Trop de piscines surdosées en chlore: un risque d'affections allergiques chez les jeunes enfants
Publié le 08-07-2017 à 12h11 - Mis à jour le 08-07-2017 à 13h07
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Dans les piscines publiques ou privées, intérieures ou extérieures, l’exposition au chlore n’est pas idéale. Une nouvelle étude démontre la grande vulnérabilité des enfants. Sous le soleil d’été, grande est la tentation des baignades en eau fraîche. Qui, malheureusement, s’avère aussi parfois un peu "trouble" dans certaines piscines, publiques ou privées. "Le problème n’est pas tant le chlore que le mauvais dosage qui en est fait, souligne le Pr Alfred Bernard, toxicologue à l’UCL et directeur de recherche FNRS. Comme les gens sont crasseux, du moins certains, on déverse des paquets de chlore. C’est le cas dans des piscines d’hôtels, mais aussi dans celles des maisons de location où l’eau peut être surchlorée."
Et donc, autant les bénéfices de la natation paraissent évidents, autant les effets nocifs d’un excès de chlore sur la santé le sont également. Et cela, plus encore pour les jeunes enfants. Une nouvelle étude épidémiologique du Pr Alfred Bernard, menée celle-ci auprès d’enfants âgés de 5,8 ans en moyenne, vient encore de démontrer que ces produits de chloration sont loin d’être anodins. Du chlore qui, sous sa forme active dans l’eau, n’est rien d’autre que de l’eau de Javel très diluée.
"Les risques d’intoxication chronique sont soit la conséquence d’un surdosage en chlore actif, ce qui est très fréquent dans les piscines privées, soit la conséquence d’un excès de matières organiques (urine, sueur, salive,…) que le chlore actif transforme en un cocktail de produits toxiques, explique le toxicologue. Parmi ceux-ci, il y a les chloramines dans l’eau (chlore combiné) et les trichloramines dans l’air. Tous ces produits sont des irritants pour la peau, les yeux et les voies respiratoires."
S’il existe bien des alternatives au chlore (lire notre infographie ci-dessous), l’idéal étant les systèmes fonctionnant à l’ozone ou au cuivre/argent, "une piscine désinfectée au chlore et bien gérée ne comporte pas de risques si le chlore et ses dérivés restent à des niveaux très bas comme recommandé en Allemagne (autour de 0,5 mg/l de chlore actif et moins de 0,2 mg/l de chlore combiné dans l’eau et moins de 0,2 mg/m3 de trichloramine dans l’air), explique le Pr Alfred Bernard. Au-delà de ces valeurs, on voit apparaître des risques respiratoires surtout chez les jeunes baigneurs fréquentant régulièrement la piscine, c’est-à-dire au moins une fois par semaine. Les adultes ne sont pas épargnés non plus puisque les nageurs de compétition souffrent de 2 à 3 fois plus d’allergies et d’asthme que les autres athlètes, une différence qui logiquement ne peut s’expliquer que par le chlore puisque l’air chaud et humide des piscines intérieures protège les voies respiratoires lors de l’exercice physique. Raison pour laquelle on recommande la natation aux asthmatiques." Mais sans le chlore…

Méfiez-vous des piscines traitées au "sel"
Alors, comment savoir si l’on se trouve dans un environnement sain ? Ou pas. "Une piscine malsaine, cela se sent et cela se voit, répond le spécialiste. Une très forte odeur de ‘chlore’ dans le hall de la piscine est le signe d’un excès de trichloramine tandis qu’à la surface de l’eau, c’est le reflet d’un excès de chlore actif. Cela se voit notamment lorsque les enfants reviennent du bassin avec les yeux rouges ou se plaignent d’irritation. Une eau trouble, voire verte pour une piscine extérieure est le signe d’une piscine mal filtrée et donc susceptible d’être contaminée par des pathogènes. Une piscine extérieure chlorée avec un abri bas qui emprisonne les émanations chlorées est certainement à bannir."
A ce propos, entre piscine extérieure et piscine intérieure, en quoi diffèrent les risques ? "En ce qui concerne les risques pour l’arbre respiratoire ou la peau, nous ne voyons guère de différences dans nos travaux selon que la piscine est extérieure ou intérieure, relate l’auteur de plusieurs études sur le sujet. Certes les piscines extérieures sont bien ventilées et en cas de contamination importante par des matières organiques, la trichloramine - très volatile - est dispersée dans l’atmosphère. En revanche, les piscines extérieures contiennent très souvent beaucoup trop de chlore actif surtout lorsqu’elles sont privées et non soumises à des contrôles, ce qui est fréquemment le cas des piscines des hôtels et des villas de location dans le sud.
Il faut se méfier aussi des piscines traitées au ‘sel’. Le sel n’est pas un biocide et ces piscines par économie font de électrolyse du sel en libérant du chlore gazeux qui dans l’eau se transforme en chlore actif. Certaines piscines privées font aussi l’économie de l’eau et ne renouvellent pas celle-ci régulièrement, ce qui entraîne une accumulation de produits toxiques dans l’eau."
En conclusion, pour préserver l’arbre respiratoire et la peau, sans doute rien de tel qu’une baignade en mer, en lac ou en rivière… A condition que les eaux de surface soient bien conformes !
Une exposition excessive au chlore et à ses dérivés comporte avant l’âge de 2 ans des risques accrus d’eczéma et de bronchiolite et avant l’âge de 10-12 ans des risques accrus de sensibilisation allergique (acariens et pollen), une sensibilisation qui ultérieurement peut déboucher sur une rhinite ou de l’asthme allergiques.

En cause, la grande immaturité et donc vulnérabilité de l’épithélium respiratoire des jeunes enfants
Pour son vingtième article publié sur les risques du chlore - cette fois dans la revue américaine Environnemental Research -, le Pr Alfred Bernard, toxicologue à l’UCL et directeur de recherche FNRS, a réalisé une étude épidémiologique chez de très jeunes enfants (5,8 ans en moyenne) associant des altérations épithéliales aux produits de chloration (eau de Javel et chlore des piscines intérieures ou extérieures) et aux risques de sensibilisation allergique.
"Il s’agit d’une étude prospective sur deux ans, précise le Pr Bernard. Jusqu’à présent nous avions vu ces associations chez des adolescents (12 ans et plus) pour lesquels nous pouvions prélever du sang dans les écoles. Ici, pour des raisons éthiques évidentes, nous ne pouvions pas procéder de cette façon, mais nous avons pu évaluer l’intégrité de l’épithélium (ensemble de cellules) respiratoire au niveau nasal, cible première de beaucoup de polluants de l’air."
Que montre cette étude ?
1. La grande immaturité et donc vulnérabilité de l’épithélium respiratoire des jeunes enfants. A l’âge de 5,8 ans, la CC16 - une protéine anti-allergique et anti-inflammatoire - est 10 fois moins concentrée au niveau de l’épithélium nasal que deux ans plus tard à l’âge de 7,8 ans. L’épithélium nasal est aussi plus perméable chez les jeunes enfants.
2. A cette immaturité s’ajoute une perte fonctionnelle due à la mauvaise qualité de l’air ambiant ou intérieur et parmi les polluants les plus fréquemment associés à cette dégradation épithéliale on retrouve, outre la pollution de l’air ambiant (particules fines), les puissants biocides à base de chlore sous forme de chlore gazeux issus de l’eau de Javel ou d’hypochlorite et de chloramines dans les piscines intérieures ou extérieures. Ces oxydants à base de chlore sont non seulement plus agressifs pour l’épithélium nasal (où ils se déposent en grande partie en raison de leur grande solubilité dans l’eau), mais en plus, comparés aux polluants classiques comme les particules fines, ils sont bien plus concentrés dans l’air des piscines intérieures et même extérieures à la surface de l’eau. L’eau de Javel en milieu domestique libère du chlore gazeux qui, en cas de mauvaise ventilation, a tendance à stagner au niveau du sol. Le chlore gazeux est en effet plus lourd que l’air.
3. La sensibilisation allergique est un phénomène très dynamique chez le jeune enfant avec un taux de rémission très important. Les altérations de l’épithélium nasal dues à l’immaturité et au polluants irritants favorisent non pas l’induction mais la persistance de la sensibilisation allergique. C’est très net pour la sensibilisation aux acariens qui est la plus fréquente chez nos enfants (de l’ordre de 40 % de nos enfants sont sensibilisés aux acariens). Une sensibilisation allergique persistante aux acariens est un facteur de risque important dans le développement ultérieur de la rhinite et/ou de l’asthme allergique.
Sous forme de rhinite et d’asthme
En d’autres termes, "ces produits liés à l’hygiène sont des adjuvants de la marche allergique tant dans le développement de la sensibilisation allergique que plus tard, dans l’expression clinique de la sensibilisation allergique sous forme de rhinite (y compris le rhume des foins) ou d’asthme allergiques, conclut l’auteur de l’étude. Ces données appuient donc l’hypothèse épithéliale pour expliquer l’épidémie des affections allergiques qui touche les pays industrialisés."