Psychiatrie: peut-on stimuler le cerveau contre l'alcoolisme ?
Publié le 25-04-2017 à 19h04 - Mis à jour le 25-04-2017 à 19h15
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Le Prix pour la recherche en santé est remis aux lauréats par la princesse Astrid, ce mercredi à Bruxelles. Une équipe de l'ULB a été primée pour son projet de traitement non pharmacologique de l'alcoolisme. Entretien.
Lauréat 2017 du Prix pour la recherche en santé, octroyé par la Fondation Roi Baudouin, le Pr Charles Kornreich, Chef de service de psychiatrie à l’hôpital Brugmann, chargé de cours à l’ULB, nous présente son projet.
Que se passe-t-il dans le cerveau face à un choix "déraisonnable" ?
Il existe une sorte de tension. D’une part, il y a le désir - pour l’alcool ou une autre drogue -, lié au fait que le cerveau a enregistré, à un niveau émotionnel, que c’était quelque chose de très attractif. D’autre part, il y a le système préfrontal, d’arbitrage, qui va évaluer les conséquences à court et/ou à long terme. Entre le système de désir, qui nous pousse à rechercher des choses qui sont "récompensantes" pour nous et l’autre système, qui s’est développé au cours de l’évolution et qui est très présent chez l’être humain, il y a une tension, entre l’émotion et la raison. Cette tension, la plupart des personnes vont la résoudre dans le sens de préserver leurs intérêts y compris à long terme. En décidant par exemple de ne pas boire tous les jours des quantités importantes d’alcool parce que cela interfère avec la vie sociale, le travail… Et cela, grâce au superviseur qui est notre système préfrontal, système de la raison, de la planification, de l’anticipation des conséquences de nos actes et donc de la projection dans le futur. Les personnes qui ont des addictions n’arrivent pas à gérer efficacement cette tension.
Qu’en est-il chez les personnes qui ont des problèmes d’addiction ?
Leur cerveau a été piraté en quelque sorte par la drogue du fait de l’activation des systèmes émotionnels liés au désir et à la récompense. Du fait de cette activation très forte, le cerveau devient persuadé que la drogue a une valeur extrêmement importante. Cette force de désir est liée à un système cérébral qui utilise la dopamine comme marqueur d’intérêt. Par exemple, lorsque l’on prend de la cocaïne, on augmente considérablement la concentration de dopamine dans le cerveau, beaucoup plus qu’en présence d’autres stimuli. Les drogues, dont l’alcool, exercent généralement une fonction très attractive sur le cerveau.
En quoi consiste le travail de recherche du Laboratoire de psychologie médicale et addictologie de l’ULB ?
Nous allons tenter de voir comment renforcer les possibilités de contrôle, en l’occurrence l’action du cortex préfrontal, de la "raison" pour aider à maîtriser les pulsions des systèmes émotionnels. Pour cela, il y a plusieurs possibilités. La voie traditionnelle est la psychothérapie : elle consiste à essayer de renforcer la motivation des personnes au travers du dialogue, de l’anticipation des situations à risque et des conséquences de leurs actions. Une autre voie est celle que nous voudrions explorer : en l’occurrence, la stimulation électrique transcrânienne. Cette technique, qui commence à être très en vogue, consiste à appliquer un courant relativement faible sur le crâne, qui donne une impression de chatouillement, afin d’augmenter la plasticité cérébrale à la surface du cerveau. En particulier les lobes préfrontaux, particulièrement accessibles dans la mesure où ils se trouvent à la surface du cerveau, contrairement aux zones émotionnelles, qui sont beaucoup plus profondes.
Concrètement, comment cela agit-il ?
Avec cette stimulation électrique transcrânienne, nous renforçons les possibilités pour le cortex préfrontal de contrôler davantage les émotions et les impulsivités. Le courant électrique qui est appliqué sur cette surface du crâne va en effet modifier les neurones sous-jacents en augmentant la plasticité cérébrale. Cela signifie que les neurones stimulés vont commencer à produire plus de connexions. De ce fait, leur pouvoir relatif au sein du cerveau sera amplifié.
Quelle est l’originalité de votre étude ?
Nous faisons cette stimulation électrique transcrânienne pendant que les patients réalisent des exercices où ils sont entraînés avec des procédures informatisées, face à un écran d’ordinateur qui fait défiler des images de boissons alcoolisées ou de soft drink. Face à des stimuli "alcool" - comme l’image d’une bouteille de vin - ils doivent refréner leur envie d’appuyer sur le bouton "Go" du clavier, contrairement à ce qui se passe lorsque des images de boissons non alcoolisées apparaissent. On essaie donc, pendant cet entraînement, que les stimuli en rapport avec l’alcool soient associés au fait de ne pas appuyer sur le bouton, de ne pas susciter un comportement d’approche.
Il s’agit d’une technique où l’on entraîne l’inhibition du réflexe d’aller vers des stimuli qui rappellent l’alcool. L’effet de l’entraînement à l’inhibition devrait théoriquement être amplifié du fait de l’utilisation conjointe de la stimulation électrique, qui devrait favoriser la naissance de nouvelles connexions cérébrales en lien avec cet apprentissage.
Que va permettre le Prix d’un montant de 150 000 euros octroyé par la Fondation Roi Baudouin ?
Nous allons pouvoir démarrer les travaux à la rentrée de septembre. Quelque 160 patients en fin de cure de désintoxication seront enrôlés dans cette étude, et recevront une dizaine de séances d’entraînement de 20 minutes chacune. Un groupe recevra une vraie stimulation électrique transcrânienne et un autre groupe recevra un placebo. L’impact sur la rechute sera étudié dans les mois qui suivront la cure.

Une technique qui a déjà donné des résultats dans la dépression
La stimulation électrique transcrânienne est surtout appliquée dans le domaine de la dépression, où elle a démontré son efficacité. "Nous avons pu la tester dans cette indication grâce à d’autres prix reçus précédemment par notre équipe (fonds IRIS et fonds A.B.), nous explique le Pr Charles Kornreich, chef du service de psychiatrie au CHU Brugmann et lauréat francophone du Prix pour la recherche en santé, sous l’égide de la Fondation Roi Baudouin. "Elle permet aux patients, en renforçant le contrôle préfrontal sur les systèmes émotionnels, de se désengager plus facilement des ruminations anxieuses typiques des états dépressifs. Nous passons d’ailleurs actuellement en utilisation clinique de routine à Brugmann sous forme d’un programme intégré de traitement non médicamenteux de la dépression, associant notamment stimulation électrique transcrânienne et méditation. Par ailleurs, la stimulation électrique transcrânienne semble promise à un bel avenir, étant une technique assez peu coûteuse et quasi dépourvue d’effets secondaires. En fonction de la localisation de la stimulation, elle pourrait ainsi avoir une utilité dans des problèmes aussi divers que le traitement des troubles cognitifs de la maladie d’Alzheimer ou encore dans la gestion des syndromes douloureux chroniques".
A savoir
Quoi: en 2016, le Fonds pour la recherche en psychiatrie (FRP) a lancé un appel pour des projets de recherche sur le traitement non pharmacologique des adultes souffrant de troubles psychiques. Des 21 projets de qualité qui ont été déposés, deux ont reçu chacun un soutien de 150 000 euros.
Qui: Charles Kornreich et Xavier Noël, chercheurs du Laboratoire de psychologie médicale et addictologie de l’ULB-CHU Brugmann, sont les lauréats francophones. Ils étudient une thérapie combinée en cas d’alcoolisme, à savoir une neurostimulation et une formation sur la perte de contrôle.