Un trésor d'échantillons biologiques congelés dans une cryothèque
L'Institut de Duve et les laboratoires de recherche de l'UCL se sont dotés, à Woluwe, d'un nouvel espace de stockage. De quoi conserver en tout sécurité un précieux matériel. Lignées cellulaires, prélèvements sanguins, échantillons de tumeur... Visite.
Publié le 21-06-2016 à 18h22 - Mis à jour le 21-06-2016 à 21h05
Le samedi 8 juin 2013 est une date que beaucoup n’oublieront jamais aux cliniques universitaires Saint-Luc. Ce jour-là, effectuant des travaux, une pelleteuse a malencontreusement arraché un câble électrique, entraînant une coupure de courant qui durera pas moins de sept heures. Des heures interminables de cauchemar pour les équipes soignantes et, a fortiori, les patients.
Pour l’équipe de techniciens aussi.
Et ce n’est certainement pas Alain Buisseret, directeur du département technique de l’Institut de Duve qui le démentira. "Quand il faut faire des choix entre fournir le courant provenant du groupe électrogène de secours pour un patient en train de subir une greffe de foie ou pour alimenter un congélateur qui conserve des échantillons biologiques, on n’hésite pas. Il y a des priorités, même si l’on sait que les chercheurs tiennent à ces échantillons comme à la prunelle de leurs yeux."
De fait, s’il comprend bien évidemment que la vie passe avant tout, le Pr Patrice Cani (voir ci-dessous) a vu, avec cette panne de courant, cinq années de recherches réduites à néant. Prélèvements sanguins, selles, bactéries… tous les échantillons biologiques collectés et conservés depuis des années pour ses travaux de chercheur dans le domaine des troubles métaboliques ont été détruits, victimes de la décongélation involontaire consécutive à la sinistre panne d’électricité.
Système hyper sécurisé
Il aura fallu ce malheureux incident, suite auquel certains laboratoires ont payé très cher les dégâts de leurs archives biologiques, pour que les cliniques Saint-Luc prennent conscience de la nécessité de trouver un moyen sûr de conserver les précieux échantillons biologiques. Ainsi est née la nouvelle cryothèque de pointe à présent opérationnelle, que nous avons pu visiter.
Avant de pénétrer dans l’antre, il faut s’assurer que le voyant passe au vert. Sur la porte, on peut lire (en anglais) "Je suis invisible, silencieux, inodore, mais je tue." Dans le sas, pour avertir de la présence d’éventuels intrus, ce sont des caméras de surveillance et des détecteurs d’incendie qui assurent à leur façon la sécurité du très cher contenu de cet ancien local de travaux pratiques reconverti en cryothèque.
Moins glamour que les congélateurs des magasins de surgelés Picard, des équipements frigorifiques de deux types sont alignés, parfois flanqués d’une inscription telle "Freezer 1, laboratoire oncologie". D’un côté, se trouvent 20 grandes cuves cylindriques intelligentes, qui s’approvisionnent automatiquement en continu à l’azote liquide à - 190°C et, de l’autre côté, 32 super congélateurs électriques à -80°C, d’âges variés, allant du plus ancien au plus moderne, mais tous alimentés automatiquement en cas de panne électrique par de l’azote liquide.
Température minimale, sécurité maximale
Situé dans les sous-sols des bâtiments du site de Woluwe, ce nouvel espace permet dorénavant de stocker et congeler à très basse température et à long terme cet inestimable matériel de recherche (cellules sanguines, échantillons de tumeurs à différents stades de développement, lignées cellulaires…).
Au total, la cryothèque peut contenir jusqu’à plus de deux millions d’échantillons, soit 360 000 pour les cuves alimentées à l’azote liquide à -190°C et 1 800 000 pour les congélateurs à -80°C. Et cela, avec une sécurité optimale. Seul un tremblement de terre pourrait les menacer, à en croire l’expert technique.

Dans un congélateur, à - 80° C, 20 000 doses d’une précieuse bactérie
Essayer de comprendre comment les bactéries qui se trouvent dans l’intestin pourraient avoir un impact sur notre métabolisme, et cela, plus spécifiquement dans le cadre de l’obésité et du diabète de type 2: c’est, en résumé, ce sur quoi portent les travaux de Patrice Cani, professeur à l’UCL, au sein de Louvain drug research Institute (LDRI), chercheur FNRS et Welbio.
"Il y a quelques années, lors de nos recherches, nous avions trouvé une bactérie, appelée Akkermansia muciniphila, dont on a pu démontrer les effets d’amaigrissement sur l’animal", nous explique le chercheur. Restait à savoir si l’administration de la fameuse bactérie pouvait avoir chez l’homme des effets similaires sur le syndrome métabolique. Pour réaliser une telle étude clinique, il a fallu pouvoir produire à grande échelle ladite bactérie et ensuite, la stocker à -80° C.
Du matériel stocké pour être analysé
C’est ici qu’intervient la cryothèque où, dans l’un des 32 congélateurs, sont déjà conservées quelque 20 000 doses de la précieuse bactérie. Lesquelles seront systématiquement analysées, pour voir si elles n’induisent pas d’effets secondaires et pour savoir si elles jouent un rôle sur la cholestérolémie, sur la composition de l’intestin, par exemple.
Certains échantillons seront aussi conservés comme matériel pour de futures études.
"Ce congélateur à -80° C, dans lequel nous avons décidé d’investir, nous permet de réaliser notre étude d’intervention chez l’homme avec des échantillons conservés dans des conditions extrêmes de sécurité, nous dit le Pr Cani . Une fois produites, les bactéries sont aussitôt stockées dans le congélateur. Et l’on sait que, si par malheur le congélateur devait tomber en panne, s’il devait y avoir une coupure de courant ou une difficulté quelle qu’elle soit en termes d’approvisionnement d’électricité, on a un système de back up qui permet non seulement de monitorer la température en permanence, mais aussi d’amener de l’azote liquide dans les congélateurs si l’on devait par exemple refroidir d’urgence ou maintenir froids nos échantillons."
Outre le coût de production de cette bactérie, qui s’élève à plusieurs centaines de milliers d’euros, il y a tous les échantillons biologiques humains (sang, urines, matières fécales…) des sujets patients enrôlés dans l’étude. Mais aussi le prix inestimable des années de recherche. "Cela peut paraître incroyable de nous voir ainsi excités pour une simple zone de stockage d’échantillons à froid, mais pour nous, chercheurs, le fait de pouvoir conserver tout ce matériel de travail avec une sécurité maximale est unique, souligne le Pr Patrice Cani. Il faut dire que, sur ma jeune carrière scientifique de 15 ans, j’ai perdu à deux reprises tous mes échantillons suite à une panne et à une coupure de courant."

Une sécurité optimale
La sécurité d’approvisionnement en azote est assurée par une liaison directe des cuves à un réservoir de 5250 litres d’azote liquide situé aux abords du bâtiment.
La conservation des échantillons archivés dans les congélateurs est assurée par l’injection possible d’azote liquide à partir du réservoir extérieur, en cas de fonctionnement dans un mode dégradé.
La sécurité électrique est assurée par des groupes électrogènes en cas de panne de courant.
Face à des actes de malveillance, la sécurisation des échantillons est assurée par divers systèmes : badges, alarmes, caméras de surveillance…
En cas de fuite accidentelle d’azote , la sécurité des utilisateurs (risque d’asphyxie) est assurée par un système de détection d’oxygène.