Alzheimer : vers l’explosion ou la stabilisation ?
Une étude, publiée dans "The Lancet Neurology", remet en cause les prévisions alarmistes. Selon les épidémiologistes, il n’y a pas d’explosion des démences en Europe occidentale. Des résultats contestés par d’autres experts. Pas tous.
Publié le 23-08-2015 à 15h04 - Mis à jour le 23-08-2015 à 15h06
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Une étude, publiée dans "The Lancet Neurology", remet en cause les prévisions alarmistes. Selon les épidémiologistes, il n’y a pas d’explosion des démences en Europe occidentale. Des résultats contestés par d’autres experts. Pas tous.
L’article publié vendredi dans "The Lancet Neurology" ne fait pas l’unanimité. A l’encontre de la plupart des publications prévoyant une explosion des démences - dont la maladie d’Alzheimer - dans les prochaines années, l’étude dirigée par le Pr Carol Brayne de l’Université de Cambridge révèle plutôt une stabilisation du nombre de cas dans l’Europe occidentale. Alors que les travaux publiés dans les années 1980 criaient à l’explosion des démences, " celles-ci sont désormais dépassées en raison de changements dans l’espérance de vie, les conditions de vie et les améliorations des soins et du mode de vie ", affirme le principal auteur de l’étude.
Quelles hypothèses pour expliquer la stabilisation ?
Pour en arriver à cette conclusion, les épidémiologistes ont comparé les données obtenues à deux époques différentes (de 1976 à 1989 et de 1994 à 2008) dans quatre pays européens (Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni et Espagne). Il en est ressorti que le pourcentage de personnes souffrant de démences dans ces pays n’avait pas véritablement varié. Sur les cinq études analysées par les épidémiologistes, quatre ont en effet montré des modifications insignifiantes dans le pourcentage de personnes atteintes de démences au cours de 20 à 30 dernières années. Réalisée à Saragosse, en Espagne, une étude a pour sa part fait état d’une baisse de 43 % du pourcentage de démences chez les hommes de plus de 65 ans entre 1987 et 1996.
Quant à avancer des hypothèses susceptibles d’expliquer cette stabilisation, les auteurs de l’article évoquent une amélioration du niveau de vie et d’éducation mais surtout une meilleure prise en charge des facteurs de risques cardiovasculaires comme l’hypertension.
A cette étude qui a été très diversement accueillie par des experts indépendants, "La Libre" a également voulu faire réagir diverses personnalités, spécialisées dans cette maladie dégénérative, qu’elles soient neurologue, épidémiologiste,… ou représentant de la Ligue Alzheimer. Voici leur point de vue sur cette étude.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, estimé à 47,5 millions aujourd’hui, le nombre total de personnes atteintes de démence devrait atteindre 75,6 millions en 2030 et à 135,5 millions en 2050.
Dr Jean-Christophe Bier: "Cela reste une maladie endémique dont il faut craindre un très grand nombre de cas"
(Neurologue spécialisé dans le traitement de la maladie d'Alzheimer à l'hôpital universitaire Erasme)
S’il est vrai que, pendant des années et jusque 2010 environ, il y a eu un très fort accroissement du nombre de démences, on peut même dire un emballement, il est également exact que, ces dernières années, les résultats des études épidémiologiques montrent une moindre prévalence de la maladie par rapport à ce que l’on avait prédit. Surtout dans les pays du Nord, où l’on a observé une décroissance par rapport aux prévisions de prévalence. "
" Une des explications possibles est que les modes de vie sont en train de changer et que l’on prend mieux en charge les facteurs de risques cardio et cérébrovasculaires dont on sait qu’ils ont un impact majeur sur le développement d’un syndrome démentiel. De même, sur le plan alimentaire, certaines modifications de comportement peuvent avoir un impact bénéfique . Ce qui m’étonne, personnellement, c’est que ce phénomène de stabilisation est relativement récent alors que les prises en charge de l’hypertension remontent à bien plus de cinq ans. "
Deux autres facteurs pourraient entrer en ligne de compte, selon le neurologue. " D’une part, sur le plan de l’éducation. On sait que le fait d’être plus éduqué diminue l’incidence et la prévalence de la maladie. Il est possible qu’en étant plus informé, grâce à tous les nouveaux moyens de communication, et mieux éduqué, on développe moins la maladie. Il est en effet démontré que le fait de faire des études plus longues retarde l’âge auquel on développe les symptômes de la maladie. Pendant des années, il a été dit que l’un des moyens de prévention de la démence consistait à éduquer les gens. En d’autres mots, les gens qui sont plus éduqués ou font davantage fonctionner leur cerveau ont des réserves cognitives plus intenses et donc un développement ou une présentation clinique de la maladie plus tardive ."
"D’autre part, l’acuité diagnostique d’une maladie d’Alzheimer est probablement plus juste aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 10 ou 20 ans. De ce fait, on diagnostique peut-être moins de patients vraiment Alzheimer ."
Il n’empêche que " cela reste une maladie endémique, dont il faut craindre un très grand nombre de cas, car nos populations vieillissent et qu’il s’agit d’une pathologie liée à l’âge, mais peut-être ne sommes-nous pas dans une proportion de 80 millions en 2030, comme on s’y attendait, mais plutôt de l’ordre de 60 ou 70 millions de personnes. Ce qui reste énorme. Disons donc que cette étude serait plutôt une bonne nouvelle sans être une excellente nouvelle ."
Jean Macq: "L’étude n’apporte pas des résultats univoques"
(Professeur à la faculté de santé publique de l'Institut de recherce santé et société (IRSS) à l'UCL)
Cette étude est loin d’apporter des résultats univoques. La méthode utilisée ne permet pas de conclure de manière formelle que, effectivement, le nombre total de cas va stagner. Il existe toute une série de caractéristiques de l’étude qui pourraient donner une fausse impression de la réalité. Ceci est par ailleurs bien décrit dans l’article du ‘Lancet Neurology ’."
" Cette étude parle de proportion de personnes atteintes de démence avec certaines données par groupe d’âge, et non de nombre absolu (il est important de comprendre cela). Si les résultats reflètent la réalité, on a l’impression qu’il n’y a pas augmentation (voire une diminution) de la proportion de personnes avec démence dans la population en dessous de 85 ans, et que la tendance disparaît pour la population plus âgée (proportion stable dans le temps voire augmentation) ."
" Comme on s’attend à un double vieillissement de la population (non seulement à une augmentation de la proportion de personnes au-delà de 65 ans, mais aussi à une augmentation des personnes de plus de 80 ans, on peut s’attendre à voir augmenter de manière modérée le nombre absolu de personnes de plus de 65 avec démence mais surtout de voire augmenter de manière plus substantielle le nombre absolu de personnes de plus de 80 avec démence. Ceci nécessitera donc une approche des soins et des services d’aides au maintien à domicile différents (en quantité et qualité) de ce qui existe actuellement ."
Sabine Henry: "Discuter sur les chiffres ne résout pas le problème Alzheimer"
(Présidente de la Ligue Alzheimer ASBL)
La discussion sur la justesse, la pertinence et la fiabilité des chiffres émanant de différentes études sur la démence ne résout en rien le problème Alzheimer actuel.
Elle rappelle la métaphore de la bouteille à moitié pleine et/ou à moitié vide, où deux amateurs de vin évaluent chacun à sa façon le contenu d’une bonne bouteille, s’empêchant de déguster le précieux breuvage.
Pour des personnes concernées ou atteintes d’une démence, c’est évidemment le contenu qui compte. Avoir accès au diagnostic, aux soins, à l’aide sociale, au soutien matériel et financier, à la considération et au respect d’autrui, au statut d’homme parmi les hommes ici et maintenant est prioritaire.
Argumenter et ‘vendre’ leur cause, l’urgence d’une mobilisation, promouvoir les éléments d’une prévention, est l’affaire de tous chercheurs, associations, sociétés, chacun a sa part de responsabilité dans la résolution du problème Alzheimer à l’avenir ."