Des chercheurs belges de l'ULB en route vers le premier vaccin mondial contre le streptocoque
Publié le 27-09-2017 à 17h33 - Mis à jour le 27-09-2017 à 17h41
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Parce que le streptocoque du groupe A tue encore 500000 personnes chaque année, "il est aujourd'hui urgent de trouver ce vaccin" derrière lequel courent depuis bientôt un siècle les scientifiques. "Ce qui importe avant tout, c'est qu'une équipe parvienne à mettre au point un vaccin mondial", nous dit le Pr Pierre Smeesters, chef du Service de pédiatrie à l'Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (HUDERF) et responsable du Laboratoire de bactériologie moléculaire à l'ULB sur le campus de l'Hôpital Erasme. Et si c'était une équipe belge qui pouvait en être à l'origine, du moins en partie, ce serait "évidemment une grande fierté", reconnaît le médecin qui, depuis 2003, s'intéresse à cette vilaine bactérie.
Il faut dire qu'avec sa double casquette de pédiatre infectiologue et de chercheur, le Pr Smeesters a plus d'un atout dans son jeu, lui qui vient en outre de recevoir du National Institute of Health (NIH, Agence nationale de recherche médicale des USA) un financement de 3,9 millions de dollars sur cinq ans pour ce projet de développement d'une formule vaccinale, une collaboration entre l'ULB et l'Université du Tennessee. Car oui, on peut raisonnablement espérer qu'il touche au but. "Si la recherche devait aboutir", il nous confirme que "ce ne serait pas mentir d'alors écrire qu'une équipe belge a contribué à l'élaboration du premier vaccin mondial contre le streptocoque du groupe A. Aujourd'hui, au point où nous en sommes, nous avons effectivement un sérieux espoir d'obtenir un vaccin contre le streptocoque du groupe A". D'après le spécialiste, on pourrait espérer une mise sur le marché d'ici une dizaine d'années.
L'aventure a commencé en 2003, au Brésil
Dans cette grande aventure, l'histoire de celui qui partage aujourd'hui son temps entre l'hôpital, la recherche, et l'enseignement de la pédiatrie et de la microbiologie commence en 2003 au Brésil. "Cela fait 14 ans maintenant que je consacre ma vie scientifique à la recherche d'un vaccin contre le streptocoque, nous explique le Pr Pierre Smeesters. En tant que jeune assistant infectiologue en pédiatrie, j'ai séjourné deux ans au Brésil pour acquérir une compétence clinique en pathologie tropicale. L'idée était de voir quel type de maladies, moins connues chez nous, on pouvait attraper en voyage. Sur place, j'ai commencé à m'intéresser au streptocoque du groupe A, qui cause encore dans ce pays beaucoup de rhumatisme articulaire aigu. J'ai donc collecté des souches".
Ces bactéries ont été ramenées et analysées en Belgique dans le cadre d'une collaboration entre les universités belge et brésilienne. Revenu au pays fin 2004, le travail de caractérisation des souches a donc commencé en laboratoire. "Nos premiers résultats montraient qu'il y a avait une telle diversité de souches présentes au Brésil qu'il était impossible de fabriquer un vaccin, se souvient le chercheur. Dans un vaccin multivalent, techniquement, on peut en effet mettre entre 20 à 30 composantes maximum. Or, il y avait une diversité de plus de 220 souches…" Publiés en 2006, les résultats de cette étude ont donc conclu à l'impossibilité de developper un vaccin efficace au Brésil. "Trois études, menées au Brésil, en Inde et aux Iles Fidji, ont en effet montré que dans ces pays où les gens mouraient encore beaucoup de cette infection, le grand nombre de souches présentes ne rendait pas le candidat vaccin efficace. Ce qui était assez décourageant", confie le chercheur.
Puis, un jour, les chercheurs trouvent le point commun...
Les scientifiques ne se laissent pas abattre pour autant. C'est en discutant avec sa "superviseuse", une généticienne de bactérie, que le jeune pédiatre et chercheur en laboratoire de sciences fondamentales envisage une piste nouvelle. "Alors que tous les scientifiques se focalisaient sur une toute petite partie de la protéine, nous nous sommes dit qu'il serait peut-être intéressant de regarder l'entièreté de la protéine, raconte le pédiatre infectiologue. Il s'agit d'une protéine de surface et c'est souvent sur les composants de surface que l'on fait les vaccins, car notre système immunitaire peut les reconnaître.". Alors, qu'ont-ils découvert? "En regardant l'entièreté de la protéine, nous nous sommes rendu compte que les multiples souches brésiliennes avaient un point commun. On s'est alors dit que l'on pouvait peut-être utiliser ce point commun pour développer un vaccin basé sur ces similitudes plutôt que sur ces différences". S'étant jusque-là (en 2009-2010) limité à comparer des souches entre la Belgique et le Brésil, le Pr Smeesters se lance dans la coordination d'une grande étude multicentrique, un consortium incluant 55 chercheurs et médecins provenant de 31 pays. "Pendant cinq années, nous avons cherché à confirmer l'existence de ce point commun au niveau mondial. Nous avions plus de 1500 souches. Et nous avons fini par confirmer ce point commun, en l'occurrence une homologie de séquences et de structures au niveau de la protéine".
Un point commun qui, en limitant à 30 le nombre de souches, sera en réalité le point de départ pour un possible vaccin, dont le développement se fera avec des chercheurs américains de l'Université du Tennessee. "Réduire à une trentaine le nombre de composantes est l'unique façon de pouvoir développer un vaccin mondial, avec une formulation unique, qui permettrait de protéger toutes les populations, bien qu'avec une efficacité sans doute légèrement variable selon les régions", précise encore l'infectiologue.
Où en sommes-nous aujourd'hui?
"A l'heure actuelle, nous avons pu confirmer le point commun au niveau mondial, ce qui a fait l'objet d'une récente publication. Si ce point commun a du potentiel pour développer un vaccin, on doit en voir un reflet immunitaire dans les infections naturelles. En collaboration avec l'Université de Melbourne, nous avons donc été suivre des enfants pendant un an dans une école aux Iles Fidji et tester notre hypothèse théorique qui avait l'air séduisante sur papier et en laboratoire. Nous leur avons fait trois prises de sang en janvier, juin et décembre. Une infirmière allait les visiter deux fois par semaine pour voir quelles infections ils pouvaient faire. Cela nous a permis de tester l’intérêt immunitaire de ce point commun".
Dans l'étude qui vient d'être publiée, les chercheurs ont pu montrer qu'un enfant malade infecté par une souche qui contient un point commun développe une immunité croisée avec d'autres souches, ce qui signifie qu'il est immunisé contre les autres souches qui contiennent le point commun. "Ce qui est précisément le but recherché par le vaccin, précise le médecin. Cela ne fonctionne pas à 100%, mais quand même de manière très satisfaisante, ce qui est très encourageant".
S'il y a d'autres équipes qui travaillent également sur l'élaboration d'un vaccin contre le streptocoque du groupe A, "celui-ci a l'air d'être celui qui a le plus d'espoir de succès à court terme", selon le Pr Smeesters. C'est en réalité le seul vaccin pour lequel un prototype antérieur basé sur la même technologie a déjà passé des tests cliniques de phase 1 et 2. D'autres équipes fonctionnent avec d'autres stratégies en utilisant la même protéine, ou d'autres protéines. Aucun autre candidat vaccinal n'a encore été testé en étude clinique.
De manière pragmatique, qu'est-ce que cela signifie en termes d'échéance? "Avant cinq ans, nous n'aurons rien du tout, répond le Pr Smeesters. Nous espérons obtenir une formule à proposer au terme de ce financement NIH et ensuite, il faudra que l'industrie prenne le relais et rentre en phase clinique. Si l'on n'a pas de souci majeur, un horizon qui me semble vraisemblable pour la mise sur le marché de ce vaccin mondial contre le streptocoque du groupe A serait de 10 ans".
A savoir sur le streptocoque du groupe A
La première étude d'un vaccin contre cette bactérie date de 1923.
Le streptocoque du groupe A est un grand tueur, principalement dans les pays pauvres: un demi-million de morts dans le monde chaque année. Soit davantage que le tétanos, et un nombre de victimes similaire à la rougeole ou au rotavirus.
En termes de mortalité mondiale, l'OMS place le streptocoque du groupe A dans les priorités de développement vaccinal pour les années à venir.
Environ un tiers des morts sont causées par des infections invasives présentes partout dans le monde. "On voit des patients à Bruxelles et cela me donne des sueurs froides en tant que pédiatre car il s'agit d'infections dramatiques redoutables. Ce sont des infections communautaires, massives, extrêmement rapides et pour lesquelles le taux de mortalité se situe entre 15 et 20 %. Et nous sommes parfois complètement désemparés même avec des soins intensifs de qualité dans un pays riche. Il n'y a donc aucun doute que l'on a besoin d'un vaccin contre le streptocoque du groupe A".