L’année des "savanturiers"
L’aventure scientifique, c’est le thème de l’année académique à venir à l’UCL, qui mettra à l’honneur ses "savanturiers". Chercher, c’est parfois partir à l’aventure sur le terrain, mais c’est aussi explorer ce qui est encore inconnu, depuis son labo. Les deux démarches ont leur part de risques, assure le biologiste René Rezsohazy, pilote de cette année thématique. Rencontre.
Publié le 29-06-2016 à 07h42 - Mis à jour le 29-06-2016 à 07h44
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/3KGGOFHD6RGUVNCJ7SMPTX4NAY.jpg)
L’année académique est en train de se terminer, mais à l’UCL, on pense déjà à la rentrée prochaine. Après l’utopie en 2015-2016, l’année académique 2016-2017 sera placée sous le thème de l’aventure scientifique. Divers événements s’adresseront au grand public : expositions, conférences, animations… Histoire de découvrir (entre autres) qu’être chercheur, c’est d’abord être "savanturier", comme l’assure le biologiste René Rezsohazy, pilote de cette année thématique.
En quoi le savant, le chercheur, peut-il être un aventurier ? On l’imagine plutôt en rond-de-cuir dans son bureau ou son labo…
Il faut absolument bannir cette idée-là ! Même parmi nos collègues de l’administratif, il y en a qui disent : ‘ce que ça doit être barbant, d’être scientifique, toute la journée dans son labo et/ou son bureau.’ Non ! Au moins à deux titres. Le plus évident : il y a beaucoup de scientifiques qui sont sur le terrain. Je vais prendre quelques exemples, passionnants. Je pense par exemple à mon collègue Bernard Hallet, qui étudie la biologie d’un petit animal. Cet été, pendant plusieurs semaines, il va partir en voilier dans le Grand Nord, pour faire de l’échantillonnage. Mon collègue Philippe Lefèvre a lui souvent fait des vols paraboliques en avion pour avoir des périodes d’apesanteur pour ses expériences. Ce n’est pas vraiment le rond-de-cuir dans son bureau ! Ou encore Patrick Meyfroidt, qui travaille sur la gestion des terres cultivées au Mozambique notamment. Il s’y est rendu récemment, il a traversé des régions aventureuses, car la guérilla est encore en cours dans le pays… Des scientifiques qui vivent de telles aventures, sur le terrain, qui prennent des risques, j’en connais plein !
Mais la plupart des chercheurs ne partent pas tous les ans au Mozambique ! Sont-ils pour autant des aventuriers ?
C’est la deuxième notion d’aventure, qui est peut-être moins intuitive. Même dans un petit labo comme le mien ici, on est dans l’aventure scientifique, à partir du moment où l’aventure, c’est se mettre en danger, prendre des risques. Mais mentalement, intellectuellement. Tous les jours, dans le labo, les étudiants et moi, on est sur des questionnements qui sont aux frontières des connaissances. L’aventure, c’est explorer, c’est partir, c’est traverser les frontières, traverser les mers. On peut le faire au propre; on peut le faire au figuré. Tous les chercheurs de cette université - et des autres ! - ont dans leur fonction de recherche, pour mission, d’être aux frontières du monde connu et de repousser ces frontières. Ça, c’est de l’aventure ! Moi, je ne pars pas en bateau, ou sur des volcans, mais dans ce labo, à des dimensions parfois toutes petites, on se dit chaque jour : ‘ah, c’est comme ça que ça marche ?’ ‘tiens, j’avais jamais vu ça’… Par exemple, ici, au labo, on étudie les interactions entre protéines, ces molécules au cœur du vivant. Nous avons mis en évidence des interactions que personne n’avait jamais vues. Ça ne fera jamais de prix Nobel ou de prix Francqui ! Mais quand on a trouvé ça, tout le monde s’est excité, c’était jouissif ! Tous les chercheurs ont comme métier d’essayer de voir des choses que personne n’a jamais vues.
Pourquoi dites-vous qu’il y a une part de risque dans cette aventure intellectuelle ?
Parce que c’est tellement confortable d’être convaincu que tout le monde connu est à notre portée… Un monde dogmatique, de pensée prémâchée, c’est reposant ! Mais le credo n°1 du scientifique, ce n’est pas de générer des certitudes ! La certitude, c’est du dogmatisme. La mission, la vertu première du scientifique, c’est le doute. Et douter, ce n’est pas confortable. Dans toute proposition scientifique, il doit y avoir en germe ce qui la rend réfutable. Cela non plus, ce n’est pas confortable. En fait, on est dans un bouillonnement intellectuel permanent.
Pourquoi vouloir conter ces "aventures" au grand public, lors de cette année à thème ?
C’est multiple. Tout d’abord, transmettre notre enthousiasme et notre excitation de chercheur par rapport à la beauté de la science. Faire comprendre aussi qu’il n’y a pas de besoin d’avoir peur de la science, qui est pourtant délégitimée dans la société, trop souvent à tort. L’utilisation de la science, c’est un autre problème, mais la génération de connaissances, c’est un acte d’humanisme ! Nous voulons également toucher la jeunesse, souvent perplexe lors des choix en fin de Rhéto. Et qui pense très souvent d’abord à des études dont les débouchés en terme de métier sont très facilement identifiables. L’idée est enfin de montrer ce qu’on fait et à quoi ça sert, la multitude et le foisonnement en matière de recherche. Qu’il y a un continuum entre la recherche fondamentale et les débouchés dans la société (lire ci-contre). Nous les chercheurs, nous ne vivons pas dans une tour d’ivoire.
"La recherche, même la plus absurde, est un service à la société"
Un chercheur qui cherche, on en trouve, un chercheur qui trouve, on en cherche." Voilà une petite phrase qui fait bondir René Rezsohazy. Pour lui, tous les chercheurs trouvent - même si ce ne sera pas forcément le remède miracle contre telle ou telle maladie -, et contribuent à repousser les limites des connaissances. Il ajoute que pour cette "Université de recherche" qu’est l’UCL, l’année thématique est l’occasion de souligner l’importance de la recherche fondamentale et de son rôle dans la société.
La recherche, même celle qui paraît la plus absurde, est un service à la société, dites-vous ?
Il faut sortir de l’idée que ces recherches sont désincarnées, gratuites, ne sont là que pour faire joujou, flatter l’ego des chercheurs. L’aventure scientifique alimente deux choses importantes au sein de l’université. Evidemment, l’enseignement : comment on élabore un modèle, comment on explique la réalité avec les mots de la science… L’université, c’est un lieu où on enseigne, où on forme la jeunesse. Par essence, l’activité du chercheur, c’est d’œuvrer pour le patrimoine de l’humanité. On peut breveter des inventions - elles appartiennent alors à quelqu’un -, mais les découvertes, elles, ne sont pas brevetables, elles appartiennent à l’humanité. Ce patrimoine est indispensable à la formation, mais - et ça, il faut absolument le faire comprendre aux gens, y compris à certains décideurs politiques - la recherche la plus fondamentale et qui peut paraître complètement absconse et absurde, alimente aussi le service à la société, le développement socio-économique.
Un exemple concret ?
Ici, on a notre collègue Thierry Hance, qui étudiait le comportement des acariens. On peut se dire : ‘mais c’est idiot, qu’est-ce qu’on s’en fout’. Hé bien pas du tout. En ayant étudié leur communication chimique, il a trouvé les molécules qui permettent d’attirer les acariens. L’étape suivante, c’était de faire des couvertures imprégnées de ces molécules; en la mettant sur un matelas, tous les acariens remontent dans cette couverture. On replie la couverture, on la met ensuite à la machine à laver, et le matelas est désinfecté. Ces couvertures ont un succès fou ! Un jour ou l’autre, une recherche fondamentale se traduit en termes de développement, d’application. Il est inconcevable d’inventer sans avoir découvert. Il n’y a pas une seule invention qui ne trouve sa source dans de la recherche fondamentale, qui peut même avoir été faite 5 ou 20 ans auparavant.
La recherche appliquée, elle, se mène dans un objectif pratique déterminée…
Si on dit : ‘il faut plus de recherche appliquée, car on a suffisamment payé la recherche fondamentale’… Non. il y a un continuum entre la recherche fondamentale, et puis petit à petit, les idées, les inventions, leur mise en application, et enfin l’ensemencement du tissu industriel. Ce continuum, il fonctionne, il ne faut pas le briser. Et il est fragilisé, je pense, quand on ne finance pas assez la recherche fondamentale.
Une année d’aventures dans "La Libre"
"La Libre Belgique" sera le partenaire médiatique de cette année de l’aventure scientifique à l’UCL. Dans ce cadre, "La Libre" vous proposera au cours de l’année académique 2016-2017 des portraits, des reportages et des interviews en lien avec ces aventuriers de la science. A l’UCL, l’année sera marquée par plusieurs grands évenements. Par exemple :
Septembre. Rentrée académique et publication du livre "Profession savanturier". L’aventure au coin de la science.
Février. Cérémonie des docteurs honoris causa.
Mars. Printemps des sciences. Certaines des activités de ce festival de la vulgarisation scientifique seront consacrées à la thématique.
Mai. Tenue d’un TEDxUCLouvain, conférences centrées autour des idées innovantes. Au printemps 2017 doit aussi s’ouvrir le tout nouveau Musée L qui fera place à l’aventure scientifique.
Plusieurs manifestations auront également lieu au cours de l’année autour du 50e anniversaire du décès de Georges Lemaître, père de la théorie du Big Bang.