Hypersensible aux ondes, Eric vit sous un voile d'argent, loin du monde
L’hypersensibilité aux ondes magnétiques est une réalité. Elle n’est, en revanche, pas reconnue officiellement comme maladie en France. Chez nous, un projet de loi est déposé en ce sens. Dossier.
- Publié le 27-08-2015 à 16h11
- Mis à jour le 27-08-2015 à 17h51
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Maux de tête, picotement, troubles du sommeil ? Pour les électrosensibles, ces symptômes sont dus chez eux à l’exposition aux ondes électromagnétiques, qui, avec le Wifi et le GSM, saturent notre environnement. Cette "électrosensibilité" est désormais considérée par la justice française comme un handicap. Un tribunal de Toulouse a reconnu pour la première fois l’existence d’un handicap grave dû à l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques. Le jugement confirme, expertise médicale à l’appui, que Marine Richard, la plaignante, souffre d’un syndrome dont "la description des signes cliniques est irréfutable".
Le jugement évalue sa déficience fonctionnelle à 85 % et estime qu’elle ne peut pas travailler. Il lui accorde le droit à une allocation pour adulte handicapé - 800 euros par mois - pour trois ans, éventuellement renouvelables. "Cette reconnaissance par la justice est une grande première en France", a commenté Etienne Cendrier, de l’association Robin des Toits, qui a transmis mardi soir le jugement datant de juillet, à la presse.
Potentielle jurisprudence
L’hypersensibilité aux ondes magnétiques n’est pas reconnue officiellement en France comme maladie et fait l’objet de controverses entre experts. Les symptômes sont divers, transitoires et communs à de nombreuses affections. Ceux qui se déclarent "hypersensibles" citent souvent les antennes-relais, portables, téléphones sans fil ou Wifi comme causes directes de leurs maux. L’avocate de Marine Richard , Alice Terrasse, a affirmé que ce jugement pourrait faire jurisprudence car "des milliers de personnes" sont concernées mais n’ont pas saisi les tribunaux.
Projet de loi en Belgique
L’Organisation mondiale de la santé a reconnu en 2005 que l’électrosensibilité était "caractérisée par divers symptômes non spécifiques qui diffèrent d’un individu à l’autre" et "ont une réalité certaine et peuvent être de gravité très variable". Mais il n’existe ni critères diagnostiques clairs, ni base scientifique permettant de relier les symptômes à une exposition aux champs électromagnétiques, ajoutait l’OMS.
En Belgique, selon nos informations, aucun jugement similaire à celui de Toulouse n’a à ce stade été rendu. La maladie n’est pas non plus reconnue, mais les députées Ecolo Muriel Gerkens et Anne Dedry ont déposé fin 2014 une proposition de résolution "visant à faire reconnaître les patients atteints d’électrosensibilité". Il n’a pas encore été examiné par la Chambre. Un premier projet avait été rejeté en 2013 "par manque de certitudes scientifiques".
"A l'heure actuelle, rien n'est prouvé"
Médecin généraliste, membre du Conseil supérieur de la santé et attaché à l’Ecole de santé publique de l’ULB, le Dr Jacques Vanderstraeten est l’un des trois membres disposant d’une expertise scientifique concernant les effets des radiations non ionisantes sur la santé ou l’environnement, au sein du Comité mis en place sur proposition de Céline Fremault, ministre bruxelloise en charge de l’Environnement.
A ce jour, dispose-t-on de preuves scientifiques pour établir un lien de causalité ?
Non, malheureusement rien n’est prouvé à l’heure actuelle pour ce qui est du rapport de causalité entre l’exposition et les symptômes. Des études de provocation ont été réalisées, lors desquelles on tente de reproduire les symptômes ou les plaintes en exposant - ou pas - les sujets. En comparant les situations effectives et les non-expositions, on n’observe pas de différence. Des études de perception ont également été menées où l’on demande par exemple à la personne si l’antenne face à elle est allumée ou éteinte. Et, là encore, même les personnes hypersensibles ne parviennent statistiquement pas à faire la différence. Jusqu’à présent, donc, ces études - et elles sont nombreuses - ne permettent pas d’établir une causalité objective entre l’exposition et les plaintes.
Cette décision d’un tribunal français a donc de quoi vous étonner ?
Je ne sais pas ce qu’il faut en penser… Je ne suis pas gestionnaire de santé publique. J’ignore quels sont les critères qui prévalent pour la reconnaissance d’un syndrome. Peut-être simplement le fait qu’une certaine proportion de la population s’en plaigne peut-il jouer.
Vous dites ne pas être convaincu que beaucoup d’autres pays suivront l’exemple français. Pourquoi ?
Parce que reconnaître ce genre de syndrome pourrait aussi inciter certaines personnes à se dire qu’elles sont peut-être elles aussi hypersensibles. Cela aurait un potentiel pathogène qu’il ne faut pas négliger, d’autant que les normes d’exposition appliquées en Belgique garantissent une sécurité de la population par rapport à tout effet néfaste de ces ondes. On est en droit de dire qu’en Belgique, il n’y a aucun risque. Il serait donc dommage d’ajouter une angoisse qui me paraît inutile.
Comment réagissez-vous, dans votre pratique clinique, face à des patients qui se présentent pour ce motif ?
Je les écoute et je leur donne des informations qu’ils pourraient trouver utiles en terme d’exposition ou d’éviction. Comme utiliser un téléphone fixe plutôt qu’un gsm pour les personnes qui se disent électrosensibles. Par rapport aux antennes environnantes, la première recommandation est de faire appel à l’autorité locale qui peut mesurer et voir si le niveau d’exposition ne dépasse pas la norme. On peut alors intervenir pour faire respecter la norme par l’opérateur. Mais il y a souvent dans le chef de ces patients une conviction de rapport de cause à effet par rapport à laquelle mon discours n’a aucune prise…
Quels sont les symptômes le plus couramment évoqués ?
Le problème de ce type de syndrome est l’absence d’objectivation à ce jour. Les plaintes recouvrent un panel extrêmement vaste, varié et non spécifique. Une personne présentera tel type de plainte, une autre, d’autres types de plaintes. Cela va des maux de tête aux troubles de la concentration ou du sommeil en passant par les picotements, des problèmes digestifs, des palpitations, de la dépression…
Eric vit sous un voile d’argent, loin du monde
Il y a quelques jours, lorsqu’Eric Jenaer s’est rendu chez son nouveau garagiste, celui-ci l’a pris "pour un apiculteur". On peut le comprendre : Eric Jenaer ne se déplace sans ses vêtements de protection, faits de fibres d’argent. Lorsqu’il est dans sa maison, son visage est également protégé derrière un voile d’argent mais lorsqu’il se rend en ville, il relève ce voile et ne conserve qu’un filet sur ses cheveux, qui dépasse tout de même de sa casquette.
Ce quinquagénaire se déclare électrosensible. Ces vêtements qu’il dissimule sous d’autres et qu’il porte "24 heures sur 24" sont pour lui un moyen de faire "court-circuit"et"d’empêcher les tensions électriques d’arriver sur la peau et de bloquer les courants induits qui pénétrent à l’intérieur du corps. Je sais que les scientifiques disent que ça ne peut pas pénétrer la peau, ou juste un peu, mais c’est faux !"
Maux de tête, nausées...
Pour éviter toute onde électromagnétique, il ne possède pas de GSM, mais un téléphone fixe, n’utilise pas le Wifi chez lui et a posé la tour de son ordinateur à trois mètres de sa chaise. "J’ai réalisé que j’étais électrosensible vers 2003. J’étais dans l’informatique : j’installais des réseaux Internet. J’ai remarqué petit à petit que je n’étais pas bien. J’avais des maux de tête, des nausées, des sensations de brûlures, des palpitations… Quand je rentrais chez moi, ça disparaissait peu à peu. Tous ces symptômes cessaient lorsque je n’étais plus en contact avec les rayonnements."
Mais ensuite, il a commencé à souffrir de ces symptômes également chez lui. "Et là, je me suis rendu compte que mon voisin avait installé le Wifi." Il a donc quitté la ville et son appartement pour une maison quatre façades à Hoeilaart. Mais ce ne fut "qu’une étape" : en 2006, il s’est à nouveau senti malade. "Par un autre électrosensible, j’ai appris l’existence de la 3G. j’ai parcouru mon quartier : j’ai découvert qu’on y avait placé une antenne 3G."
Isolé à la campagne
Cela fait à présent cinq ans qu’Eric a quitté son métier et est parti "beaucoup plus loin" à la campagne, s’installer à la frontière française, dans une maison isolée, au milieu des bois et des champs, loin du Wifi et des antennes GSM. "Je n’ai plus de vie sociale, je ne vais nulle part. Mais ce n’est pas insurmontable : la vie sociale, c’est pour les jeunes !" Administrateur de l’ASBL Teslabel qui "lutte pour un environnement électromagnétique sain", il s’inquiète pour l’avenir. "Il n’y a presque plus de zones blanches (NdlR : exemptes d’ondes électromagnétiques) nulle part. Ma crainte perpétuelle, c’est qu’on installe une antenne GSM près de chez moi…"