Rats, chiens et même abeilles pour dépister des maladies
Depuis plusieurs années, des rats sont utilisés en Afrique pour détecter la tuberculose. Diverses recherches avec des chiens dépisteurs de cancers sont aussi menées. Voilà les abeilles !
Publié le 16-06-2015 à 05h39 - Mis à jour le 16-06-2015 à 18h28
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Des rats formés pour traquer la tuberculose ; des chiens dressés pour dépister les signes d’hypo ou d’hyperglycémie du patient diabétique ou pour détecter la présence de cancer dans les urines, notamment. Et à présent des abeilles - dont l’odorat est aussi particulièrement développé - pour renifler l’haleine et indiquer la trace de plusieurs maladies. Dans quelle mesure les animaux peuvent-ils vraiment contribuer au dépistage ?
"Par rapport à certaines espèces animales, nous, les hommes, sommes clairement sous-développés au niveau de l’odorat", nous lance le Pr Jean-Paul Sculier, chef du service d’oncologie thoracique à l’Institut Bordet, qui prend au sérieux ces diverses approches de dépistage.
Comment le corps médical accueille-t-il ces recherches ?
Lors d’un récent congrès de la Société européenne de pneumologie, Bart Weetjens de l’ONG Apopo (voir ci-contre) a fait un exposé très intéressant sur la méthode de dépistage de la tuberculose par des rats avec des résultats assez convaincants. Dans le cas présent, on a dépassé le stade de la recherche puisque la technique est déjà utilisée en routine dans certains pays d’Afrique. Il s’agit cependant d’une première étape dans le dépistage de cette maladie afin de voir si le cas suspect dépisté par le rat doit - ou non - être davantage étudié.
Dans quelle mesure, dès lors, les rongeurs peuvent-ils contribuer au dépistage ?
Ils peuvent aider à poser un diagnostic de manière extrêmement rapide, avec une bonne fiabilité, mais ce n’est qu’une première étape. Les résultats doivent ensuite être confirmés par des tests plus avancés pour voir, par exemple, si le bacille est résistant aux antibiotiques.
Quels sont les intérêts de cette approche ?
Le principal intérêt est le faible coût de cette méthode, qui permet de mener des dépistages de masse dans les pays défavorisés où les cas de tuberculose sont beaucoup plus nombreux. L’idée n’est évidemment pas d’utiliser les rats pour dépister cette maladie en Belgique, par exemple. La rapidité des tests et des résultats obtenus est aussi un atout. (NdlR : un rat peut examiner une centaine d’échantillons en 20 minutes, au lieu de 4 jours pour un technicien en laboratoire).
Il y a aussi les chiens dépisteurs de cancer.
En effet, à l’issue d’un long et lourd dressage, certains chiens sont capables de détecter par l’odorat une signature, dans des échantillons d’urines ou d’air exhalé. Pour ce faire, on demande aux personnes de souffler dans un ballon dont on récupère les substances volatiles que l’on fait sentir au chien. Si, pour le cancer du poumon, le malade produit des composés organiques dans les voies respiratoires, tout type de cancer envoie des substances dans le sang qui se volatilisent au niveau pulmonaire. L’haleine peut donc nous renseigner sur certaines maladies que les gens ont.
Où en sommes-nous à l’heure actuelle ?
À ma connaissance, si les pistes du dépistage canin continuent à être explorées, peu d’éléments véritablement nouveaux et tangibles ont été communiqués. C’est le problème des brevets : dès le moment où l’on fait des exposés sur les recherches lors des congrès, on risque de dévoiler les secrets. Car je pense que le but ultime est d’identifier les substances que les chiens reconnaissent pour pouvoir, à terme, mettre au point un test de laboratoire commercialisable, et non dépendre du bon vouloir de quelques chiens. L’idée serait de faire souffler les gens dans un ballonnet puis de mettre ces substances dans des machines qui analysent les gaz de façon à obtenir une signature. Et ensuite, le cas échéant, orienter les personnes vers un "vrai" dépistage du cancer.
Le recours à l’odorat pour reconnaître des maladies n’est pas nouveau…
En effet, cela s’est pratiqué de tout temps. Il est vrai que l’on peut, dans une certaine mesure, sentir l’infection d’un malade, en fonction des germes et bactéries qui sont développés. Il faut cependant que ce soit véritablement massif pour que l’homme puisse ressentir quelque chose. Une tumeur nécrotique, cela se sent, oui. Mais il s’agit alors de malades qui se trouvent à un stade très avancé. Or, en l’occurrence, ce qui nous intéresse, c’est surtout de pouvoir dépister des malades à des stades précoces, lorsqu’ils sont asymptomatiques.
Les rats géants renifleurs de tuberculose
L’ONG belge Apopo (pour Anti-persoonsmijnen ontmijnende product ontwikkeling, ou Développement d’un produit de détection anti-mines terrestres) dresse des rats depuis de nombreuses années pour détecter des mines dans divers pays (Mozambique, Tanzanie, Angola, Cambodge, Thaïlande…). Rats démineurs, mais aussi renifleurs de tuberculose, les cricétomes des Savanes de Bart Weentjens, le fondateur d’Apopo, ont fait l’objet d’un plan de recherche de 3 ans (lancé en 2010) afin d’évaluer l’efficacité de cette méthode de dépistage. Depuis 2013, la technique introduite en Tanzanie est utilisée au Mozambique.
Dans des échantillons de crachats humains, les rats dressés en laboratoires (selon le principe de Pavlov : à chaque découverte, une récompense sous forme d’aliment) reniflent une série d’orifices alignés sur le fond d’une cage, chaque trou contenant un crachat à évaluer. Dès qu’ils reconnaissent l’odeur caractéristique de la tuberculose, ils l’indiquent en maintenant leur museau contre l’orifice et en grattant le sol de la cage.
Des chiens dépisteurs de cancers
Des chiens de races différentes ont été dressés à reconnaître dans les urines des composés organiques volatils, marqueurs de cancers (prostate, vessie, thyroïde…). Les odeurs, que chaque espèce animale apprécie plus ou moins finement, sont en effet dues à la présence en quantité variable de composés organiques volatils dans les fluides biologiques. L’animal qui présente les capacités olfactives les plus performantes pour discriminer les odeurs sur un plan quantitatif et qualitatif, avec un maximum de précision et d’efficacité, est le chien, qui a en outre une très bonne mémoire olfactive.
L’inconvénient est que le dressage des chiens représente un investissement long et très lourd. Un autre souci : "les chiens ne peuvent pas toujours bien faire la différence entre un cancer et certains médicaments que prennent les patients", nous fait remarquer le Pr Jean-Paul Sculier, du service d’oncologie thoracique à l’institut Bordet.
L’avantage de cette méthode est qu’il s’agit d’une manière tout à fait non invasive de dépister le cancer.
Des abeilles butineuses de diabète
Le projet Bee de la designer et chercheuse portugaise Susana Soares consiste à utiliser les abeilles pour "diagnostiquer avec précision et à un stade précoce une grande variété de maladies". D’après ses recherches, les abeilles - qui sont dotées d’un odorat extraordinaire - peuvent cibler les composés chimiques de la tuberculose, du diabète et du cancer des poumons, de la peau et du pancréas. Cela, avec une fiabilité de 90 à 98 %. Il s’agit d’entraîner en une dizaine de minutes les abeilles avec une odeur spécifique puis les nourrir avec une solution d’eau set de sucre, afin qu’elles associent odeur et récompense. Quant au procédé, la personne souffle dans un récipient en verre divisé en deux compartiments distincts (photo). En cas de détection d’un bio-marqueur, les abeilles se ruent vers le compartiment dégageant l’odeur pour laquelle elles ont été dressées.
L’avantage de ces insectes, déjà utilisés dans certains aéroports pour repérer les explosifs et malheureusement en voie de disparition, est qu’il s’agit d’un moyen peu coûteux, utilisable dans les pays en développement.