Vers un vaccin universel contre la grippe
Les chercheurs planchent depuis plus de dix ans sur le sujet. Deux avancées ont été publiées. Prometteur dans les modèles animaux, le vaccin universel expérimental contre la grippe n’est cependant pas pour demain.
Publié le 26-08-2015 à 13h51
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Médecin virologue, professeur à la KUL et coprésident du Commissariat interministériel influenza, le Pr Marc Van Ranst est persuadé de l’intérêt d’un vaccin universel contre la grippe, mais il s’enthousiasmera vraiment le jour où ce vaccin aura démontré ses bénéfices chez l’homme. Ce qui n’est à l’heure actuelle pas encore le cas.
Le vaccin universel, est-ce une utopie ?
Dans l’influenza de l’immunologie, c’est un peu le "Holy Grail", le Graal en quelque sorte, dont on parle depuis plus d’une dizaine d’années. Le jour où il sera mis au point, où il s’avérera aussi efficace que le vaccin traditionnel et où il permettra de diminuer la mortalité et la morbidité, on aura évidemment des raisons de se réjouir.
Jusqu’ici, il faut admettre que nous n’avons encore que des résultats sur des modèles animaux. On ne pourra se montrer vraiment enthousiastes que lorsque des bénéfices auront été démontrés chez l’homme. Or il y a, je pense, encore beaucoup d’obstacles à franchir avant que l’on puisse avoir ce vaccin universel en mains. L’une des principales difficultés pour les chercheurs réside dans le fait que ces virus évoluent en permanence.
Quels pourraient être les avantages de ce vaccin universel ?
Le fait de ne pas devoir vacciner chaque année la population serait un avantage réel. Cela sera non seulement très pratique, mais il faut aussi prendre en compte l’aspect financier. Un intérêt supplémentaire est bien sûr le fait de pouvoir protéger contre plusieurs souches.
Un autre avantage serait d’éviter une "mauvaise composition", comme cela s’est produit la saison dernière, avec les conséquences que l’on connaît en terme de mortalité…
En effet, cela arrive en moyenne une année sur sept. Cela dit, généralement, les souches retenues dans la composition du vaccin mis à disposition correspondent à celles qui sont en circulation. Même s’il faut reconnaître qu’il n’est pas toujours optimal.
Et quels pourraient être les inconvénients éventuels ?
Je n’en vois pas vraiment à l’heure actuelle. Si ce n’est le prix, que l’on ne connaît forcément pas, mais qui pourrait s’avérer élevé. S’il est exorbitant, cela pourrait diminuer le rapport coût/bénéfices. Et donc enlever de l’attrait à ce vaccin universel. Mais comme nous n’en sommes pas encore là…
Une façon d’éviter une "malheureuse composition"
Une "malheureuse composition", c’est ainsi que le Pr Marc Van Ranst, virologue et coprésident du Commissariat interministériel influenza, avait qualifié l’élaboration du vaccin contre la grippe, censé protéger la saison passée les personnes auxquelles il avait été administré.
L’hiver dernier, le virus avait en effet affecté cinq à six fois plus de personnes qu’en 2014. Lorsque l’épidémie avait atteint son pic, entre 5 et 10 % de la population belge avaient été touchés. Parmi les victimes, essentiellement des personnes âgées, un public paradoxalement davantage vacciné que la moyenne. Avec 40 000 cas de grippe en 2014-2015, les personnes âgées de 65 ans et plus ont été deux fois plus touchées qu’au cours des six saisons grippales précédentes.
La raison évoquée par le spécialiste ? Une mauvaise composition du vaccin. La souche la plus importante n’aurait pas été incluse. "Le vaccin se construit un peu comme un bulletin météo, en utilisant les données disponibles quelques mois auparavant et en extrapolant sur les virus potentiellement dangereux", avait à l’époque expliqué le Pr Marc Van Ranst. "Dans ce cas-ci, un virus n’a pas été pris en compte, ce qui fait que la composition du vaccin n’est pas optimale."
Une solution universelle ?
Cette mauvaise estimation arrive en moyenne une fois tous les sept ans, nous a-t-il fait savoir, mardi, alors que l’on apprenait deux nouvelles avancées vers ce fameux vaccin universel contre la grippe, sur lequel des équipes de chercheurs planchent depuis plusieurs années déjà (voir ci-dessus).
Parce que ces virus évoluent en permanence, le vaccin contre la grippe nécessite d’être adapté chaque année. Pour ce faire, un réseau international de biosurveillance collecte des échantillons de virus en circulation et les transmet aux laboratoires de référence de l’Organisation mondiale de la santé. Sur base des souches identifiées, les experts tentent de prédire avec autant de justesse possible, celles qui ont le plus de chance de se répandre au cours de la prochaine saison afin d’élaborer le vaccin.
Une protection vaccinale assez limitée
"Tout au long de la saison 2014-2015, trois virus ont circulé simultanément : A (H1N1), A (H3N2) et B, avec une forte prédominance des virus A (H3N2)", explique-t-on à l’Institut scientifique de santé publique (ISP). "Si les virus influenza A (H1N1) et influenza B en circulation étaient proches des souches vaccinales correspondantes, la souche A (H3N2) était en revanche différente de celle incluse dans le vaccin. Avec une protection vaccinale globale de 19 %, force est de constater que le vaccin de l’an passé fut nettement moins efficace que les saisons précédentes, en l’occurrence de l’ordre de 40 % en 2012-2013 et 52 % en 2013-2014." Que la protection offerte par le vaccin n’est jamais totale, on le sait. Mais lorsqu’elle atteint à peine 20 %, on peut se poser certaines questions sur la pertinence de se faire vacciner. Aussi, depuis une dizaine d’années environ, des équipes de chercheurs tentent-elles de trouver "le" vaccin universel. Celui qui, à lui seul, protégerait contre toutes les souches des virus grippaux.
Publiées l’une dans "Nature" et l’autre dans "Science", deux études distinctes rapportent avoir démontré "la preuve de concept" de vaccins universels sur des souris, des furets et des singes. Un résultat qui semble avoir été accueilli très favorablement, même s’il ne faut pas s’attendre à trouver le vaccin en pharmacie demain.
Étude parue dans "Nature": cibler la tige, pas la tête
Des chercheurs de l’Institut américain des allergies et des maladies infectieuses précisent avoir testé avec succès leurs vaccins sur des souris et des furets, des animaux qui présentent les mêmes symptômes que l’homme. Plutôt que de cibler la tête de l’hémagglutinine, en constante mutation, les chercheurs ont ciblé la tige de cette protéine, beaucoup plus stable. En liant cette base provenant d’un virus A (H1N1) à des nanoparticules et en la combinant avec un adjuvant, ils ont réussi à immuniser les souris et les furets avant de leur injecter des doses létales de virus A (H5N1).
Étude publiée dans "Science": Protection complète chez les souris
Dans une autre étude publiée dans "Science", un groupe de chercheurs dirigés par Antoinette Impagliazzo du Crucell Vaccine Institute, un Institut de recherche du laboratoire Janssen, a rapporté avoir testé un vaccin qui confère une protection complète à des souris et une réponse immunitaire large sur des singes, travaillant eux aussi sur la base de l’hémagglutinine.
Vaccin quadrivalent
La mise sur le marché , par certains producteurs, de vaccin quadrivalent (quatre souches du virus au lieu de trois) vivant atténué ou de vaccin quadrivalent inactivé, va modifier l’offre durant la saison grippale 2015-2016, fait remarquer le Conseil supérieur de la santé (CSS). Le vaccin vivant atténué (Fluenz Tetra de Astra Zeneca) s’administre par voies nasales et est autorisé de 2 ans à moins de 18 ans. Le vaccin quadrivalent inactivé (Alpharix-Tetra de GSK) (à partir de 3 ans) remplace l’Alpharix trivalent préalablement disponible.
Le Conseil supérieur de la santé étudie la question et prépare un avis circonstancié sur les groupes cibles et les vaccins disponibles. Ils pourraient peut-être apporter un bénéfice en cas d’épidémie saisonnière durant laquelle les deux souches B co-circuleraient de manière significative ou d’un choix inadéquat de la souche B dans le vaccin trivalent. Ils ne pourraient par contre pas circonscrire les problèmes rencontrés par la mauvaise adéquation entre les souches vaccinales de type A (H1N1 ou H3N2) et celles responsables de l’épidémie de grippe saisonnière (comme ce fut le cas en 2014-2015).