Et si une solution était la psychiatrie citoyenne?

Laurence Dardenne
Et si une solution était la psychiatrie citoyenne?
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Ce mardi 10 octobre est la Journée mondiale de la santé mentale. Les personnes atteintes de troubles psychiques font encore très souvent l’objet de stigmatisation. Exemple d’une initiative qui vise à lutter contre ce phénomène. Jusqu’à présent, et depuis la nuit des temps, les ‘fous’ ont été rejetés, stigmatisés, discriminés… On les a mis dans des asiles pour que la société puisse vivre en paix parce que ces gens étaient considérés comme dangereux, ce qui est d’ailleurs toujours le cas", s’insurge Marie-Noëlle Besançon, psychiatre, psychothérapeute et fondatrice, en 1990, de l’association Les invités au festin (IAF), qui œuvre en faveur des personnes souffrant de solitude et d’exclusion liées à des troubles d’ordre psychologique ou/et à des difficultés d’intégration socio-professionnelle.

Il aura fallu que, à l’époque jeune interne, elle découvre avec stupéfaction et tristesse les conditions de vie des patients séjournant dans les hôpitaux psychiatriques pour que l’évidence et l’urgence de trouver une structure adaptée à ces personnes, "une alternative à la prise en charge stigmatisante et déshumanisante de l’asile", lui sautent aux yeux.

Et c’est ainsi que, en 2000, avec son époux, Jean Besançon, elle créa la Maison des sources à Besançon, un lieu d’accueil non médicalisé, basé sur une vie communautaire, pour des personnes souffrant de troubles psychiques et/ou sociaux, afin qu’elles puissent retrouver leur place dans la société.

Se définissant comme "une expérience innovante d’alternative psychiatrique, humaniste et citoyenne", IAF s’appuie sur les quatre principes fondateurs de la démocratie : la fraternité (et non l’exclusion), l’égalité (et non l’assistanat), la liberté (et non l’enfermement), la solidarité économique (et non l’individualisme). Elle entend "développer la pleine citoyenneté de tous pour un mieux vivre-ensemble".

Derrière tous ces mots, il y a une réalité, bien concrète. Celle de ces lieux où tous, sans distinction, partagent le quotidien. Il y a bien sûr les personnes en souffrance psychique et/ou sociale. "La plupart du temps, ce sont des gens qui ont une étiquette de schizophrénie, ou alors des personnes qui souffrent de troubles dépressifs plus ou moins graves, d’un handicap, d’alcoolisme, d’addiction, de séquelles d’un traumatisme crânien…, énumère Marie-Noëlle Besançon. Quels qu’ils soient, ce sont toujours des gens qui ont un problème avec la solitude."

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"On dit qu’ils sont fous et je vis avec eux"

Puis, il y a des salariés, mais aussi de nombreux citoyens bénévoles. Car la Maison des Sources repose sur un concept, celui de psychiatrie citoyenne. "Cela correspond à la volonté de développer la citoyenneté de tous les citoyens, y compris ceux qui ne sont pas forcément concernés par la santé mentale, même si nous pensons que tout le monde est concerné, car nous avons tous une santé mentale, nous explique Marie-Noëlle Besançon, auteur de "On dit qu’ils sont fous et je vis avec eux" (Ed. de l’Atelier, 2006). Nous avons tous un risque sur quatre d’avoir un trouble de santé mentale au cours de notre vie. Notre principe est que ce ne soit pas seulement l’affaire de la personne malade, des familles, des soignants, de l’Etat…, mais bien l’affaire de tous. Nous estimons en effet que la folie, ou la santé mentale font partie de la vie et que chacun doit apporter sa pierre à l’édifice."

Désireuse de voir disparaître les hôpitaux psychiatriques "qui stigmatisent encore plus une maladie qui est déjà très difficile à vivre", la psychiatre citoyenne vise, via ces lieux d’accueil et de vie, à "redonner leur citoyenneté à des gens qui l’ont perdue du fait de la maladie et du fait qu’eux-mêmes s’excluent de la société, nous confie-t-elle. Ils ont en effet cette fâcheuse tendance à s’isoler, ils ont peur des autres, de l’étiquette… Ils éprouvent des difficultés dans la relation, avec les autres, avec la société mais aussi avec eux-mêmes. C’est pourquoi nous devons les aider à être bien avec eux-mêmes, à retrouver le lien avec eux-mêmes, avec l’autre et avec la société en général. C’est tout ce travail que nous faisons et qui consiste à les aider à reprendre toute leur place dans la société. A arriver à une pleine citoyenneté".

Retrouver une vie la plus satisfaisante pour eux

Une autre mission que s’est assignée IAF est d’inculquer "le concept du rétablissement". A savoir ? "Ce n’est pas parce que l’on a une maladie que l’on est une maladie, poursuit la fondatrice. La personne ne se résume pas à la maladie; nous avons une vision globale. Au-delà de la pathologie, il y a un tas de choses qui peuvent aller bien chez une personne. Et c’est ce que nous essayons de développer dans notre association ‘Les Invités au festin’."

Alors, comment cela se passe-t-il concrètement dans ces maisons ? "Nous organisons une série d’ateliers, avec des tas d’activités artisanales, artistiques, conviviales, sportives, culturelles… encadrées par des animateurs, bénévoles et salariés. Grâce à ces activités, ils évoluent de plus en plus. Ils peuvent alors participer à des ateliers de responsabilisation, un peu comme s’ils exerçaient un emploi. Ils tiennent la buvette ou aident à la friperie, qui est accessible au public, ce qui permet de s’ouvrir vers l’extérieur. Nos maisons ne sont pas des ghettos; au contraire, elles sont très ouvertes. Les gens de la ville peuvent venir acheter des articles d’artisanat à la boutique. Le but final est que nos résidents puissent retrouver la vie la plus satisfaisante pour eux."

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Trois associations en Belgique

Mais la mission va bien au-delà. "Nous travaillons aussi beaucoup sur les citoyens pour que, justement, ils aient un regard plus positif, non stigmatisant sur les personnes en souffrance psychique. Nous organisons des forums citoyens, mais aussi des spectacles de théâtre, des défilés de mode qui mettent en valeur les gens. Nous tenons au bénévolat car c’est justement la citoyenneté. Ce ne sont pas des parents ou des proches qui viennent aider mais des citoyens qui ont un regard positif, fraternel, humain, empathique, plein de compassion… pour que ces personnes aillent mieux, soient plus heureuses, épanouies; pour qu’elles prennent leur place. Et c’est un cercle vertueux car dès que l’on regarde les gens de cette manière, ils vont mieux. Automatiquement, ils auront plus confiance, ils reprennent espoir, ils se remettent en mouvement, refont des activités… Et du coup, tout le monde va mieux. Et la société s’y retrouve à tous les niveaux."

Aujourd’hui, le réseau Les Invités au festin compte 13 associations, 250 bénévoles, 70 salariés, 950 membres et 12 lieux de vie, dont trois en Belgique : le Foyer Eben-Ezer, créé en 1994 à Tertre, le Foyer Béthesda à Limerlé et la Fondation Joseph Lazzari à Boussu.

Prix Dr Guislain

Un psychiatre cambodgien primé pour avoir "désenchaîné" les malades

Le Dr Sotheara Chhim recevra ce mardi soir, au Musée du Dr Guislain, à Gand, le prix Dr Guislain "Breaking the Chains of Stigma" pour sa contribution au développement de services d’aide pour les maladies mentales au Cambodge au travers d’approches thérapeutiques scientifiques et grâce à l’initiative "Operation Unchain" ("Opération Désenchaînement"), un programme créé pour briser les stigmates entourant les maladies mentales. Le Dr Chhim est le directeur général et psychiatre en chef de la Transcultural Psychosocial Organization (TPO) au Cambodge, la principale organisation non gouvernementale (ONG) du pays dans le secteur des soins de santé mentale et de l’aide psychosociale.

En 2015 , le Dr Chhim a lancé l’initiative "Operation Unchain", dont l’objectif est de venir en aide aux très pauvres communautés rurales au Cambodge, où les traitements, la sensibilisation et les ressources pour les maladies mentales sont inexistantes, ce qui fait que les patients sont enfermés ou enchaînés. "Operation Unchain" propose un traitement à ces patients et éduque les familles et communautés à propos des maladies mentales, pour arriver à faire évoluer les attitudes vis-à-vis des personnes souffrant de troubles mentaux. Le programme donne aussi une chance aux patients de mener une vie productive. Depuis son lancement, ce projet a traité 68 patients qui étaient enchaînés ou enfermés dans des cages entre deux et vingt ans, touchant 62 communautés.

Le prix Dr Guislain "Breaking the Chains of Stigma", avec le soutien de la firme Janssen, tient son nom de et rend hommage à l’œuvre du Dr Joseph Guislain (1797-1860), le premier psychiatre belge à avoir mis au point des traitements fondés sur des bases scientifiques à l’intention des patients atteints de maladies mentales. Depuis près de 30 ans, le Musée du Dr Guislain, situé à Gand, permet d’éduquer le grand public et de rectifier les incompréhensions et préjugés associés au traitement des maladies mentales.

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