Peut-on être mère de quadruplés à 65 ans?
Une Berlinoise, mère de 13 enfants et 7 fois grand-mère, est enceinte de quadruplés. Est-ce bien raisonnable ? Souhaitable ? C’est en tout cas plus que discutable. En Belgique, aucun centre de procréation médicalement assistée n’accepterait la demande.
Publié le 14-04-2015 à 14h59 - Mis à jour le 14-04-2015 à 15h33
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Médias et public allemands ont accueilli avec un mélange de désapprobation et d’indifférence l’information selon laquelle une Berlinoise de 65 ans, déjà mère de treize enfants, donnera naissance à des quadruplés en été. Le train de vie de l’enseignante célibataire interpelle.
Les deux grandes chaînes publiques et les journaux sérieux ignorent le sujet qu’exploitent surtout la chaîne de télé populaire RTL et la presse people. RTL devait diffuser lundi soir un long reportage sur Annegret Raunigk, interviewée par la journaliste Birgit Schrowange. Agée de 56 ans, la journaliste, qui a eu son fils Laurin à 42 ans, trouve "qu’il est difficilement imaginable qu’une mère de famille nombreuse veuille encore avoir des quadruplés à l’âge d’être grand-mère". Elle se demande "si elle pourra répondre aux besoins des enfants, quand ils grandiront, d’autant plus qu’ils n’auront pas de père".
Ne pas se laisser influencer
En effet, la femme a procédé à une insémination et à une implantation d’ovules à l’étranger. Annegret Raunigk sait se défendre. Elle a dit à RTL : "Comment faut-il se comporter à 65 ans ? Apparemment il faut toujours tenir compte de clichés, ce qui est assez fatigant. Je pense que chacun doit agir comme bon lui semble. Il ne faut pas trop se laisser influencer par d’autres gens. Ceux qui ne font que ragoter ont une vie peu intéressante."
RTL, qui accompagnera en exclusivité la future mère des quadruplés jusqu’à la naissance et aussi après, affirme ne pas verser dans le sensationnalisme. Dans le communiqué de presse, la chaîne déclare : "RTL remettra en question les motifs de l’enseignante de façon critique, sans préjugé et avec la distance requise."
Un large fossé entre l’Allemagne de l’Ouest et l’ex-RDA
Le journal à grand tirage "Bild", qui d’ordinaire ne prêche pas la morale, s’insurge contre le comportement de la Berlinoise. Il titre : "Quand les quadruplés termineront leurs études secondaires, maman aura 83 ans". Il s’interroge : "Peut-on vraiment se réjouir de cette grossesse ?" Et d’ajouter : "Les cinq pères (NdlR : des 13 enfants qu’elle a déjà) ont décampé sans laisser de traces".
Pour comprendre les appréhensions de Birgit Schrowange et de "Bild", il faut savoir que, sur le plan de la morale, il y a un large fossé entre l’Allemagne de l’Ouest et l’ex-RDA. Comme l’institutrice enseigne le russe, on peut présumer qu’elle a grandi en RDA. Or, à Berlin-Est surtout, il y a beaucoup de femmes célibataires et la population est agnostique ou indifférente.
"Bild", en revanche, paraît à Hambourg, en milieu protestant, et Schrowange a fait carrière auprès de la chaîne ZDF à Mayence, fief catholique.
"Qui sont mes collègues criminels qui ont autorisé ça ?"
Extrêmement choquée", tel fut le sentiment éprouvé d’emblée par le Pr Corinne Hubinont, chef de service associé en obstétrique aux cliniques universitaires Saint-Luc (*), à l’annonce de la grossesse d’une Berlinoise âgée de 65 ans, enceinte de quadruplés. "Franchement, déjà l’âge de la grossesse en soi est un problème ; en plus, des quadruplés, c’est un énorme problème. Mais alors, combiner les deux ! Je me demande qui sont, parmi mes collègues, les criminels qui ont autorisé ce genre de chose", s’est offusquée la spécialiste.
Cela n’est possible que grâce à la technologie médicale…
En effet. Cela n’est possible que grâce à la procréation médicalement assistée (PMA) et au don d’ovocytes, techniques qui nécessitent l’intervention de médecins.
Que dire du problème de l’âge ?
Tous les jours sortent des articles sur les catastrophes, y compris les décès, qui peuvent survenir dans les grossesses après 50 ans. Autant dire qu’après 65 ans, même si cette femme est en bonne forme physiquement, les risques sont majeurs. Que ce soit au niveau de son cœur, de ses artères… tout cela n’est pas "botoxable".
Quelles sont les principales complications auxquelles on peut s’attendre pour la mère et les bébés ?
Il faut savoir qu’après 45 ans, on a déjà 60 à 70 % de complications de grossesse. Pour la mère, cela peut être du diabète gestationnel ou de l’hypertension de grossesse, une hémiplégie suite à une thrombose, des risques d’infection suite à la césarienne, entre autres. Pour les quadruplés, une étude récente montre que l’âge moyen de naissance est de 29 semaines, ce qui reste une extrême prématurité. Vu toutes les complications que cette mère aura étant donné son âge, elle n’ira probablement pas au-delà de ce terme. On peut se demander : a-t-on le droit d’imposer une naissance à 29 semaines à ces enfants ? Je trouve cela criminel sur toute la ligne, sur les plans maternel et fœtal.
Quelles sont, d’après vous, les chances que cette grossesse aboutisse ?
Cela sera certainement au prix d’un repos, en espérant pour elle que son cœur tienne le coup. Car avoir une grossesse multiple à 65 ans, c’est comme demander à un papy de faire un marathon. Le cœur doit pomper pour ces 4 fœtus. Les risques de pré-éclampsie (hypertension de grossesse) sont de l’ordre de 60 à 70 %. Il est difficile de dire jusqu’où elle va pouvoir aller. Arriver à 29 semaines serait un grand "succès". La vraie catastrophe serait qu’elle accouche à 24 semaines, qui est la période de péri-viabilité, avec une chance sur deux d’avoir un décès ou des séquelles graves.
Comme cela se passe-t-il en Belgique ?
Si nous sommes surréalistes pour de nombreuses choses, ici, nous sommes un pays sage. Nous avons par exemple décidé de n’implanter en principe qu’un seul embryon (du moins chez une femme jeune), voire éventuellement deux (chez des femmes plus âgées, qui arrivent en fin du cycle de FIV remboursées). Ici, sans doute vu les chances de succès limitées liées à son âge, après fécondation in vitro suite à un don ou un achat d’ovules et sans doute aussi de sperme, les médecins en ont réimplanté quatre, qui ont tous pris. Pas de chance ! On peut se poser des questions sur l’éthique de cette équipe qui a fait le placement des quatre embryons. Je ne vois pas en Belgique quel serait le centre de PMA qui ferait ce genre de choses.
Y a-t-il, pour vous, gynécologue, un âge au-delà duquel il serait raisonnable de faire le deuil d’une grossesse ?
Chaque situation est évidemment particulière : si une femme n’a pas encore eu d’enfant et qu’à sa visite préconceptionnelle, elle est en parfaite santé à 45 ans, pourquoi pas. Mais je pense de façon générale qu’après 45 ans, raisonnablement, il ne faudrait plus y songer, car cela devient un désir assez égoïste. Se retrouver à 60 ans avec des adolescents n’est pas souhaitable, à mon avis. Cela pose toute une série de questions sur le plan éthique. Et nous manquons de recul pour mesurer toutes les conséquences. Nous jouons là aux apprentis sorciers.
(*) Le Pr Corinne Hubinont est également auteur du livre "Le baby défi", Ed. Anthemis, 2009.