Pour éviter l'allergie durable aux arachides, donnez aux bébés des aliments contenant…des cacahuètes!
Publié le 06-01-2017 à 18h38 - Mis à jour le 09-01-2017 à 19h09
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Pour éviter l'allergie durable aux arachides, donnez aux bébés des aliments contenant …des cacahuètes!
Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, dit-on. Les scientifiques ne sont clairement pas…des imbéciles. Il y a 17 ans, l'American Academy of Pediatrics publiait des recommandations selon lesquelles les parents devaient éviter de donner des aliments contenant de l'arachide à des enfants avant l'âge de trois ans. Voici qu'aujourd'hui, toujours aux Etats-Unis, l'Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) vient de recommander exactement le contraire.
Pour éviter le développement d'une allergie durable à l'arachide, les autorités sanitaires américaines recommandent à présent de faire consommer des aliments contenant des cacahuètes très tôt chez les nourrissons, soit dès quatre mois. Alors que des articles en ce sens étaient déjà parus l'été dernier dans le "New England Journal of Medicine", les nouvelles directives, publiées jeudi, conseillent pour les nourrissons présentant un risque élevé d'allergie à l'arachide, à savoir des enfants ayant de l'eczéma ou qui sont allergiques aux œufs, de commencer à leur donner des aliments contenant de l'arachide entre quatre et six mois. Pour les jeunes enfants souffrant modérément d'allergie, le NIAID suggère de commencer à leur faire consommer de l'arachide à six mois. Enfin, pour les bébés ne souffrant d'aucune allergie, les parents peuvent commencer à leur donner des produits contenant de l'arachide dès qu'ils peuvent consommer de tels aliments.
Pour justifier ces nouvelles recommandations, le NIAID se réfère à une étude clinique effectuée par ce même institut.
Ces travaux avaient pour la première fois montré que le fait de consommer régulièrement des cacahuètes dès quatre mois et jusqu'à l'âge de cinq ans réduisait de 81% le taux d'allergie chez des enfants à risque par rapport à ceux qui n'en avaient jamais consommé. Menée sur 640 enfants, cette étude avait été réalisée sur la base d'observations faites en Israël, où très peu d'enfants souffrent d'allergies aux cacahuètes comparativement à de jeunes juifs de mêmes origines "ancestrales" vivant au Royaume-Uni.
"Ces nouvelles recommandations vont sauver des vies et réduire les dépenses de santé, a déclaré le Dr Anthony Fauci, directeur du NIAID. Une application étendue de ces recommandations par les médecins empêchera le développement d'une allergie à l'arachide chez un grand nombre d'enfants qui y sont sujets et finira pas réduire la fréquence des cas aux Etats-Unis".
L'allergie aux cacahuètes est un problème de santé publique dont la prévalence ne cesse de croître, à l'instar des allergies alimentaires de manière générale, comme nous l'a confirmé le Pr Olivier Michel, chef du Service d'allergologie au CHU Brugmann et professeur d'allergologie à l'ULB.
Que pensez-vous de ces nouvelles directives du NIAID?
Ce n'est en réalité pas un changement radical de stratégie. Jusqu'il y a une quinzaine d'années, les pédiatres recommandaient effectivement une éviction des aliments le plus souvent impliqués dans les allergies, à savoir le lait, les œufs, le poisson, les fruits à coque et les légumineuses, dont les arachides. Cela chez l'enfant et parfois jusqu'à l'âge adulte, simplement sur base de tests cutanés positifs en l'absence de symptômes. Il s'agissait de recommandations à titre de prévention primaire ou secondaire. Mais au fil des années, on s'est rendu compte qu'en agissant de la sorte, non seulement on imposait des régimes très difficiles sans base scientifique mais en plus, lorsque ces enfants étaient à nouveau exposés de façon accidentelle plus tard, ils développaient des réactions extrêmement violentes. Au cours des dernières années, les allergologues, les pneumologues et les pédiatres ont changé leur fusil d'épaule: ils n'ont plus imposé des régimes aussi stricts avec l'hypothèse d'une prévention jamais démontrée. En fait, de façon générale, cela fait maintenant quelques années que l'on a plutôt tendance à recommander une introduction assez rapide de certains aliments allergisants dans l'alimentation des jeunes enfants. Ou en tout cas de ne plus faire des évictions préventives.
Ces "nouvelles" directives ne sont donc pas vraiment révolutionnaires dans la pratique?
En effet, lorsque nous avons des enfants avec des tests cutanés positifs à l'arachide, c'est-à-dire uniquement une sensibilisation, on ne leur interdisait pas de manger de l'arachide. On disait: vous mangez de l'arachide, vous la supportez, vous continuez d'en manger, même si vos tests, sanguins ou cutanés, s'avèrent positifs. Ce qui a été publié l'été dernier dans le New England of Journal Medicine a été la démonstration de cela. L'idée était d'introduire de l'arachide très tôt dans la vie chez les enfants considérés comme étant à risque de développer des maladies allergiques liées à l'arachide dans les mois ou les années suivantes. Cette étude a montré que les enfants qui avaient consommé de l'arachide dans les premiers mois développaient beaucoup moins d'allergies par la suite. On a donc maintenant une démonstration formelle.
Sous quelles formes l'allergie aux arachides se manifeste-t-elle?
Elles sont très diverses. Elles peuvent être digestives: nausées, vomissements, diarrhées. Cutanées: urticaire, eczéma. Respiratoire: asthme. Vasculaire: chute de la tension artérielle brutale dans les minutes qui suivent l'ingestion de l'aliment. C'est le choc anaphylactique, qui peut s'avérer mortel.
Quelle est la prévalence des allergies alimentaires?
On surestime probablement les chiffres dans le grand public. On a tendance à mettre un peu beaucoup de choses sur le dos de l'allergie alimentaire. Disons que de 15 à 20 pc des enfants développent un jour un problème d'allergie alimentaire alors que chez l'adulte, on tombe à moins de 5 pc, ce qui représente tout de même 500000 personnes en Belgique. L'explication est qu'une grande partie des enfants allergiques, pour certains aliments, développent au cours de la vie une tolérance. Il existe en effet des aliments dont on sait qu'une consommation en petites quantités au cours de la vie va induire un état de tolérance. L'œuf et le lait en sont de bons exemples. Vers 5-6 ans, souvent ces allergies disparaissent spontanément. D'une part, en raison de la maturation grandissante de la peau et d'autre part, en raison d'un véritable état de tolérance qui s'est installé.
Le message serait donc?
Mangez de tout sauf si ce que vous mangez provoque des symptômes sévères, pouvant être attribués à une allergie démontrée par des tests adéquats.
Et si l'on ressent des chatouillements dans la bouche, par exemple?
Dans l'allergie alimentaire, on observe en effet un syndrome assez fréquent qui est le syndrome oral (cutanéo-muqueux). Il se manifeste par un chatouillement dans la bouche lors de la consommation de certains aliments, comme des cacahuètes, des noisettes, des cerises, des pommes... On sait aujourd'hui que si ces symptômes sont limités et peu handicapants, il n'y a pas d'intérêt à provoquer une éviction à titre préventif. Au contraire. Car en continuant à consommer ces aliments en petites quantités, on induit un état de tolérance, alors qu'en les supprimant totalement, une exposition accidentelle pourrait entraîner une réaction allergique beaucoup plus violente.
En quoi consiste cette notion de seuil de réactivité?
Si on développe une réaction à l'arachide après avoir mangé cinq cacahuètes (quelques grammes) ou simplement un aliment contenant des traces d'arachide (quelques microgrammes), ce n'est pas la même chose. C'est pourquoi dans les centres d'immuno-allergologie, on fait des tests de provocation pour déterminer le seuil de réactivité. En fonction des résultats, on prescrira - ou non - un régime particulier. Une allergie à la cacahuète n'est pas l'autre.
De nouvelles allergies apparaissent, dont celle à la viande après une morsure de tique
Un chercheur américain, le Pr Platts-Mills a distingué trois grandes vagues épidémiques d'allergies dans le monde. La première, qui date des années '50-'60, est le rhume des foins, la rhinite allergique et l'asthme associé aux pollinoses. Ensuite, dans les années '70-'80, il y a eu une vague d'asthme provoqué par les acariens, en particulier chez l'enfant. Depuis 2005 environ, on assiste à une troisième vague qui est celle de l'allergie alimentaire, qui se développe à toute vitesse, avec des formes parfois très particulières.
Parmi les nouvelles allergies apparues ces dernières années, il en est une qui, bien qu’encore très marginale chez nous, commence à sérieusement inquiéter aux États-Unis. Dans l’État de Virginie, elle est même devenue la première cause de choc anaphylactique alimentaire. Il s’agit d’une allergie à la viande de mammifère causée par la morsure d’une tique, appelée allergie à l’alpha-GAL, qui peut provoquer des symptômes extrêmement sévères.
En 2000 sont apparus, aux États-Unis, les premiers cas très isolés d’allergie aux viandes, suite à des morsures de tiques. Mais à partir de 2010, on a commencé à décrire de plus en plus de cas, principalement dans les États du sud des États-Unis et puis, progressivement, en Europe et en Australie.
À l’origine de ces allergies, il y a une morsure de tiques (identiques à celles qui transmettent la maladie de Lyme). Après s’être nourries du sang d’animaux de forêt (daims, renards…), elles injectent une partie de ce matériel sanguin aux hommes en les mordant à leur tour, ce qui provoque la sensibilisation à un des éléments du sang injecté par la tique, l’alpha-GAL. Et donc, lorsque la personne consommera des viandes de mammifères (porc, bœuf, agneau…) et non des volailles, elle développera des réactions allergiques à l’alpha-GAL, ce composant commun à toutes les viandes mammifères.
Les symptômes : urticaire diffus, aigu, chute de tension, choc anaphylactique… “Ce qui est très particulier dans le cas présent par rapport aux autres allergies, c’est que la réaction survient plusieurs heures (4-5h) après l’ingestion”, fait remarquer le Pr Olivier Michel. “Ce délai est un piège car on ne fait pas toujours le lien entre la consommation de viande et la réaction".
Le traitement de cette allergie consiste en l’éviction de l’allergène, donc la viande. Cela dit, certaines personnes peuvent être allergiques à la viande, sans pour autant qu’il y ait un lien avec l’alpha-GAL.
Et l’allergie au cannabis
L’allergie à la viande n’est pas la seule nouvelle venue. L’allergie au cannabis commence à faire son apparition chez les fumeurs de cette drogue. Elle se développe d’abord au niveau cutané, sur les doigts, puis respiratoire, sous forme d’asthme.