Et si, pour finir, la maladie d’Alzheimer n’existait pas ?
A force de vouloir à tout prix maîtriser la vieillesse et la mort, n’est-ce pas la médecine qui perd la raison ? Médecin généraliste et gériatre hospitalier en France, le Dr Alain Jean signe un livre dérangeant. Réflexion et questionnement.
Publié le 11-05-2015 à 09h46
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Sous son titre "La vieillesse n’est pas une maladie", et surtout son bandeau accrocheur, limite provocateur "Alzheimer, un diagnostic bien commode" (Ed. Albin Michel, 16 €), l’ouvrage du Dr Alain Jean, médecin généraliste et gériatre hospitalier en France, pose mille questions. Et remet aussi beaucoup de choses… en question.
"Si comprendre les troubles de mémoire et d’intelligence qui affectent nombre de vieillards était si simple, comment expliquer que l’on fasse du surplace depuis des années ? , interroge l’auteur. Pourquoi cette obstination à ne pas admettre qu’il y a probablement un lien entre les lésions et les modalités possibles du vieillissement ? A nier l’évidence du vieillissement des organes et des individus en déclarant que la seule alternative à un vieillissement "normal" - sans marque de vieillissement, donc qui n’en est pas un ! - réside dans la maladie ?
"Pourquoi cette obstination à décréter qu’au départ il ne s’agit que de lésions cérébrales, même en présence d’une clinique normale ? Pourquoi s’obstiner à ne considérer que des données génétiques, biochimiques, anatomopathologiques ? Pourquoi ce refus têtu de prendre en compte tous les aspects liés au vieillissement cérébral, dont les bouleversements psychiques considérables qui s’opèrent immanquablement dans la tête des grands vieillards ? "
Selon vous, les médecins colleraient un peu vite l’étiquette "Alzheimer" sur les patients âgés désorientés ?
Je ne sais pas si la maladie d’Alzheimer est surdiagnostiquée, mais j’ai l’impression qu’il y a un chevauchement confusionnant entre le déclin cognitif, qui est une modalité possible et fréquente du vieillissement cérébral, et la maladie d’Alzheimer que l’on met en place d’une modalité possible du vieillissement. […] Aujourd’hui, il y a un problème démographique majeur du vieillissement, dernière étape de la vie qui - ne l’oublions pas - a un terme. Le discours ambiant est un discours implicite qui tend à dire sans le dire que la vieillesse, c’est souvent une maladie, en l’occurrence la maladie d’Alzheimer. La médecine va faire le diagnostic. Et après ? Elle ne va ni traiter ni régler le problème.
Alors, Alzheimer, c’est quoi au juste ?
Déjà, le diagnostic n’est pas fondé parce qu’il n’y a pas de corrélation entre ce que l’on nous présente comme les lésions cérébrales pathognomoniques de la maladie d’Alzheimer, c’est-à-dire les plaques séniles, et la dégénérescence neurofibrillaire. Ce n’est pas spécifique de la maladie d’Alzheimer, des études le prouvent, on le trouve chez des vieillards qui ont des fonctions cognitives normales. C’est donc un diagnostic pas établi. La clinique est extrêmement hétérogène par ailleurs. Deuxièmement, c’est un diagnostic qui sert à quoi ? Je le qualifie d’inutile parce que déjà il y a une ambiance sociale. Je suis vieux; donc je risque d’être atteint de la maladie d’Alzheimer, c’est la catastrophe. Le diagnostic d’Alzheimer est inutile dans la mesure où il ne sert qu’à enfoncer les gens alors qu’en fait, il faudrait travailler au cas par cas avec chaque individu de façon spécifique et différenciée. Qu’est-ce qu’il reste à la personne comme capacités ? Qu’a-t-elle envie de faire ? Que peut-on valoriser ? Voire éventuellement améliorer ? Comment innover ?
Et que dire des thérapeutiques médicamenteuses ?
En France, après de nombreuses tergiversations, la haute autorité de santé publique a conclu que le bénéfice clinique était quasiment nul. Par contre, les thérapeutiques non médicamenteuses pour les gens qui se détériorent : oui. Entraîner la mémoire avec le lien social, sortir…
Lorsque vous dites que le diagnostic clinique ne sert à rien : comment faites-vous, dans votre pratique clinique ?
Je dis à mon patient : Oui, vous avez des pertes de mémoire, mais qu’aimez-vous faire ? Que pouvez-vous faire davantage ? Il s’agit de trouver des stratégies adaptatives. En plus, il ne faut pas oublier qu’il y a de l’interprétation chez les vieillards : ils se disent : " J’ai oublié mes clés, je ne retrouve plus le nom d’un tel… Donc, je suis frappé par la maladie d’Alzheimer ." Alors, ils se retirent du monde; ils s’isolent, ils n’osent plus s’exposer au regard d’autrui qui est en général très négatif. C’est à l’encontre de cela qu’il faut aller. Que peut-on substituer de positif à ce regard généralement négatif de la maladie ?
Vous ne prononcez jamais les mots "maladie d’Alzheimer" face à un patient ?
Bien sûr, je le fais comme tout le monde, mais je les utilise plus parcimonieusement parce que je pense que ce n’est pas toujours vrai. Ce n’est pas établi, je le répète.
Mais le fait de mettre un nom sur une maladie peut aussi rassurer certains patients, non ?
Oui, c’est une bonne chose que les gens soient informés de leur maladie parce qu’ils savent quoi faire par rapport à ce qu’ils ressentent, mais en l’occurrence, on a quand même l’impression d’une vision extrêmement noire et catastrophiste de la maladie d’Alzheimer. Il n’y a pas de traitement et, la fin, c’est l’hospitalisation, la perte de l’autonomie, la grabatisation… Donc, à quoi bon ?
Et si, pour finir, la maladie d’Alzheimer n’existait pas ?
Mais que veut-il donc démontrer, ce médecin généraliste, gériatre hospitalier français ? " L’objectif de ce livre consiste à s’interroger sur la réalité de la maladie d’Alzheimer, écrit-il. Et si, pour finir, elle n’existait pas ? Et si, pour aller à contre-courant de l’opinion moyenne, y compris médicale, les choses étaient loin d’être si solidement établies ? Comme on veut, à toute force, nous le faire croire ?
" Et si les choses étaient infiniment plus complexes et problématiques ?
" N’y a-t-il pas lieu en effet de se réinterroger sur les pertes de mémoire et les pertes intellectuelles qui affligent nombre de grands vieillards ? Le terrain est miné, situé qu’il est aux confins de la maladie comme donnée objective, de l’expérience que la maladie constitue pour le malade, du vieillissement dans l’infini de ses modalités éventuelles, de l’approche imminente de la mort.
" Néanmoins, dans l’opinion publique et tout particulièrement dans la tête des vieillards, on ne peut pas ne pas admettre que le spectre de ce qui est communément appelé maladie d’Alzheimer hante les esprits. C’est une terreur légitime.
"[…] Le discours autour de la maladie d’Alzheimer a pour fonction de tenter d’apaiser l’immense névrose collective se traduisant par une peur de la déchéance et de la mort telle que l’effroi est souvent proche du déni , poursuit le Dr Alain Jean. La vieillesse est de plus en plus envisagée à travers des slogans lénifiants tels que "Réussir son vieillissement" ou "Bien vieillir" qui signifient en vérité que vieillir et mourir sont inenvisageables. De façon simpliste et réductrice, ce discours oppose la norme, c’est-à-dire la bonne santé jusqu’au bout, à son opposé, la maladie. Mais finalement qu’est-ce que cette opération intellectuelle d’escamotage évacue ? Hé bien, la vieillesse elle-même et le processus du vieillissement…"