider ces patients à se débloquer, à mieux bouger… Je suis persuadé que ce type d’approche peut modifier l’histoire naturelle de la maladie ".
Raideur, lenteur et tremblements
La maladie de Parkinson donne des troubles du mouvement, parfois de façon excessive, le plus connu étant le tremblement de repos (souvent asymétrique au début de la maladie), ou alors, très fréquent, le syndrome akinéto-rigide. "Dans ce cas, les patients ont une pauvreté du geste, ils perdent tous leurs mouvements automatiques, comme le ballant pendant la marche, explique le neurologue. Ces patients, aux gestes devenus très lents, développent une raideur qui limite l’amplitude de leurs mouvements et les met dans une position en hyperflexion de tout le corps. La posture du parkinsonien se traduit en effet généralement par une attitude en flexion vers l’avant.
La danse permet donc de travailler tout ce qui est augmentation d’amplitude du mouvement, difficulté de retournement, extension des bras… A l’aide de la musique, elle permet au patient de reprendre possession de l’espace et de son corps".
Même s’ils doivent encore être mieux réévalués, les bénéfices thérapeutiques commencent à être démontrés, au point que, dans les récentes lignes de conduite européennes de prise en charge du Parkinson, la danse fait à présent partie du traitement adjuvant de la maladie, au même titre que la kiné ou l’entraînement sur tapis de course. Selon les publications, le tango et les danses folkloriques (de type danse irlandaise) sont particulièrement conseillés.
L’ambiance de ces séances de danse, qui durent au minimum une heure et souvent même deux heures, ne donne pourtant pas l’impression qu’il s’agit vraiment d’un travail… "Elles se déroulent en effet dans une ambiance qui est plutôt ludique et joyeuse, confirme le Dr Bouquiaux. On oublie qu’on est malade ; on met ses problèmes entre parenthèses.
Le facteur collectif donne en outre une dimension sociale d’échange et de partage qui est vraiment essentielle pour le patient parkinsonien. Si je pense en effet que la dynamique de groupe joue un grand rôle, il est aussi important que ces séances se déroulent en dehors de l’hôpital et non avec des soignants ‘purs’ en blouse blanche mais bien avec des profs de danse (personnes qui connaissent le mieux la nature du mouvement) formés de manière professionnelle. Et s’il y a, en outre, un but, comme le spectacle, c’est un plus, mais ce n’est pas non plus indispensable".
Se montrer et non se cacher
Se montrer n’est en effet pas toujours simple pour les patients parkinsoniens. "Souvent, au moment du diagnostic, c’est un patient qui a tendance à dissimuler sa maladie, qui en a un peu honte par rapport à l’image véhiculée. A l’annonce du diagnostic, l’attitude est souvent de se cacher alors qu’au contraire, il faut sortir de chez soi, avoir des activités où l’on travaille presque abusivement à sa mobilité pour lutter contre la tendance naturelle de la maladie qui est la réduction de toute forme de mouvemen t."
Bénéfique sur le plan physique, au niveau de la mobilité - et ce, d’autant plus que l’activité est commencée aux premiers stades de la maladie alors que l’on est encore asymptomatique - la danse l’est donc aussi sur le plan psychologique. "La danse, lorsque associée à la musique, stimule tant l’activité mentale que physique et connecte le corps à l’esprit, atteste le spécialiste. La fluidité des mouvements, la conscience de l’espace, l’équilibre ainsi que les capacités musculaires s’en voient ainsi grandement améliorés. Mais plus encore, en effet, les participants reprennent confiance en eux, refont des projets, retrouvent l’envie de vivre… Car il n’y a pas que l’amélioration de l’amplitude du mouvement qu’il faut voir ici, il y a aussi tout le mieux-être du patient : Est-il plus sûr de lui ? ; A-t-il envie de refaire des projets ? ; De sortir à nouveau ? ; A-t-il moins honte de lui ? ; Développe-t-il une certaine fierté par rapport à ce qu’il arrive à faire ? Tout cela est extrêmement important".
Kinesiphilia se veut être "un point de départ et non un point d’orgue vers la promotion de la danse comme adjuvant thérapeutique". Ses ambitions : changer l’image souvent stigmatisée des parkinsoniens auprès du plus grand nombre, associer des patients à un projet aussi créatif que collectif qui redonne à ceux-ci l’envie de rester socialement et physiquement actifs, créer des ateliers de danse adaptés à plus grande échelle, ainsi que sensibiliser les patients, leur entourage et les pouvoirs publics à l’importance de ces approches ludiques et de leur bénéfice thérapeutique.
Dimanche à Libramont
L’association Kinesiphilia a pour but d’améliorer le quotidien des patients parkinsoniens au travers de la danse et de la musique. L’idée de créer un spectacle et de le filmer pour diffusion vise à bouleverser le spectateur afin qu’il ressorte mieux informé sur la maladie, mais également apaisé sur le fait qu’il est possible de mener une vie physiquement active malgré les difficultés liées à l’affection.
Le ballet , réunissant une centaine de personnes, aura lieu ce dimanche 8 mars avec un accueil dès 14 heures au Centre culturel de Libramont (avenue de Houffalize, 56D, 6 800 Libramont). Plus d’infos : Adresse mail : info@cclibramont.be. Tél : 061/22.40.17. Site internet : www.kinesiphilia.net.
La maladie de Parkinson est une affection neurologique évolutive caractérisée principalement par des difficultés de contrôle du mouvement. Bien qu’il s’agisse dans la grande majorité de formes tardives, la maladie atteint aussi certains individus avant 50, voire parfois 40 ans. Elle touche autant les hommes que les femmes. Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun traitement curatif et bien vivre avec la maladie reste un véritable défi.