Quand Hawking comparait l'Univers à une bulle
Publié le 14-03-2018 à 07h47 - Mis à jour le 10-02-2020 à 09h34
Le "phénomène Hawking" ne doit en rien occulter le savant Hawking comme nous le précisait le professeur Marc Henneaux, professeur de physique théorique à l'ULB, lauréat du prix Francqui 2000. "Stephen Hawking est un très grand physicien explique Marc Henneaux. Il a sans cesse travaillé à réconcilier les deux grandes théories scientifiques du vingtième siècle, la gravitation et la mécanique quantique, pour arriver à une théorie du tout. Dans ce cadre-là, ses théorèmes sur les singularités ont amené la communauté scientifique à étudier sérieusement la question des trous noirs. Il a montré que les trous noirs ne l'étaient pas totalement et pouvaient émettre un rayonnement. Il a été un des pionniers de la thermodynamique des trous noirs en montrant que la surface externe d'un trou noir est fonction de son entropie et il a apporté des contributions capitales à la cosmologie."
Stephen Hawking était capable de défendre avec vigueur son point de vue comme lors de la longue polémique sur la conservation ou non de l'information qui tombe au fond d'un trou noir. Hawking prétendait qu'elle était perdue. Il s'était ensuite rallié à l'opinion inverse qui montre que cette information reste là et peut "ressortir".
Pour résumer les propos de Stephen Hawking, on dira que le "monde" est un grand vide, dans un espace à neuf ou dix dimensions avec des fluctuations quantiques internes qui peuvent créer "des bulles", un peu comme la vapeur qui se forme dans l'eau qui chauffe. Ces bulles croissent, s'accumulent ou meurent. Notre univers, celui qu'on connaît, serait une de ses bulles. On le voit croître (c'est l'expansion de l'univers démontré par la fuite des galaxies). Il est sans bord, mais limité comme l'est la surface d'une bulle. Tout le monde que nous connaissons, depuis nos objets proches et usuels jusqu'aux galaxies lointaines, serait donc "collé" à la surface d'une de ces bulles. L'intérieur de la bulle impliquant une autre dimension interdite à nos forces physiques, sauf à la force de la gravité. Et toutes les caractéristiques de la bulle entière seraient reproduites sur sa seule surface comme un hologramme contient en deux dimensions tous les aspects d'un objet en trois dimensions. La surface de cette bulle s'appelle un "brane" (mot issu de "membrane"). Nous serions entourés de branes, d'univers semblables aux nôtres, comme des bulles qui naissent à foison dans une eau bouillonnante.
Des bulles
Si Stephen Hawking imagine le "big bang" que nous connaissons dans notre monde comme étant le germe d'une de ces bulles, d'autres voient le big bang, cet instant créateur de notre monde, comme la résultante du choc entre deux branes qui se croiseraient.
Tout ceci peut paraître hautement spéculatif, mais les physiciens sont certains de tenir le bon bout. Depuis des décennies, ils refusent d'admettre que deux grandes théories scientifiques, aussi avérées que la relativité d'Einstein qui décrit merveilleusement bien la gravitation à longue distance et la mécanique quantique d'autre part, qui fait merveille dans l'infiniment petit (l'électronique, le laser, etc. en découlent) soient incompatibles quand on parle d'un trou noir ou des premiers instants de l'univers, juste après le big bang.
La percée fut la mise au point de la théorie des cordes à partir de 1985. Pour éviter les singularités (les points d'infinis), on imagine qu'il y a de minuscules cordes qui, en vibrant, forment les particules élémentaires constitutives de notre univers. Remplacer les singularités par des cordes résout comme par miracle, les problèmes d'incompatibilité entre la relativité et la mécanique quantique. Mais les cordes impliquent qu'on vivrait non pas dans un monde à quatre dimensions (trois dimensions pour l'espace, et une pour le temps) mais bien dans un espace à dix dimensions, dont neuf dimensions d'espace. La théorie la plus actuelle est dite "théorie M" ("M" pour "Miracle, Mother et Mystery"). Tout cela n'est-il que pure science-fiction ? Nullement affirment les physiciens qui ont déjà prévu des conséquences indirectes de ces théories qui pourraient être testées sur le super-accélérateur de particules, le LHC du Cern, à Genève.
Principe entropique
Stephen Hawking avait accepté en 2007 de répondre d'autre part à quelques questions plus précises. Et d'abord sur le "principe entropique" qui divise la communauté des physiciens. Il consiste à remarquer que les caractéristiques de notre Univers (constantes, lois) étaient hautement improbables et sont ajustées exactement pour que l'homme puisse apparaître. Eussent-elles été un rien différentes que notre univers eut été stérile. On y ajoute le concept de "paysage cosmologique", il y aurait des milliards d'univers possibles qui naissent, se développent ou meurent et le nôtre n'est que l'un d'eux. "La dernière théorie, répondait Hawking, propose un ensemble d'univers possibles, chacun associé à une probabilité d'exister. Cet ensemble est parfois appelé "paysage cosmologique". Ce serait cependant une erreur de penser que nous devrions vivre dans l'univers le plus probable puisque la plupart de ces univers ne peuvent développer la vie. Pour expliquer pourquoi l'univers que nous observons est comme il est, plutôt que d'être un des autres univers possibles, il faut passer par le principe anthropique. Il est basé sur le fait - évident- qu'on ne pourrait se poser des questions sur la nature de l'univers si celui-ci ne contenait pas des étoiles, des planètes, des composés chimiques, tous éléments indispensables à l'éclosion de la vie "intelligente". Appliqué à la cosmologie, ce principe choisit les univers qui ont les bonnes conditions pour le développement de la vie parmi l'ensemble des univers possibles. Cela n’a aucune importance si notre univers a une très faible probabilité : les univers stériles n'ont personne pour les observer !"
Croyez-vous, lui avions-nous demandé qu'un jour nous aurons une théorie du Tout qui parviendra à expliquer notre univers ?
"Il est très possible que nous parviendrons à trouver une théorie complète de la nature dans un avenir proche. Mais une telle théorie du Tout ne pourra jamais prédire chaque détail de l'univers, sinon elle est impossible. Et même si nous connaissions la théorie ultime, je m'attends à ce que notre progression vers sans cesse plus de complexité continuera encore. Dans ce cadre, la théorie des cordes est sans doute une bonne étape, mais je ne pense pas que ce soit la réponse finale. Nous avons besoin de quelque chose de radicalement neuf, un nouveau départ à partir du cadre actuel".
Mais si tous ces autres univers existent bien, comment pourrions-nous les connaître ?
"Il est difficile d'observer les signatures de ces autres univers qui sont radicalement différents du nôtre. Mais on pourrait voir l'influence des univers proches, sur le nôtre, grâce aux petites fluctuations quantiques dans la géométrie de l'univers qui ont été amplifiées et étirées fortement dans notre univers initial, peu après le big bang, créant une trame de variations spatiales de températures dans le rayonnement de fond cosmologique de l'univers. Ces variations ont pu être observées entre autres par le satellite WMAP. Ces petites variations de températures qui sont les signatures des autres univers proches, ont évolué ensuite dans de larges structures comme les étoiles et les galaxies qu'on observe aujourd'hui. Nous sommes donc nous-mêmes, les produits de l'interaction de différents univers juste après le big bang".
Que se passerait-il si une équipe d'aventuriers plongeait dans un trou noir ?
"Il est possible que l'intérieur d'un trou noir puisse être comme un pont qui connecterait différents univers, mais il est plus probable que l'espace-temps se termine dans la singularité du trou noir, ce qui serait une bien mauvaise nouvelle pour vos aventuriers ».
