Cette boursière explore l’autoroute nerveuse qui mène du cerveau aux mouvements
Publié le 05-10-2017 à 09h25 - Mis à jour le 05-10-2017 à 10h56
Sur ses doigts aux ongles colorés d’un vernis orangé, Emmanuelle Wilhelm, l’une des trois lauréates boursières belges du Prix L’Oréal Unesco for Women in Science, énumère toutes ces choses qui l’intéressent : la littérature, l’art, le théâtre, la vidéo, la photographie, les voyages, les sciences, le savoir en général…
Mais comme il a fallu faire des choix, "ce qui difficile" pour elle, nous avoue la jeune femme fraîchement (en juin 2016) diplômée de médecine à l’UCL, elle opte finalement pour les sciences. "Le déclic s’est produit alors que j’étais au lycée, au Luxembourg. Une fois en section scientifique, l’attrait pour la biologie humaine m’est apparu assez vite comme évident. Je me voyais bien médecin. Pour moi, c’était la suite assez logique : pouvoir combiner mon intérêt pour le fonctionnement du corps humain (et plus tard pour le cerveau en particulier) et en plus avoir le contact direct avec la personne."
Sur le dysfonctionnement de certaines structures du cerveau
Si elle ne se voit pas travailler toute sa vie en laboratoire, c’est cependant la recherche qui va l’occuper dans un premier temps au cours de sa spécialisation en neurologie. Dans ce cadre en effet, la jeune médecin mène des recherches doctorales sur le dysfonctionnement de certaines structures du cerveau et les problèmes de motricité que cela entraîne.
"Notre motricité passe par une voie principale qui démarre dans le cortex moteur primaire, explique la lauréate boursière. C’est l’autoroute nerveuse qui orchestre nos mouvements. Cette autoroute n’est pas la seule impliquée dans la motricité. Des voies parallèles existent aussi et elles interviennent en permanence." Ces voies parallèles par lesquelles circule l’information nerveuse concernent notamment des structures appelées "ganglions de la base". C’est l’un d’eux, en l’occurrence le "noyau sous-thalamique", qui intéresse en priorité la chercheuse. "Nous savons déjà que le noyau sous-thalamique peut inhiber un mouvement qui est en cours. Mais nous ne connaissons pas encore son rôle précis dans l’inhibition de l’intention, de la préparation d’une action. Mes recherches vont tenter de faire la lumière sur le rôle exact joué par ces noyaux dans les mécanismes d’inhibition motrice lors de la préparation d’une action."
Si l’équipe travaille jusqu’ici principalement avec des patients parkinsoniens, le Dr Emmanuelle Wilhelm pense que les résultats des travaux seront aussi utiles à d’autres types de patients, comme les personnes souffrant d’alcoolisme, ou d’autres types d’addictions, de troubles obsessionnels compulsifs, de troubles impulsifs ou encore de troubles de l’attention et d’hyperactivité chez les enfants.
Un bien ambitieux programme pour celle qui rêve, aussi, de fonder une grande famille. "Il est vrai que si, rationnellement, je me dis : tu veux être neurologue, participer à de la recherche, avoir quatre enfants, une vie épanouie, rester en forme physiquement... alors, je devrais avoir une journée de 48 heures. Il n’empêche, dans l’idéal, c’est le style de vie que j’aimerais avoir, même si je sais que cela sera difficile."
Etre une femme peut s’avérer un plus dans la carrière médicale
Plus difficile en tout cas que ne l’a été le fait de mener, en tant que fille, des études scientifiques - que l’on pense encore trop souvent réservées aux garçons. "Homme ou femme, en science, je n’ai jamais fait de différence, nous confie la lauréate, qui se dit "fonceuse". Je n’ai ressenti aucune barrière du fait que je suis une femme. J’ai d’ailleurs été très étonnée récemment à la lecture de certaines enquêtes d’apprendre que les femmes étaient si peu représentées aux fonctions scientifiques les plus élevées.
En tant que médecin, je pense en revanche que le fait d’être une femme pourrait même être un avantage au niveau du contact avec le patient. Certaines enquêtes ont d’ailleurs démontré que les soins de santé prodigués par des femmes sont plus fructueux parce qu’il y a souvent plus d’humanité, d’émotionnel… J’y suis personnellement fort sensible et effectivement convaincue que cela peut aider dans les carrières médicales."
Dix ans de bourses belges et dix-huit chercheuses soutenues dans leur doctorat
Cette année, elles se prénomment Emmanuelle, Aurélie et Mieke. Elles sont les trois jeunes scientifiques récompensées "pour l’excellence de leurs travaux, leur courage et leur engagement dans le domaine de la recherche scientifique" par les Bourses belges L’Oréal-Unesco for Women in Science. Attribuées tous les deux ans sous les auspices du Fond de la Recherche Scientifique (F.R.S.-FNRS) et le Fonds voor Wetenschappelijk Onderzoek, elles constituent le volet national du programme L’Oréal-Unesco for Women in Science.
Dix ans, déjà, que ces bourses - d’une valeur de 60 000 euros - ont vu le jour dans notre pays afin de permettre à ces jeunes scientifiques actives dans le domaine des Sciences du Vivant d’entamer leur Doctorat.
Depuis 2001, plus de 2700 jeunes femmes scientifiques issues de 115 pays ont été ainsi soutenues par la Fondation L’Oréal et l’Unesco. Parmi ces boursières, chaque année, sont sélectionnées quinze jeunes chercheuses qui sont mises à l’honneur en tant que "Rising Talent" lors de la cérémonie internationale. Croisons les doigts pour nos lauréates sélectionnées au niveau national.
Si le Dr Emmanuelle Wilhelm a choisi de mener ses recherches doctorales sur le dysfonctionnement de certaines structures de notre cerveau et les problèmes de motricité que cela entraîne (lire ci-contre). deux autres jeunes scientifiques prometteuses seront également récompensées, ce jeudi 5 octobre, lors de la remise officielle qui se tiendra à la Chapelle musicale Reine Elisabeth, à Waterloo.
Il y a Emmanuelle mais aussi Aurélie et Mieke
Le "striatum", le voilà le sujet qui passionne Aurélie De Groote, récemment diplômée en biochimie et biologie moléculaire et cellulaire, qui voudrait tant pouvoir élucider le mystère de cette structure nerveuse qui se trouve sous le cortex. "Dans le cerveau, le striatum joue notamment un rôle dans la locomotion et le système de la récompense, explique la jeune chercheuse, qui travaille au sein du laboratoire de neurophysiologie du Pr Serge Schiffmann, à la Faculté de Médecine de l’ULB. Ses recherches portent sur les liaisons que le striatum entretient avec d’autres parties du cerveau.
Quant à Mieke Metzemaekers, de l’Institut Rega, à la KULeuven, elle cherche à "comprendre comment se développent certaines maladies héréditaires comme la fièvre méditerranéenne familiale ou le syndrome de Marshall, encore appelé Fièvre périodique avec aphtose, pharyngite et adénite et pourquoi notre système immunitaire réagit parfois abusivement à certains signaux et déclenche une réaction inflammatoire".