Ondes Wi-Fi, GSM: le calvaire des électrosensibles
Un citoyen contre le projet de compteurs intelligents dans chaque foyer : "Je devrai déménager loin de toute activité humaine".
Publié le 16-01-2018 à 06h56 - Mis à jour le 16-01-2018 à 10h14
Un citoyen contre le projet de compteurs intelligents dans chaque foyer : "Je devrai déménager loin de toute activité humaine". "Vous avez un smartphone sur vous ? Pourriez-vous l’éteindre svp ? Après une dizaine de minutes, cela me cause de violents et persistants maux de tête." Cette question, Luc Charles, 62 ans, d’Ohey (province de Namur), l’a posée à la Dernière Heure. Comme à tous ses visiteurs. Ce membre de l’ARHES (Association pour la reconnaissance de l’électrohypersensibilité) souffre d’une hyperélectrosensibilité sévère.
Une pathologie relativement nouvelle et méconnue, et sur laquelle les scientifiques sont divisés. Elle se manifeste par de violentes douleurs au crâne lors d’une exposition aux ondes de basses (télévision, électroménagers, etc.) et hautes fréquences (micro-ondes, GSM, Wi-Fi, etc.) Elles s’accompagnent d’acouphènes, mais aussi à l’occasion de vertiges, nausées, troubles cognitifs, ou encore de fatigue chronique.
Une actualité a provoqué chez lui une vive inquiétude. En effet, le gouvernement wallon a annoncé la semaine dernière son intention d’installer des compteurs électriques intelligents et communiquants dans chaque foyer.
Ces dispositifs numériques remplaceront à terme les actuels compteurs mécaniques. Ils émettront jusqu’à 10.000 fois par jours, à des intensités supérieures ou égales à celles d’un smartphone.
" Je demande à ce qu’on continue à utiliser les anciens compteurs. Ou à tout le moins, qu’on me laisse le choix de garder l’ancien. Sinon, je serai forcé de déménager loin de toute activité humaine pour éviter d’être pollué par les ondes, à haute et basse fréquence", reprend ce formateur spécialisé dans la lutte anti burn-out, qui ne peut, désormais, plus se rendre au travail. Ses symptômes ont commencé en 2000. Au même moment, les GSM se multipliaient dans le pays.
"Je reçois les gens à domicile, à condition qu’ils éteignent leur téléphone. Je suis forcé de limiter mes sorties au maximum… Je sors avec une casquette et un foulard comme une sorte de barrière de protection aux ondes", nous raconte ce père de famille.
Avec cette pathologie , c’est toute la vie de Luc qui s’est trouvée chamboulée. "Ma carrière est finie. Ma vie sociale est partie en morceaux. Au niveau familial, cela s’est aussi détérioré. Si je tombe sur des jeunes, je dois leur demander d’éteindre leur téléphone. C’est compliqué… Même mes filles oublient parfois de l’éteindre lorsqu’elles me rendent visite."
Aussi a-t-il développé une série de stratégies, des zones blanches, pour éviter de souffrir : il regarde la télé de (très loin) à travers un double vitrage, sur une très vieille télé à tubes cathodiques. "Car avec un écran LED, à travers la vitre, je vois quatre ballons !", sourit-il.
Il a placé un sur-écran sur son ordinateur portable, ce qui réduit son rayonnement.
L’électricité de son bureau est acheminée par un bloc multiprise blindé.
Il sort de la cuisine quand le micro-onde fonctionne. Luc conserve également une vieille Audi de 2002 : les nouveaux modèles contiennent trop d’électronique. Quand il ne connaît pas les lieux, il se déplace avec un appareil qui mesure l’intensité des ondes. Il nous raconte cela alors qu’il resserre l’ampoule de la lampe fixée au plafond.
"Ce sont de vieilles ampoules à incandescence, qu’on ne trouve presque plus. Je suis passé chez Brico et j’en ai acheté un rayon de trois mètres de long. De quoi être tranquille durant 30 ans ! Les nouvelles émettent nettement plus d’ondes électromagnétiques. Ma santé s’est détériorée avec les années. Notamment quand on est passé de la 2 G à la 3 G, puis à la 4 G", regrette-t-il.
Sa pathologie n’est pas encore reconnue en Belgique, même si un travail législatif a été entamé en ce sens (voir encadré). "Au début, mon médecin traitant ne me croyait pas. Puis, j’ai été passé un électroencéphalogramme à Paris, que je lui ai montré. Depuis, il ne doute plus, souffle Luc Charles. C’est dommage, j’ai passé une partie de ma carrière à économiser un budget pour faire le tour du monde. Je ne pourrais jamais partir."
Ondes électromagnétiques : 6 principes de précaution
GSM, baby phones, Wi-Fi : les conseils du SPF Santé publique
L’hypersensibilité ne concerne qu’une petite partie de la population. Elle n’est pas reconnue en Belgique comme un diagnostic médical, les résultats des études scientifiques sur le sujet étant jugés peu concluants.
On qualifie une personne d’électrohypersensible lorsque des symptômes apparaissent à des degrés d’exposition bien en deçà des valeurs limites internationales, et qui n’entraînent aucune réaction chez la plupart des gens.
Cela ne doit pas vous empêcher de respecter un simple principe de précaution. Certains auront, au minimum, le mérite de vous faire économiser de l’électricité. Voici six conseils, dont les quatre derniers émanent du SPF Santé publique.
1 Débrancher le Wifi durant la nuit : certains électrohypersensibles estiment que les ondes Wifi nuisent à la qualité du sommeil.
2 Préférer une connexion Internet par câble.
3 Éviter une exposition trop prolongée avec un GSM à l’oreille : en effet, selon le Centre international de recherche sur le cancer, l’utilisation prolongée d’un téléphone mobile pourrait engendrer un risque accru de cancer du cerveau. Le SPF Santé publique préconise de privilégier les SMS.
4 Babyphones sans fil : étant donné la diversité des babyphones, le SPF Santé publique conseille de placer l’appareil du bébé à au moins 1 mètre du lit et en utilisant la position "activation vocale".
5 Utilisez une oreillette : la distance entre vous et votre GSM est plus importante, et par conséquent votre exposition est moindre. Vous pouvez aussi téléphoner en utilisant la fonction haut-parleur.
6 GSM et enfants : prudence.
Selon le SPF Santé publique, plusieurs scientifiques s’accordent à dire qu’il est préférable que les enfants utilisent le GSM aussi peu que possible. Lors d’un appel passé avec un GSM, l’énergie absorbée par la tête d’un enfant est supérieure à celle absorbée par la tête d’un adulte. L’exposition cumulée de la génération actuelle d’enfants et d’adolescents sera à l’âge adulte bien plus élevée que celle des adultes actuels.
Un traitement médical individualisé
L’hypersensibilité électromagnétique n’est pas reconnue comme maladie, mais comme "un ensemble de plaintes physiques que certaines personnes attribuent spontanément à l’exposition aux champs électromagnétiques", détaille le SPF Santé publique dans une brochure consacrée aux champs électromagnétiques et à la santé.
Les plaintes (problèmes cutanés, irritations, fatigue, migraines, palpitations, étourdissements…) diffèrent d’une personne à l’autre.
"Il n’existe actuellement aucun traitement thérapeutique défini", poursuit le SPF Santé publique. Les médecins sont généralement démunis face à cette problématique.
Il est généralement conseillé aux patients de se protéger en recouvrant leurs murs de peinture au carbone ou encore en enfilant des vêtements de protection.
Patrick Prévot : "Écouter les spécialistes qui nous mettent en garde"
Le député PS a déposé une proposition pour la reconnaissance de l’électrohypersensibilité
Le syndrome, partiellement inexpliqué, de l’électrohypersensibilité est apparu dans les années 50, avant de se faire de plus en plus prégnant avec l’évolution technologique. La Suède a d’ores et déjà reconnu l’électrohypersensibilité comme handicap fonctionnel. C’était en 2002. La Belgique n’en est pas là. Mais le travail a été initié.
Ainsi, en mai 2017, trois députés PS, dont Philippe Mahoux, médecin de son état, ont déposé au Sénat une proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité.
"Notre travail se poursuit. Nous souhaitons amener le texte jusqu’en séance plénière. Nous rencontrons notamment l’ARHES (Association pour la reconnaissance de l’électrohypersensibilité) en janvier", nous explique Patrick Prévot (PS), député wallon. "Selon des chiffres de l’OMS extrapolés pour la Belgique, on estime qu’entre 100.000 et 300.000 Belges en souffrent. Depuis la semaine dernière et la décision du gouvernement wallon de généraliser les compteurs électriques intelligents, plusieurs personnes m’ont interpellé pour me mettre en garde contre les nuisances quotidiennes qu’ils occasionneraient pour eux. Il faut être attentif aux nuisances que cela pourrait amener."
Dans le cadre d’une commission, les députés demanderont l’avis de plusieurs spécialistes quant à ce phénomène encore mal connu. "De plus en plus de gens se disent électrohypersensibles. Cela peut devenir un calvaire pour eux ! reprend Patrick Prévot. C’est pourquoi, dans le cadre de cette résolution, nous demandons que cette pathologie soit prise en charge. Et qu’elle soit étudiée. Nous voudrions l’intégrer à terme au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Cela permettrait aux victimes reconnues de percevoir une indemnisation, selon la gravité de leur état. Dans un monde de plus en plus connecté, il faut écouter les voix des spécialistes qui nous mettent en garde. Même si je suis le premier à râler, quand, dans le train, je perds ma connexion 4 G. Qui sait si un jour, le Wi-Fi dans l’espace public ne sera pas considéré au même titre que l’est le tabagisme passif ?"