Polémique concernant nos terrains synthétiques: dangereux et cancérigènes?
Les dalles amortissantes des plaines de jeux et les pelouses de sport artificielles sont au cœur d’un débat international de santé. Eclairage.
Publié le 31-10-2016 à 15h49 - Mis à jour le 03-11-2016 à 23h08
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Les dalles amortissantes des plaines de jeux et les pelouses de sport artificielles sont au cœur d’un débat international de santé. Aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, les terrains synthétiques (toutes disciplines confondues) sont au cœur d’un vaste débat. En cause ? Les billes de caoutchouc qui densifient la surface du terrain. Elles sont accusées d’être à l’origine de certains cancers.
Le nombre important de cas de cancers de jeunes enfants jouant au football (surtout des gardiens de but) a éveillé les soupçons. Le lien a été fait entre les granulés de caoutchouc et la maladie.

Ces petites billes sont faites à partir de vieux pneus recyclés. Elles contiennent de nombreuses substances potentiellement cancérogènes, comme le MTB, le benzopyrène, du noir de carbone… Les dalles amortissantes que l’on voit dans certaines plaines de jeu seraient également pointées du doigt puisqu’elles sont faites à base de matériaux similaires (pneus recyclés), mais contenant en plus des colorants.

Une étude internationale est actuellement en cours afin d’évaluer les risques réels de ces microbilles sur la santé. Elle est menée par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), les États-Unis et la Fifa. "Les résultats de cette publication sont attendus en février 2017", nous précise-t-on au cabinet de la ministre fédérale de la Santé Maggie De Block. "S’il devait toutefois ressortir de l’étude menée par l’ECHA que l’utilisation de ces granulés de caoutchouc représente un risque pour la santé, les règles seront alors renforcées."
Des Règles et des contrôles stricts
Pour la Wallonie, c’est Infrasports qui "propose un cadre normatif fixant les exigences de qualité et les performances minimales requises des sols sportifs, tant intérieurs (salles de sports) qu’extérieurs (pistes d’athlétisme, terrains de tennis, terrains en gazon naturel et synthétique)."

Le cabinet de la ministre fédérale de la Santé tient à l’œil toute toxicité potentielle de ces terrains. Des règles strictes sont déjà en vigueur : "En ce moment, les fabricants de ces granulés en Europe doivent respecter les valeurs maximales fixées par la loi, à savoir 100 mg/kg pour le benzopyrène et 1.000 mg/kg pour les autres HAP", nous précise-t-on au cabinet de Maggie De Block. "Cette législation, applicable à ce que l’on appelle les mélanges destinés à être utilisés par des consommateurs correspond au Règlement européen REACH (les points 28-29-30 dans l’annexe XVII). Comme pour de nombreux autres produits sur le marché, il existe des normes de sécurité et ces produits sont donc bien contrôlés dans notre pays."

Près de 130 terrains en Wallonie
Leur nombre ne cesse de croître en Belgique.
Aujourd’hui, jouer au football, au hockey ou encore au rugby sur un terrain synthétique n’est pas rare. Les centres sportifs en ont souvent un (voire plus) au sein de leurs infrastructures. En Wallonie et à Bruxelles, leur nombre exact ne nous a pas été communiqué par les autorités régionales compétentes en la matière.
Mais il semblerait que ce chiffre soit relativement important. Près de 130 terrains synthétiques accueilleraient des sportifs en Région wallonne.

S’il y a quelques années, ce type de terrain était la bête noire des sportifs (mauvais rebond du ballon, terrain plus glissant, surfaces jugées trop dures, brûlures lors de chutes…), force est de constater qu’aujourd’hui ils font partie du décor. Ils s’ajoutent aux pelouses existantes sans les remplacer. Ils sont utilisés en back-up dans certains cas. En effet, si on les utilise plus souvent, les clubs préservent des terrains naturels parfois fortement abîmés par de fortes pluies ou des utilisations intensives…
Les terrains synthétiques sont de plus en plus prisés par les infrastructures sportives. Ils demandent peu d’entretien et sont praticables, de façon intensive ou non, tout le temps.
D’où un succès croissant pour ces pelouses sportives artificielles. Au cabinet de René Collin, ministre en charge du Sport en FWB jusqu’en juin dernier, on affirme que "depuis 2009, quelque 85 nouveaux terrains synthétiques supplémentaires" se sont ajoutés aux existants.

"L’air pollué est plus cancérogène que ces billes"
Pour le toxicologue Alfred Bernard, le degré d’exposition et la dose absorbée seraient faibles.
Pour Alfred Bernard, toxicologue et professeur à l’UCL, il est important de préciser que ce sont les "propriétés des substances" reprises dans la composition de ces billes qui "pourraient être cancérigènes". Il se questionne et tempère. "Il faut évaluer le risque quant à la dose absorbée et le degré d’exposition".
Selon lui, il y a "deux voies d’exposition". La première, c’est "le contact direct. Le contact est possible quand un jeune tombe, mais les billes ne franchissent pas la peau. Même si le joueur se blesse, la bille ne pénètre pas. On nettoie la blessure. L’autre moyen, c’est l’inhalation. Mais il y a peu de risque que ces billes atteignent le poumon profond au vu de leur taille. De la poussière est possible, mais à nouveau, tout est question de taille des particules."
Il se prononce en son nom personnel et attend d’éventuels résultats scientifiques en février 2017. Mais Alfred Bernard nuance : "Il faut une exposition continue. Ici, les joueurs s’exposent sans doute 10 heures maximum par semaine. Généralement, on ne voit les résultats, en moyenne, que 15 ou 20 ans ap rès. Je ne paniquerai pas."
Il ne cède pas à cette angoisse ambiante qui règne aux Pays-Bas, notamment : "L’air pollué des villes et plus cancérogène que ces billes, selon moi. Dans l’air des villes, on trouve des particules fines qui proviennent, entre autres, des pneus. L’exposition à ces substances, comme le benzène, est continue et ces particules vraiment fines."

230 ex-sportifs atteints du cancer
En 2014 déjà, les États-Unis avaient révélé que des sportifs évoluant sur des terrains synthétiques luttaient contre le crabe.
Lewis McGuire, un jeune Britannique atteint d’un lymphome, affirme l’avoir contracté à cause de ses contacts réguliers avec des terrains synthétiques. Il s’est entraîné durant 12 semaines sur le terrain artificiel de Leeds United. Son père, Nigel, en est certain : ce sont les microbilles sous la pelouse qui sont responsables du cancer de son fils.
Ce père de famille, qui a arrêté de travailler, consacre désormais son temps à la recherche et aux soins de son fils. Il tient une liste d’anciens sportifs évoluant sur du gazon synthétique qui luttent (ou ont lutté) contre le cancer. Quelque 230 personnes figurent sur sa liste. La Fifa, interpellée, ne veut pas entendre parler de cause à effet tant que le lien entre les deux n’est pas avéré. L’enquête est en cours (voir plus haut).
Aux Pays-Bas, le débat est relancé également. Plus d’une trentaine de matches amateurs ont été annulés à la suite de cette suspicion. Le gouvernement et la fédération néerlandaise de football ont demandé des analyses au ministère de la Santé afin d’en avoir le cœur net.
Ce n’est pas la première fois que ces terrains synthétiques sont décriés pour leurs atteintes à la santé des enfants. La chaine américaine NBC avait rapporté un grand nombre de cancers auprès des jeunes joueurs, surtout des gardiens de but.
Amy Griffin, coach d’une équipe de jeunes footballeuses à Washington, avait fait le lien en 2014. En se rendant à l’hôpital, elle a entendu parler de nombreux cas de cancers chez les jeunes joueurs.
Elle a mené l’enquête et a fini par compiler 38 cas de jeunes footballeurs. 34 d’entre eux étaient des gardiens de but. Ceux-ci auraient été plus souvent en contact avec le sol reconstitué artificiellement : ils se jetaient au sol pour rattraper la balle, sautaient, et avaient la balle en mains après de nombreux rebonds…
À Vancouver, la régie de la santé avait également été interrogée à ce sujet. Elle a finalement déclaré que le lien n’était pas avéré et que le taux de particules cancérigènes sur les terrains était semblable à celui qu’on trouve dans l’air des villes.