La législation tarde sur de bien perturbants perturbateurs endocriniens
Le Tribunal de l’Union européenne a condamné mercredi la Commission pour avoir "manqué à ses obligations" dans un dossier en lien avec les perturbateurs endocriniens. "On est face à des centaines de substances", témoigne le professeur Alfred Bernard, toxicologue et directeur de recherches FNRS. Entretien.
Publié le 17-12-2015 à 14h34 - Mis à jour le 17-12-2015 à 14h35
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Le Tribunal de l’Union européenne a condamné mercredi la Commission pour avoir "manqué à ses obligations" dans un dossier en lien avec les perturbateurs endocriniens. "On est face à des centaines de substances", témoigne le professeur Alfred Bernard, toxicologue et directeur de recherches FNRS.
La Commission sanctionnée pour ne pas avoir légiféré dans les délais
La Commission européenne avait jusqu’au 13 décembre 2013 pour définir les critères scientifiques permettant de déterminer les propriétés qui, dans les biocides, perturbent le système endocrinien. On attend toujours.
Alors qu’en juillet 2014, introduisant un recours en carence, la Suède avait saisi la justice européenne pour ce non-respect du délai - à présent dépassé de deux ans -, le Tribunal de l’Union européenne a condamné, dans un arrêt publié mercredi, la Commission pour avoir "manqué à ses obligations" dans ce dossier s’inscrivant dans le cadre d’un règlement européen de 2012.
Ce dernier concernait la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides, utilisés pour lutter contre les organismes nuisibles pour la santé humaine ou animale. Cela, "dans le but d’améliorer la libre circulation des produits biocides dans l’Union, tout en garantissant un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement", explique le Tribunal de l’UE.
Justification du retard
Pour justifier le retard pris, la Commission avait invoqué la nécessité de procéder à une analyse d’impact, ce qu’aucune disposition n’exige, a précisé le Tribunal. Lequel a relevé que "la Commission ne peut pas s’appuyer sur le fait que les critères scientifiques qu’elle avait proposés ont fait l’objet de critiques, au cours de l’été 2013, au motif qu’ils ne seraient pas scientifiquement fondés et que leur mise en œuvre aurait une incidence sur le marché intérieur".
Le Tribunal a donc reconnu les torts de l’exécutif européen en la matière. Celui-ci peut encore déposer un pourvoi mais qui n’est pas suspensif. Selon une source proche du dossier, Bruxelles est à présent tenue de se conformer au règlement "dans un délai raisonnable".
La Suède s’est dite "très satisfaite" de la décision prise. Pour le gouvernement suédois, "l’importante tâche qui consiste à identifier et éliminer progressivement les perturbateurs endocriniens doit commencer". Bien que le jugement rendu mercredi concerne uniquement la législation sur les biocides, "il aura toutefois un impact sur d’autres domaines, comme l’utilisation de perturbateurs endocriniens dans les pesticides et les cosmétiques", estime-t-il.
On est face à des centaines de substances
Toxicologue, directeur de recherches FNRS, le Pr Alfred Bernard nous éclaire sur la grande complexité du sujet.
Pourquoi est-il si compliqué de définir ces critères scientifiques ?
Il suffit de voir la difficulté qui existe pour le bisphénol A. Imaginez ce que cela peut représenter lorsque l’on se trouve face à des centaines de substances, de surcroît utilisées dans des secteurs extrêmement variés, avec autant de réglementations différentes. Qu’il s’agisse de Reach (règlement européen pour protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques, NdlR), des biocides, des produits de protection des plantes (insecticides, pesticides, fongicides…), des cosmétiques, sans compter les directives sur l’eau potable et les équipements médicaux. Le défi auquel est confrontée la Commission consiste à harmoniser les critères d’identification et d’évaluation des risques des perturbateurs endocriniens pour des applications aussi diverses.
Sans compter la diversité des approches…
En effet, selon les secteurs, les approches ne sont pas les mêmes. Pour les plantes, par exemple, on évalue surtout le danger et un peu les risques alors que pour les biocides on tient compte, en plus, des implications socio-économiques. C’est-à-dire des effets positifs.
A cela s’ajoute le manque de consensus dans la communauté scientifique…
C’est exact. Et là, le débat est en grande partie lié au fait que, pour beaucoup de ces substances, on ne possède pas de données épidémiologiques concluantes chez l’homme, permettant de faire un classement rapide. On travaille donc par extrapolation à partir de données chez l’animal et issues de tests in vitro souvent peu prédictifs des risques pour l’homme. Selon les comités d’experts, les approches diffèrent pour des substances présentes dans tous les domaines de la vie courante. D’où la grande difficulté de trouver un consensus scientifique. Ceci étant, beaucoup de perturbateurs endocriniens sont déjà réglementés sur la base de propriétés toxiques (mutagènes, cancérigènes ou reprotoxiques) pour lesquelles il existe plus de consensus.
Ces risques sont-ils trop médiatisés ?
Il y a certainement une pression médiatique et la Suède est un pays particulièrement sensible et habitué à secouer la Commission. Il y a une sorte d’instrumentalisation ; la médiatisation n’est en effet pas toujours proportionnelle au risque. Le parabène en est un bon exemple. Il existe des centaines de substances qui ont des propriétés de ce type en termes de danger mais beaucoup à des niveaux d’exposition tels qu’ils ne comportent aucun risque pour l’homme. Il faut éviter de retomber dans le travers du parabène où l’on a pratiquement banni ce produit alors qu’il existe d’autres conservateurs bien plus dangereux et plus allergisants. Il ne sert à rien d’amplifier certains risques et d’arriver avec un substitut plus nocif. Imaginez que l’on mette demain, sur toute une série de produits, la mention "perturbateur endocrinien", alors que le risque n’est peut-être pas avéré. Si la Commission avance prudemment, c’est que les répercussions au niveau de la population et de l’économie sont très importantes.
Est-ce la nature du perturbateur, la dose ou la durée d’exposition qui importe ?
Pour les perturbateurs endocriniens, c’est avant tout le moment d’exposition qui est important ; lorsque les organes se développent c’est-à-dire pendant la grossesse et la petite enfance. Perturber la messagerie cellulaire à ce moment-là est évidemment dangereux.
Peut-on parler d’une bombe à retardement ?
Honnêtement, non, car cela fait maintenant quelques années que l’on étudie ces substances. Les concentrations étaient autrefois bien plus élevées qu’elles le sont maintenant. Les contrôles sont beaucoup plus stricts et les législations ont bien progressé. Il y a, à mon avis, d’autres bombes à retardement, comme le réchauffement global, la pollution par les particules fines… L’impact des perturbateurs me semble beaucoup moins critique.