Greffe de tête, hybride homme-machine... En 2018, deux siècles après la parution du roman, les "Dr Frankenstein" sont toujours à l'oeuvre (INFOGRAPHIE)
Publié le 14-01-2018 à 16h17 - Mis à jour le 14-01-2018 à 18h05
Il y a précisément deux siècles, en janvier 1818, Mary Shelley publie son roman "Frankenstein ou le Prométhée moderne". Le résultat d’un défi, lancé un an et demi plus tôt au sein d’un groupe jeunes gens "romantiques" lors d’un séjour estival en Suisse, sur les bords du lac de Genève. Se trouvent parmi eux Mary Wollstonecraft Godwin, son futur mari le poète britannique Percy Shelley et le non moins célèbre Lord Byron. Chacun relève le challenge d’écrire une histoire d’épouvante. C’est Mary qui imagine l’histoire la plus aboutie : celle d’un jeune savant suisse, Victor Frankenstein, qui crée un être vivant, en assemblant des parties de chairs mortes. Mais ensuite, horrifié par son aspect monstrueux, le Dr Frankenstein abandonne sa créature. Mais le "monstre", doué d’intelligence et de sensibilité, se venge de ce rejet, que lui fait aussi subir la société.
Ethique et culture populaire
En deux cents ans, porté à de nombreuses reprises (entres autres) au cinéma, "Frankenstein" est devenu un mythe. Mais, au-delà du monstre incarné par l’inoubliable Boris Karloff, le roman apparaît aussi le symbole d’une certaine "science sans conscience", de l’ubris (orgueil démesuré) scientifique, ou encore du savant dépassé par les conséquences de sa découverte. "L’histoire de Frankenstein s’est infusée profondément dans la fiction, le cinéma, la culture populaire, mais aussi dans la façon dont nous concevons l’éthique en matière de technologies médicales, et le rôle de la science et des scientifiques. Beaucoup de rapports politiques consacrés à la régulation de l’ADN recombinant (créé en laboratoire, NdlR), la thérapie génique, les aliments génétiquement modifiés ou les nouvelles technologies chirurgicales évoquent le mythe de Frankenstein", constatent les scientifiques de la Fondation suisse Brocher, qui a consacré une série d’événements dialoguant entre le roman et la science d’aujourd’hui. Car Frankenstein est bien d’actualité. "Avant tout, Frankenstein est un ‘récit édifiant’, qui évoque les promesses et les périls des avancées scientifiques. Même aujourd’hui", insiste le docteur en médecine américain Philip Mackowiak, qui a rédigé un article pour une très sérieuse revue scientifique sur "Frankenstein, Shelley et le côté sombre de la science", où il cite des expérimentations dignes du "Dr Victor".
En 2018, l’hybride homme-machine
"La médecine a son côté sombre, avec un potentiel à faire du mal, que certains considèrent comme aussi omniprésent que largement ignoré." Un "exemple spectaculaire de ce potentiel" : la création d’un virus de la grippe aviaire par des savants hollandais, qui a soulevé des craintes de pandémie humaine ou d’attaque biologique (de leur côté, fin 2017, les Etats-Unis ont levé l’interdiction de créer des virus mortels en laboratoire) ou encore le clonage de Dolly la brebis en 1997, "qui a soulevé des questions sur ce qui constitue une ‘science acceptable’. Sans oublier le rêve de l’Italien Canavero de greffer une tête humaine.
Mais c’est "l’homme augmenté", mélange "frankensteinien" de biologique et de technologies, cher au transhumaniste Rey Kurzweil (Google), qui suscite désormais bien des craintes. "Les visionnaires des big data et des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) sont en train de fabriquer un homme nouveau en l’hybridant avec la machine, avertit dans un nouvel ouvrage le Belge Paul Lannoye, député européen honoraire et président du Grappe (Groupe de réflexion et d’action pour une politique écologique), citant en exemple l’entreprise malinoise ayant implanté une puce RFID dans la main de ses employés. Nous sommes confrontés aujourd’hui à un déferlement de technologies invasives pour le corps et l’esprit humains. Les potentialités énormes liées à la convergence des biotechnologies, des nanotechnologies, et des technologies de l’information font rêver les décideurs au point de leur retirer tout esprit critique et ébranlent les digues éthiques approuvées il n’y a pas si longtemps." "Mon opinion est que cela demande une vigilance particulière", poursuit-il, appelant enfin à réfléchir "à la manière de lutter contre les Frankenstein du XXIe siècle."
Sergio Canavero, Dr Frankenstein du XXIe siècle
Greffe de tête. Le Dr Frankenstein du XXIe siècle, c’est peut-être lui : de petites lunettes rondes, le crâne dégarni et le visage bronzé d’un gentil grand-père qui aimerait trop le golf, voici l’Italien Sergio Canavero. Depuis des années, ce neurochirurgien assure qu’il mènera la première transplantation de tête humaine de l’histoire. Baptisé par la presse internationale Dr Frankenstein, il affirme que le roman de Mary Shelley est pour lui une inspiration scientifique. "Je suis intéressée par l’extension de la vie, et l’idée de briser le mur entre la vie et la mort", expliquait-il mi-2017. En novembre, lors d’une conférence de presse à Vienne, le très médiatique médecin a affirmé avoir réussi, pour la première fois de l’histoire, à transplanter le corps d’un donneur (décédé) sous la tête d’un receveur, décédé également. Cette opération a eu lieu en Chine, avec un confrère chinois, vu les critiques de la communauté scientifique en Occident. Ses confrères sont plus que dubitatifs. Tout d’abord, difficile de juger vraiment des résultats sur des cadavres. Et d’un point de vue éthique, son objectif est qualifié de "moralement mauvais" voire de "criminel". Le receveur resterait tétraplégique (la fusion de la moelle épinière n’a pas été prouvée) et devrait lutter contre un rejet massif. Canavero, lui, ne se démonte pas : il veut à présent, réaliser la même greffe, sur des donneurs en état de mort cérébrale, mais au cœur battant. Avant l’étape finale sur "vivant".
En 2018, quels outils aurait à sa disposition un Docteur Frankenstein pour bâtir sa "créature" ? Clonage, membres bioniques, organes cultivés en laboratoire... Cliquez sur l'image ci-dessous pour le découvrir.