De Merckx à Froome: comment le cycliste a changé de profil
Le Tour de France a débuté. Depuis la grande époque d'Eddy Merckx, le cyclisme a bien changé. Des performances sportives aux produits dopants utilisés.
Publié le 05-07-2015 à 10h12
Le Tour de France a débuté. Depuis la grande époque d'Eddy Merckx, le cyclisme a bien changé. Des performances sportives aux produits dopants utilisés.
Merckx : "On courait bien plus"
Quintuple vainqueur du Tour de France (1969, 1970, 1971, 1972, 1974), Eddy Merckx revient pour "La Libre" sur le cyclisme des années 70 et les changements inéluctables qui ont transformé son sport.
"Tout évolue et le cyclisme n’échappe pas à la règle. Le matériel, d’abord, n’a plus grand-chose à avoir avec ce qu’il était à l’époque : mon vélo était plus lourd, je roulais avec dix-huit vitesses contre vingt-deux, aujourd’hui, et le changement de vitesse n’était pas encore placé dans les poignées. On courait également beaucoup plus que les cyclistes actuels, dont bon nombre se préparent essentiellement pour le Tour de France."
Pas le temps de faire un stage
"Ce qui est vraiment dommage, parce que beaucoup de très belles courses comme le Tour d’Italie et les classiques ont perdu un peu de prestige. On participait d’ailleurs à tellement de courses, que je commençais à rouler en février et que je ne m’arrêtais pas avant octobre. Ce qui avait également un impact sur notre entraînement : comme on passait des heures à pédaler, nous n’avions pas le temps de cibler une préparation en particulier comme le font les coureurs actuels qui utilisent les maths ou partent faire des stages en altitude."
Les produits dopants aussi ont changé avec le temps
Mercredi 8 juillet 1998 à 5h40 du matin, Willy Voet est interpellé à la frontière franco-belge. Le médecin belge de l’équipe Festina est en route vers le Tour de France dont le départ a lieu trois jours plus tard, mais fait l’objet d’une inspection de routine par les Douanes françaises qui retrouvent dans son coffre plus de 400 flacons d’EPO, amphétamines, corticoïdes et autres produits dopants. L’"affaire Festina" vient d’éclater au grand jour et révèle au public qu’un dopage massif et organisé est probablement en cours au sein du peloton.
"1998 a effectivement été une année noire pour le cyclisme , analyse le rédacteur en chef du magazine "Sport et vie" Gilles Goetghebuer , mais le dopage a toujours existé. Il n’a d’ailleurs officiellement été interdit qu’au milieu des années 60. Ce qui a changé avec le temps, ce sont les produits utilisés."
Des amphétamines à l’EPO
"Au cours des années 50-60, les coureurs prennent essentiellement des amphétamines , détaille le journaliste , mais on commence à les détecter à la fin des sixties, et les années 70 voient arriver les corticoïdes et la cortisone, qui gomment la douleur et la sensation de fatigue. Durant les années 80, ces produits sont toujours consommés, mais on y ajoute les anabolisants et les stéroïdes, très efficaces pour stimuler le cerveau, l’agressivité et l’envie de se battre."
Point commun de toutes ces substances : elles n’ont pas d’impact sur les capacités des coureurs. Le moteur reste le même, mais le ressenti du sportif est amélioré. "Puis, à la fin des années 80 , poursuit Gilles Goetghebuer , l’arrivée d’un nouveau produit change tout : l’EPO ou érythropoïétine, une hormone qui provoque un accroissement de globules rouges dans le sang et un apport d’oxygène aux cellules musculaires."
Contrairement aux autres produits, l’EPO modifie les capacités des coureurs "et on constate que tous les records de puissance ont été enregistrés durant les années noires de son utilisation" , ajoute Gilles Goetghebuer. "De la fin des années 80 au milieu des années 2000, les performances étaient telles que les grands coureurs des décennies précédentes n’auraient même pas été dans les délais. Depuis que les tests antidopage ont été améliorés, on observe d’ailleurs une baisse de la puissance des coureurs de l’ordre de 10 %."
Le Matériel
Une grande évolution entre les années 1960-1970 de Merckx et les années 2015 de Froome ? Le matériel.
Le vélo de Chris Froome a bénéficié des avancées des vélos de triathlon, arrivées à la fin des années 80. La partie cycliste du triathlon se basant en effet sur le contre-la-montre, il faut, pour gagner, améliorer la légèreté et l’aérodynamisme du vélo : guidon cintré (cycliste "couché"), roue lenticulaire (pleine), car les rayons provoquent des turbulences… Parmi les évolutions, il y a aussi le dérailleur électrique. Eddy Merckx ne disposait pas non plus des pédales automatiques actuelles sur son vélo en acier (on est passé à l’aluminium, puis au carbone) moins rigide, ni de casque (profilé ou non !). Il n’était pas question non plus de maillots conçus pour mieux glisser dans l’air, une invention récente.
La nutrition
A l’époque d’Eddy Merckx , les connaissances en nutrition existent déjà, mais elles restent basiques. Résultat : un bon plat de pâtes avant la course, et c’est parti… Le ravitaillement durant la course est aussi assez "empirique". Il s’agit surtout de tartelettes au riz ou de bananes. A présent, c’est très étudié et personnalisé, les doses de glucides ou de sodium sont par exemple distribuées en fonction de l’avancée de l’étape.
Désormais, Froome et ses coéquipiers suivent souvent un régime très strict. "L’objectif est de garder une masse grasse extrêmement faible, tout en maintenant un état de santé très bon. Cela demande un suivi nutritionnel très important et une discipline de fer au cycliste", note le Pr Marc Francaux. Il est en effet plus facile de monter les cols avec quelques kilos en moins… Les cyclistes sont d’ailleurs bien plus maigres maintenant qu’à l’époque de Merckx. Mais, parfois, cela dérape. Ces dernières années, il y a d’ailleurs eu quelques cas déviant vers l’anorexie.
L'entraînement
Merckx et ses collègues avaient pour habitude, en guise d’entraînement, de parcourir de nombreux kilomètres. "Après une course, certains faisaient parfois 100 km en plus, pour avoir du ‘volume’", note le Pr Jacques Duchâteau, physiologiste à l’ULB. La plupart, à basse intensité. Sauf Merckx qui suivait une mobylette pour pédaler à plus haute intensité.
Froome et ses contemporains savent désormais, grâce aux avancées de la science, que le volume seul est insuffisant. "L’entraînement est aussi beaucoup plus systématisé", ajoute le professeur Marc Francaux, spécialiste de la physiologie de l’exercice à l’UCL. Les données du cardiofréquencemètre et du capteur de puissance placé dans le pédalier peuvent être récupérées pour planifier l’entraînement. Par ailleurs, de véritables préparateurs physiques se sont aussi ajoutés aux directeurs sportifs.
La tactique de course
Depuis Merckx , la tactique de course a fortement changé. L’attaque se produisait "au feeling", au panache. Un coureur pouvait partir seul à 50 km de l’arrivée.
Froome dispose, lui, d’une oreillette qui permet de prévenir le cycliste de toutes les évolutions de la course. Les décisions peuvent donc être prises très rapidement. Un GPS donne la position des coureurs et leur vitesse de déplacement. Le directeur sportif peut alors déterminer très précisément quand lancer l’échappée.
Le niveau du peloton
Eddy Merckx dominait largement ses concurrents. Et le niveau du peloton était assez hétérogène.
Chris Froome , lui, ne laisse pas forcément tout le monde derrière lui. "Il y a eu un nivellement par le haut dans le peloton, juge Marc Francaux (UCL). Les niveaux de performance sont plus similaires." C’est principalement dû à l’internationalisation du peloton dans les années 80-90. A l’époque de Merckx, le peloton était très européen.
L'organisation des courses
Merckx. Le profil des courses a aussi changé. A l’époque de Merckx, la longueur totale en kilomètres du Tour de France, par exemple, était bien plus importante (4 100 km en 1969), tout comme les étapes elles-mêmes (jusqu’à 320 km).
Chris Froome et les autres parcourent moins de kilomètres (3 300 km en 2015) et ont des étapes plus courtes (220 km au maximum). "C’est un effet de la télévision, analyse Marc Francaux. Il y avait quelques longueurs pour les retransmissions télé en direct. Il y a donc un compromis entre les exigences télévisuelles et les difficultés. Mais même une étape de 150-200 km, c’est 5 heures d’effort. Chaque jour, pendant trois semaines, c’est très très lourd." La difficulté explique le recours au dopage. C’est aussi un sport "facile à doper", car peu technique et d’endurance.
La spécialisation
Eddy Merckx courait d’avril à octobre. Il était donc de toutes les courses importantes : classiques d’un jour, Tours… Et il courait pour les gagner; il était susceptible d’"attaquer" tous les jours.
Chris Froome , lui, court le Tour de France et c’est son principal objectif, hormis quelques courses préparatoires. Depuis les années 60, le cyclisme s’est en effet "spécialisé". "Les coureurs ne se préparent plus que pour un nombre réduit de courses - le Tour de France, par exemple - ou les classiques. Et même pour certaines des classiques", observe Jacques Duchâteau (ULB). On optimalise l’entraînement et on organise la saison en fonction de cet objectif unique. Tout est beaucoup plus calculé."Merckx battrait-il Froome ? Avec un matériel de 2015, peut-être. Car il était doté d’une constitution exceptionnelle (musculature, très grande capacité cardio-respiratoire, endurance, ce qui dépend de la génétique et peut aussi être entraîné) et d’une motivation incroyable.
Et le dépistage s'est adapté
"Comme l’EPO est facilement détectable aujourd’hui, les coureurs n’y ont plus directement recours", ajoute Gilles Goetghebuer. "Ils utilisent d’autres substances - invisibles aux contrôles - qui produisent de l’EPO dans le corps. Pour contrer cette nouvelle méthode, les laboratoires antidopage travaillent en amont, avec les laboratoires pharmaceutiques. Dès que ceux-ci trouvent une molécule susceptible de produire de l’EPO, ils préviennent les labos antidopage qui peuvent mettre sur pied un test de dépistage avant que la molécule en question se retrouve sur le marché." Des contrôles sont pratiqués lors des compétitions ou à l’improviste, et l’Agence mondiale antidopage a mis en place le système du passeport sanguin, qui contraint les sportifs à se soumettre régulièrement à des prises de sang pour détecter d’éventuelles anomalies.