Solar Impulse: "Chaque heure qui passe rend les choses plus difficiles"
L'avion Solar Impulse 2 continuait de voler calmement au-dessus du Pacifique mardi soir (heure de Tokyo), près de 40 heures après son décollage du Japon en direction de Hawaï. Entretien avec Raymond Clerc, directeur de vol de la mission “Solar Impulse”.
Publié le 30-06-2015 à 15h15 - Mis à jour le 30-06-2015 à 15h49
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/H6F6NVMQ3NA7DM267HSIW4N3II.jpg)
L'avion Solar Impulse 2 continuait de voler calmement au-dessus du Pacifique mardi soir (heure de Tokyo), près de 40 heures après son décollage du Japon en direction de Hawaï, selon les informations données par les organisateurs de ce défi. Mardi à 17H30 heure du Japon (10H30 HB), l'appareil se trouvait au-dessus de l'océan à une altitude de 6.250 mètres, survolant une épaisse couche de nuages, selon les images diffusées en ligne.
Un tiers du trajet jusqu'à Hawaï a déjà été effectué. "Les feux sont au vert: tout semble se dérouler comme prévu", ont assuré sur internet les organisateurs.
Le pilote, André Borschberg, a conversé à plusieurs reprises amicalement avec les ingénieurs du centre de contrôle situé à Monaco. "C'est un moment fabuleux, le vol se passe très bien", assurait-il mardi matin depuis son cockpit.

A la fin de la journée, il avait parcouru 2.730 kilomètres depuis son départ de Nagoya (centre du Japon) dans la nuit de dimanche à lundi.
Sa traversée aérienne d'une traite en solitaire, sur une distance de 7.900 kilomètres jusqu'à Hawaï, doit durer environ 120 heures, soit 5 jours et 5 nuits.
"André Borschberg est complètement dans le défi océanique", ont expliqué les organisateurs.
Le pilote a quant à lui juré "ne pas s'ennuyer du tout", ajoutant cependant "les conditions sont difficiles à 20.000 pieds au-dessus du Pacifique. Je n'ai pas de douche, mais nous avons assez de moyens pour rendre la vie possible plusieurs jours dans ce cockpit et dans ces conditions", indiquait André Borschberg.
Les équipes au sol supervisent le comportement de l'avion lorsque le pilote se repose par périodes de 20 minutes.
INTERVIEW DU DIRECTEUR DE VOL DE LA MISSION "SOLAR IMPULSE"

Raymond Clerc est le directeur de vol de la mission “Solar Impulse”. Basé au centre de contrôle de Monaco, ce pilote suisse est le grand orchestrateur du voyage. Il jongle avec la météo, les soucis techniques, les ingénieurs, les pilotes…. Nous l’avons interrogé alors que se déroule “le défi dans le défi”, la plus grande étape du tour du monde sans carburant. Cette étape consiste à survoler le Pacifique durant 5 jours sans escale, entre le Japon et Hawaii. Le pilote de l’avion solaire restera donc seul et quasi immobilisé dans un minuscule cockpit, en se reposant par tranches de maximum 20 minutes. Pour tenir, André Borschberg pratique le yoga. Faute de météo favorable, l’avion avait attendu un mois au Japon pour pouvoir décoller pour cette étape hors normes, il l’a fait finalement fait dimanche soir.
Nous sommes en fin de matinée, et vous venez d’avoir en ligne André Borschberg. Comment ça se passe ?
Ca se passe très bien. Il vole depuis maintenant un jour et 15 heures. La nuit tombe sur l’Océan Pacifique. L’avion est en train de commencer sa descente. André s’apprête à passer sa deuxième nuit à bord de l’avion. Là, il a encore son masque à oxygène, mais bientôt il pourra l’enlever.
Durant cette traversée de 5 jours, le pilote risque-t-il sa vie ?
On a tout fait pour que la mission réussisse, il y a beaucoup de systèmes de redondance. Les pilotes se sont entraînés au saut en parachute et à la survie dans un canot. Je pense que le risque de devoir sauter en parachute existe, le risque que le pilote perde la vie est minime, même si le risque zéro n’existe évidemment pas.
Quel est le plus grand défi durant cette étape très particulière ?
La plus grande difficulté, c’est la durée de l’épreuve pour le pilote. Chaque heure qui passe est une heure en plus qui rend les choses difficiles. Il y a le manque d’oxygène et il faut porter un masque, et c’est très astreignant. Il y a l’alternance du chaud et du froid (NdlR : de - 40 à + 40°C) C’est chaque fois un nouveau challenge, il faut trouver les ressources pour surmonter ces conditions extraordinaires. Mais il y a aussi le bonheur du pilote à tenter cet exploit, qui l’aide à surmonter ces difficultés.
L’autre challenge, c’est la technique…
Oui, l’autre challenge, ce sont les petits problèmes techniques que nous avons eus. On a fait des réparations, mais on a un des systèmes de surveillance du pilote automatique qui ne fonctionne pas tout le temps. Ce qui fait que quand le pilote fait sa sieste de 20 minutes, nous devons parfois l’interrompre après 5 minutes, car une alarme se met en route et qu'il faut vérifier que tout va bien. Et puis, il doit repartir pour une nouvelle sieste. Cette perturbation de sommeil, c’est un gros problème et ce sera dur pour le pilote, mais André est en pleine forme et il a une grosse volonté. Il s’entraîne depuis tellement longtemps, il est très motivé. Je suis confiant. Pour le reste de la technique, on ne sait pas ce qui non plus ce qui peut nous tomber dessus. L’avion a 220 heures de vol, et là, on va lui rajouter 120 heures…
Mais jusqu’ici, ce qui vous a surtout posé problème, c’est la météo. Faute de météo favorable, vous avez dû attendre près d’un mois au Japon… Et là, d’ailleurs, vous ne pourrez pas suivre un itinéraire direct, car vous devez éviter un front nuageux, approximativement entre Taiwan et l’Alaska…
Au Japon, on a dû attendre jusqu’à ce qu’on ait une fenêtre (de météo) stable durant 5 jours et elles sont rares dans l’année. Et là, ça se confirme qu’elle est stable. Je suis confiant. Deux fois par jour, on fait une évaluation, et il faut faire des ajustements, ou des petites attentes, en fonction de ce front nuageux. Ici, les conditions météo correspondent à ce qui était prévu. Mais à présent, on est déjà au deuxième jour de vol. On peut faire des précisions à trois jours, et elles sont plus fiables et plus précises. Avant de décoller, on doit faire des prévisions à 7 jours c’est beaucoup plus compliqué.
Pourquoi est-ce si indispensable d'obtenir cette fenêtre favorable ?
Tout d’abord, il faut avoir du soleil pour recharger les cellules photovoltaïques de l’avion pour faire le plein d’énergie pour recharger les batteries qui permettent de voler la nuit. Et en outre, l’avion n’est pas conçu pour le mauvais temps, la pluie, les fortes turbulences. L’avion est immense, très léger, assez fragile. Il faut donc éviter les zones avec du mauvais temps. Si l’on regarde l’Océan Pacifique, il y a des zones avec des gros nuages, et il faut donc arriver à s’intégrer là-dedans, sur 5 jours. On travaille avec des modèles de simulation informatiques. Avec des météorologues -des Belges, d’ailleurs, Luc Trullemans et Wim De Troyer – qui travaillent en collaboration avec des mathématiciens. Pendant un mois au Japon, on a fait des centaines d’essais de simulation, avec différentes routes, avec différents moments, avant de trouver la bonne.
Cela montre les limites de l’énergie solaire, non ?
Non. Au contraire, on est à la pointe du progrès. On a des cellules solaires avec 22 % de rendement. Faire voler un homme dans un engin qui pèse une grosse voiture pendant 5 jours et 5 nuits, c’est ça la limite. Et on démontre qu’avec cette énergie, on fait des choses extraordinaires.
D’autres défis vous attendent encore…
C’est le 8e vol et cette étape était l’étape la plus longue. Mais il restera aussi l’étape au-dessus des Etats-Unis, où il y a beaucoup d’orages et puis une étape qui correspond à celle en cours, au-dessus de l’Atlantique, qui sera prise en charge par Bertrand Piccard.
Pour la fin complète du voyage, la limite maximum est au 5 août, date après laquelle les journées seront trop courtes pour recharger les batteries ?
Cette limite du 5 août est celle qui se trouve dans les manuels, dans la stratégie. Mais ce n'est pas une date absolue : elle dépend de la latitude de laquelle on partira des Etats-Unis pour traverser l’Atlantique. Si on part plus au Sud que New York, les journées seront plus longues. On pourrait alors aller jusqu’à la mi-août. On a beaucoup souffert de l’attente en Chine ( NdlR : un mois) et au Japon. Là, sur le papier, si tout va bien, on peut boucler le voyage dans trois semaines. C’est encore faisable. Mais là, on se concentre sur ce vol, et puis on verra le reste à l’atterrissage !