Des chercheurs belges réalisent une découverte majeure dans la lutte contre le cancer
Publié le 18-04-2018 à 19h00 - Mis à jour le 19-04-2018 à 14h32
Si ce n'est, à ce jour, la plus importante publication du Pr Cédric Blanpain et son équipe, celle que publie ce mercredi la revue Nature figure assurément parmi les plus fondamentales à l'actif du prolifique chercheur Welbio (1), professeur à l'ULB. Pour la première fois au monde, des scientifiques dirigés par le Pr Blanpain ont identifié les différents états de transition cellulaires survenant au cours de la progression du cancer mais aussi, et surtout, les sous-populations de cellules tumorales responsables de métastases dans deux cancers, en l'occurrence un cancer de la peau (le carcinome épidermoïde) et deux cancers du sein. "C'est une découverte tout à fait majeure", nous a confié avec beaucoup d'enthousiasme le Pr Cédric Blanpain.
Et de fait, cette découverte devrait ouvrir la voie vers le développement de nouvelles stratégies visant à bloquer la progression tumorale et les métastases. Ainsi que permettre de mieux comprendre la résistance aux traitements chimiothérapeutiques et pourquoi certaines cellules sont plus métastatiques.
Pour appréhender l'ampleur de cette avancée, il faut avant tout évoquer l'hétérogénéité tumorale et comprendre une notion centrale qu'est la transition épithélio-mésenchymateuse (TEM).
En effet. L'hétérogénéité tumorale décrit les différences entre les cellules au sein d'une tumeur donnée, lesquelles ont des implications majeures pour le diagnostic, le pronostic ainsi que le traitement des patients atteints d'un cancer. Pour expliquer l'hétérogénéité tumorale, différents mécanismes ont été suggérés comme la transition épithélio-mésenchymateuse.
On peut dire qu'à son stade initial, un cancer est similaire à un tissu normal, dans la mesure où les cellules se touchent entre elles. Elles adhèrent, comme si elles se tenaient la main. Dans le cancer, certaines des cellules tumorales acquièrent des propriétés de migration et d'invasion, se détachant ainsi de la masse de départ. Ce processus, dans lequel ces cellules tumorales épithéliales perdent leur adhérence et acquièrent des propriétés mésenchymateuses - avec une plus grande capacité de migration, métastatique et résistance aux traitements médicamenteux - ,s'appelle la transition épithélio-mésenchymateuse. Un épithélium est un tissu composé de cellules juxtaposées alors qu'un mésenchyme est un tissu dans lequel les cellules sont individuelles.
Que savait-on jusqu'ici des cellules tumorales responsables des métastases?
On en savait finalement peu de choses. Nous savions que, lors de la fameuse transition, les cellules perdaient leur adhésion et qu'ensuite, elles devaient passer à travers les vaisseaux sanguins pour arriver au site qu'elles voulaient coloniser - par exemple le poumon, le cerveau, le foie… -. On savait aussi que, pour passer dans le sang, cette TEM était probablement nécessaire. Des données avaient montré qu'en favorisant ce détachement, on augmentait le nombre de métastases. C'est un peu tout ce que l'on connaissait jusqu'ici.
Si l'on imaginait qu'il existait plusieurs états transitionnels dans le cancer et que les cellules présentant différents degrés de TEM pourraient présenter un potentiel métastasique différent, jamais jusqu'à présent cette hypothèse n'avait été explorée.
C'est précisément ce que vous et votre équipe avez fait?
Exactement. L'année dernière, nous avions découvert qu'un de nos modèles de cancer présentait une TEM. Nous nous sommes dit que c'était un super modèle pour essayer de savoir si oui ou non ce passage d'un état épithélial à un état mésenchymateux plus invasif passe par des états transitionnels. Et si oui, ceux-ci ont-ils des capacités de métastases différentes? Nous avions alors montré que les cellules ayant un état mésenchymateux sont en effet plus métastatiques que les autres. Mais on ne savait pas si cela passait par ces états-là. Pour le savoir, Ievgenia Pastushenko, première auteur de l'étude, et ses collègues ont donc utilisé ces modèles de cancers de la peau et du sein qui présentent une TEM.

Comment l'équipe a-t-elle procédé?
Nous avons eu l'idée d'une approche innovante dans l'étude du cancer. En l'occurrence, nous avons screené des centaines d'anticorps monoclonaux reconnaissant des molécules de surface. En effectuant le séquençage des cellules tumorales uniques, l'équipe a découvert l'existence d'au moins 7 sous-populations cellulaires représentant différents états de TEM : de complètement épithéliales ou bien différenciées à complètement mésenchymateuses ou états indifférenciés, passant par des états hybrides intermédiaires. C'est la première fois au monde que l'on a pris une approche agnostique où l'on a screené en masse des marqueurs de surface pour essayer de découvrir s'il existait des sous-populations de cellules tumorales qui pouvaient être investiguées.
Ces différentes sous-populations de cellules tumorales ont-elles des fonctions différentes?
La réponse est clairement oui. Ievgenia Pastushenko et ses collègues ont en effet démontré que toutes les populations de cellules tumorales ne sont pas fonctionnellement équivalentes et également métastatiques et que les cellules tumorales avec un phénotype épithélio-mésenchymateuse hybride - celles co-exprimant à la fois les marqueurs épithéliaux et mésenchymateux - sont responsables des métastases pulmonaires. Certaines de ces sous-populations sont très différemment résistantes aux traitements de chimiothérapie. Chacune de ces sous-populations a donc un rôle bien particulier dans le cancer: certaines prolifèrent et sont donc le fuel de la tumeur; d'autres sont le fuel de l'invasion, ou des métastases ou de la résistance. Se rendre compte que chacune de ces sous-populations a une fonction différente dans le cancer, cela ouvre une série de perspectives tout à fait colossales dans notre compréhension précise de la biologie des cancers.
Vous avez identifié des sous-populations de cellules tumorales dans un cancer de la peau et dans celui du sein. Qu'en est-il des autres cancers?
Ces résultats suggèrent que l'on va retrouver des états intermédiaires comme ceux-là dans tous les cancers qui présentent une transition épithélio-mésenchymateuse.

Et maintenant, quelles sont les étapes suivantes?
Il faudra essayer de comprendre pourquoi certaines cellules sont plus métastatiques que d'autres. Peut-on contrôler voir empêcher qu'elles métastasient, qu'elles deviennent invasives ou qu'elles passent par ces états transitionnels… Et quand on étudiera plus à fond la question de la résistance aux traitements chimiothérapeutiques, quelle est la raison pour laquelle ces cellules sont plus résistantes au traitement? Et si l'on ne peut pas inhiber cette capacité de résistance…
L'identification de ces différents états de transition tumorale présentant différentes caractéristiques fonctionnelles telles que la prolifération, l'invasion et le potentiel métastatique dans un large éventail de cancers à la fois chez la souris et chez l’homme a des implications très importantes pour le développement de nouvelles stratégies pour bloquer la progression tumorale et les métastases. Il est probable que ces différents états de transitions tumoraux sont également importants quant à la réponse des cellules cancéreuses à la chimiothérapie et à la radiothérapie.
(1) Cette étude a été le fruit d’une collaboration entre de nombreux groupes de recherches en particulier celui de Thierry Voet, KUL et d’Isabelle Salmon, Hôpital Erasme/ULB. Ce travail a été soutenu par le TELEVIE, le WELBIO (Institut wallon virtuel de recherche d'excellence dans les domaines des sciences de la vie), la Fondation Contre le Cancer, la fondation de l'ULB, le Fonds Erasme, le Conseil européen de la recherche (ERC), Worldwide Cancer Research et la fondation Baillet Latour.