"Oui, on peut avoir une histoire d'amour et vivre normalement avec une personne séropositive"
Le 1er décembre marque chaque année la journée mondiale de lutte contre le sida. En Belgique, 1.039 nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2014, c'est 8% de moins que l'an passé. L'élimination de la maladie est-elle envisageable? Comment évolue le traitement? Le directeur de la Plate-forme Prévention Sida nous explique les avancées en la matière. Thierry Martin est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Publié le 30-01-2016 à 11h45
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Le 1er décembre marque chaque année la journée mondiale de lutte contre le sida. Un fléau mondial qui reste tabou puisqu'il touche à la sexualité et qu'il recouvre des sujets discriminants comme l'homosexualité, la toxicomanie, la prostitution, ... En Belgique, 1.039 nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2014, c'est 8% de moins que l'an passé. C'est toujours trop, mais ces personnes ont un avenir devant elles; un avenir de santé et un avenir affectif. L'élimination de la maladie est-elle envisageable? Comment évolue le traitement? Le directeur de la Plate-forme Prévention Sida nous explique les avancées en la matière. Thierry Martin est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
A l'approche de la journée mondiale du sida, un bilan chiffré a été rendu public par l'Institut de santé publique. Ils sont encourageants pour la Belgique alors que les chiffres de contamination diffusés par l'OMS sont plus inquiétants, en 2014 142.000 personnes supplémentaires sont désormais porteurs du virus. Au niveau de la Belgique, ce sont effectivement des résultats encourageants car pour la première fois depuis 15 ans, cela diminue. Mais cela reste encore très élevé.

Thierry Martin dirige la plate-forme Prévention-Sida depuis sa création en 1999.
Comment peut-on expliquer ces chiffres belges ?
D'abord, les messages des professionnels de la prévention ont été entendus. D'autre part, je ne peux m'empêcher de penser que ces chiffres ne représentent peut-être pas toute la réalité. Une partie des populations étrangères qui arrivent dans notre pays passent à travers les mailles du dépistage. Ils n'y pensent pas, ne savent pas à qui s'adresser, ... Cela peut aussi expliquer cette diminution.
Les jeunes sont-ils réceptifs à vos informations de prévention ?
C'est vrai qu'ils sont un de nos publics cibles et nous allons ponctuellement dans les écoles parfois primaires, surtout secondaires. Dans les premières, nous insistons davantage sur le vivre ensemble, la solidarité envers les personnes touchées. Auprès des adolescents, le message est davantage ciblé sur la sexualité. Et l'on sent à chaque fois une grande attention dans les classes. Mais notre objectif est davantage de sensibiliser celles et ceux qui sont des relais dans les écoles comme les plannings, les PMS, les PSE. Car il n'y a pas que l'information, le suivi est important ! Les interventions dans les classes ouvrent la porte à des questions, des inquiétudes, des situations difficiles. Les interventions sur le sida doivent être intégrées dans une approche plus globale d'éducation sexuelle, relationnelle. La sexualité, c'est aussi du plaisir. A un moment où les adolescents se construisent, c'est important pour eux d'envisager la sexualité dans une approche globale.

Désormais, on parle d'infections sexuellement transmissibles (IST) et plus de maladies sexuellement transmissibles, pourquoi ?
En fait, le terme d'infection est plus juste, on peut être porteur d'un virus sans être malade pour autant. Il faut noter que les IST sont aussi en progression très nette, la syphilis chez les hommes, l’infection à chlamydia surtout chez les jeunes et chez les femmes notamment. Le port du préservatif, encore et toujours, est crucial dans ce domaine.
Dans votre nouvelle campagne dévoilée en novembre, vous mettez des images et des mots simples sur la notion relativement nouvelle, concernant le VIH, d'indétectabilité. Cela veut dire que la prise de traitement régulière entraînera chez la personne vivant avec le VIH une charge virale indétectable. Cela change-t-il beaucoup de choses dans la vie quotidienne ?
La charge virale, c'est la quantité de virus présente dans le sang et les sécrétions sexuelles. Une personne séropositive qui a un suivi médical régulier et prend correctement son traitement peut arriver à avoir une charge virale indétectable, c’est-à-dire tellement réduite qu’on n’arrive plus à la détecter dans le sang. Attention, la personne reste séropositive et sous traitement tout au long de sa vie. Mais cela signifie que les traitements empêchent la transmission du VIH vers d’autres partenaires. Une avancée déterminante en ce qui concerne la propagation du VIH. C'est aussi une avancée humaine et sociale. La notion d’indétectabilité, souvent associée à la notion de non-infectiosité, doit modifier la représentation du VIH au niveau du grand public en dédramatisant les personnes vivant avec le VIH : elles ne sont plus des personnes "contaminantes", mais bien des personnes comme tout le monde, avec qui on peut mener une histoire d'amour et oui, une vie normale ! Les avancées en matière de traitement sont aussi à évoquer. Aujourd'hui, on prend 1, 2 ou 3 cachets par jour et non plus 10 ou 15 comme auparavant. Cela change tout dans une vie quotidienne...
Très concrètement, les personnes avec une charge virale indétectable vivant en couple peuvent se passer de préservatif alors ?
C'est effectivement possible dans un couple stable et fidèle, si le séropositif prend son traitement de manière tout à fait régulière. Après en avoir discuté ensemble et avec un médecin.

Plus le dépistage est précoce et plus les chances d'arriver rapidement à l'indétectabilité sont fortes ?
Oui, et plus on est détecté précocement, plus la qualité de vie s'améliore sur le long terme. D'autre part, la détection précoce enraye la contamination d'une personne à une autre. D'ailleurs, c'est désormais l'un des mots d'ordre de l'Organisation Mondiale de la Santé qui en septembre 2015 a fait paraître ses nouvelles "guidelines" incitant tous les professionnels concernés par le sida/VIH à informer et traiter précocement les personnes dont on découvre qu'elles sont porteuses du VIH. Maintenant, cette nouvelle approche médicale doit encore être traitée dans les faits et l'Inami doit changer ses critères pour que le remboursement soit effectif.
Les nouvelles thérapies sont efficientes, c'est un fait : on ne meurt presque plus du sida...
C'est vrai, on compte une cinquantaine de cas en Belgique : ce sont des personnes étrangères qui arrivent sur le territoire avec un système immunitaire affecté à un stade très avancé de la maladie et pour lesquels on ne peut plus rien faire. Certaines personnes arrêtent aussi leur traitement, par volonté. En revanche, il faut aussi souligner que les personnes séropositives ont plus de risques de développer en vieillissant une maladie potentiellement mortelle comme un cancer.

L'élimination de la maladie est envisageable ?
On va dans le bon sens. On a tout un arsenal d'objectifs réalisables lancés par l'OMS à l'horizon 2020 : ce sont les 90-90-90. Soit 90 % de personnes séropositives doivent être dépistées, 90 % d'entre elles doivent pouvoir suivre un traitement efficient et 90 % de ces séropositifs en traitement doivent atteindre une charge virale indétectable. Ce qui freinera drastiquement la contamination.
Si la détection précoce est la clé, pourquoi ne pas imposer un dépistage obligatoire ?
Les politiques internationales sont contre cette idée au nom de la liberté individuelle et du choix éclairé de chaque individu à disposer de lui-même. Mais l'on demande toujours et encore aux professionnels de la santé d'en parler avec leurs patients, de leur expliquer les enjeux et de faire connaître toutes les possibilités de détection qui existent comme le hometesting, les centres de dépistage gratuit, ...
Pouvez-vous évaluer le poids de vos campagnes ?
Je sais qu'un million de préservatifs sont distribués et en grande majorité utilisés, je peux évaluer si les gens ont été touchés par notre message et l'ont compris par les réactions que les campagnes provoquent mais, non je ne peux pas évaluer mathématiquement l'impact. Les résultats en baisse sont un élément à prendre en compte aussi très certainement.
Concrètement, que faites-vous pour organiser la prévention à Bruxelles et en Wallonie ?
Six personnes travaillent à la PPS, nous organisons deux grandes campagnes par an. L'une avant l'été, pour inciter à la prudence, encore et toujours car la période est plus sensible, les rencontres se font plus nombreuses : l'utilisation du préservatif, le dépistage sont les axes de cette communication. L'autre a été lancée en novembre, comme les autres avant, elle entend faire passer clairement un message : les séro-positifs ont un avenir. Et des événements ponctuels d'information sont régulièrement organisés aurpès du public le plus large.
Entretien: Elodie Weymeels