"Le sommet de 20 ans de travail": Dans son ultime étude, avec un Belge, Stephen Hawking voulait prouver qu'il existe de multiples Univers
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Publié le 01-05-2018 à 18h28 - Mis à jour le 02-05-2018 à 07h38
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C’est le sommet de notre travail ensemble”. C’est ainsi, que le Belge Thomas Hertog décrit le dernier article co-rédigé avec le célèbre cosmologiste Stephen Hawking, décédé en mars. C’est aussi le dernier que le “plus célèbre scientifique du monde” a publié de sa vie.
Dès sa prépublication en “open access” sur Internet en mars, le papier a d’ailleurs fait le buzz. Certains comparant cette ultime publication à celles de chefs-d’oeuvre quasi posthume d’autres stars - de la pop cette fois - comme David Bowie et son album “Blackstar”. “Ce n’est pas si mal trouvé”, juge Thomas Hertog, dans son bureau de la KULeuven, quelques jours avant la sortie officielle de l’article,dans une revue scientifique. “Stephen Hawking était très attaché à ce papier. Je le vois comme la conclusion d’un dialogue que j’ai débuté avec Stephen il y a 20 ans, sur l’origine de l’Univers.”

“Big Bang Theory” Qu’y a-t-il dans cette fameuse “pépite” ? En gros, l’article fait entrevoir une possibilité qui relevait jusqu’ici de la science-fiction : pouvoir prouver la réalité d’Univers multiples. Déterminer, de manière indirecte, du moins, qu’il n’y aurait pas seulement l’Univers dans lequel nous trouvons, mais une série de mondes parallèles. “Ce papier est en fait une théorie du Big Bang (le modèle utilisé par les scientifiques pour décrire l’origine de l’Univers, puis son évolution), entame Thomas Hertog. Beaucoup de nos théories, nos modèles mathématiques du Big Bang prédisent un ‘multivers’, c’est-à-dire des univers multiples. En gros, elles prédisent non pas un, mais beaucoup de Big Bang, et chaque Big Bang donne lieu à un différent univers.”
Cette tendance à donner lieu à des multivers a pour origine la vision qu’avait du Big Bang, l’inventeur de ce concept, le prêtre belge Georges Lemaître, et qui était une vision basée sur la physique quantique. “Et la physique quantique décrit un monde de probabilités, de hasards... Et donc aucune théorie du Big Bang basée sur la physique quantique ne va donner un seul Univers. Cela va toujours donner lieu à une sorte de ‘remue-ménage’, de ‘désordre’, en anglais, de ‘fuss’. Cela donne des univers très complexes, avec une immense série d’Univers. Chaque univers a différentes propriétés : certains ont des étoiles, d’autres pas, de la gravité, d’autres pas... Problème : avec ces théories, vous ne pouvez rien prédire à propos de notre Univers, celui dans lequel on vit, car tout est possible.”

Sur les traces de Georges Lemaître Or, en sciences, le but est de faire des prédictions que l’on peut tester. “Comme Stephen Hawking le disait : ‘mon but est de construire des théories de notre monde qui sont à la fois mathématiquement cohérentes et testables.’ Tester, cela veut dire que l’on peut observer, prouver.”
En 1983, Hawking suivit les traces de Georges Lemaître et de sa vision et écrivit le premier modèle mathématique (en équations) du Big Bang. “Cependant, plus tard, à deux, nous avons réalisé que ce modèle de 1983 prédisait ce multivers géant dont nous venons de parler. continue le P r Hertog. Quand c’est devenu clair, Stephen n’était pas très heureux, et a dit :’’l faut dompter cet univers multiple’. Car si vous avez une meilleure théorie, plus solide mathématiquement, à la fin, elle mènera à des prédictions plus définies. Cela va réduire ce multivers pas à un seul, mais à une série d’Univers semblables aux nôtres, partageant les mêmes propriétés. Donc, on peut le tester, l’observer, depuis l’intérieur de notre propre Univers !”
Controversé Les deux scientifiques ont pu mettre sur pied ce fameux modèle, exposé dans le nouvel article, en concevant “leur propre théorie des cordes, une nouvelle technique, une nouvelle perspective mathématique, qui n’existait pas en 1983”, explique Thomas Hertog. Il est possible de tester la validité de ce modèle et observer ses manifestations réelles dans l’Univers, sous forme de radiations, avec des observatoires spatiaux nouvelle génération, ajoute le scientifique. Qui est bien conscient que, parmi les physiciens, l’idée des multivers est controversée : “mais les “contre” argumentaient que cela ne pouvait être testé. Or, notre modèle montre que dans notre Univers, des observations peuvent fournir des preuves d’un multivers.”
Dans cette vidéo, Thomas Hertog décrit son travail avec Stephen Hawking et leur proximité.
Pour sa part, le physicien de l’UNamur André Füzfa juge l’approche de Hertog et Hawking “ tout à fait pertinente et bien posée”. “Elle s’inscrit dans une littérature scientifique très abondante sur le sujet. L’avantage du modèle de Hertog et Hawking est qu’il permet de réaliser des calculs de prédictions précises, sans les ambiguités que l’on peut trouver ailleurs. (...) Et les tests proposés sont effectivement envisagés, intéressants mais pas spécifiques à leur modèle. Il faudra donc voir si celui-ci peut prédire des caractéristiques assez différentes des prédictions des autres modèles. Si on peut mesurer assez finement ces phénomènes physiques, et si leur modèle amène des prédictions bien nettes, alors il serait possible de trancher en faveur des multivers plutôt que d’autres explications...”
La théorie des Univers multiples pourrait être testée vers 2034
Comment tester dans la réalité la théorie du Big Bang menant à des Univers multiples de Stephen Hawking et Thomas Hertog ? En gros, en envoyant dans l’espace un observatoire, qui pourrait repérer d’infimes radiations.
“En fait, tous ces Univers tirés de notre théorie du Big Bang ont commencé avec une phase très rapide d’expansion, on l’appelle l’inflation, explique le Professeur Hertog. Tous les univers qui commencent comme ça, quand ils sont en expansion et refroidissent, produisent un modèle, un motif, de minuscules variations de températures, en différentes régions. Des univers créés ainsi ne seront pas les mêmes partout. Il y aura des rides, des vagues, disons, qui se sont imprimés dans l’Univers, au moment du Big Bang. Ces variations du “jeune univers” ont déjà été observées, c’est le fond diffus cosmologique. On a déjà la photo du ciel qui nous montre comment l’Univers était juste après le Big Bang, via les températures."

"Sur la photo , les couleurs qui varient montrent que les températures ne sont pas les mêmes partout. Notre théorie n’est pas encore complètement testée, mais cette photo et les motifs de variations sont tout à fait caractéristiques des univers prédits par notre modèle. Nous semblons donc sur le bon chemin. Mais il faut encore affiner notre modèle et de meilleurs photos sont nécessaires, afin de pouvoir vraiment le prouver.”
Ce qu’il faudrait : des satellites capables de mesurer les détails encore cachés dans la photo actuelle. “Mais depuis les années 60, on a déjà fait beaucoup de progrès dans ce type de mesures. Peut-être dans les prochaines années ou décennies, on sera capable de les mesurer”, estime le scientifique.
Lancement du détecteur Lisa dans l’espace en 2034 Plus précisément, selon sa théorie, une partie des variations observées dans la fameuse photo est due aux ondes gravitationelles créées par le Big Bang. “Dans notre théorie, le Big Bang s’accompagne de ces ondes gravitationelles. Ces vagues dans le tissu de l’espace et du temps laissent leur empreinte dans ces motifs de la photo. Cela, cela n’a pas encore été observé. Donc, ce dont on a besoin, c’est soit, des photos extrêmement précises de ces radiations, soit, encore mieux, des détecteurs d’ondes gravitationnelles envoyés dans l’espace, qui pourraient les détecter directement.” L’agence spatiale européenne a le projet de lancer un tel détecteur, “Lisa”, pour ... 2034. La théorie pourrait donc être testée dans une quinzaine d’années !

Si ces observations peuvent être réalisées, alors cela signifierait en effet, pour Thomas Hertog, que la théorie des “Univers multiples restreints” qu’il a conçue avec Stephen Hawking est correcte. “Oui, car - et cela peut paraître étrange - pour prédire ces variations, j’ai besoin de tous mes univers dans ma théorie. C’est un peu comme le boson de Higgs. Il n’a jamais été observé directement au Cern, en fait, on n’a pu qu’observer ses sous-produits lorsqu’il est brièvement produit dans l’accélérateur de particules. Mais sans le boson de Higgs la théorie générale mathématiquement sur tout ce qu’on observe dans l’Univers ne tient pas. Je ne vois pas de différence entre les multivers et le boson de Higgs.”
A quoi pourraient bien ressembler ces Univers multiples ? Au film Interstellar
De quoi auraient l'air ces Univers multiples? Le concept n’est pas nouveau dans la communauté des physiciens. Mais pour Thomas Hertog, il ne s’agit pas, comme on le présente parfois, d’une collection de bulles-univers, séparés par des millions d’années-lumière, “enfermés” d’un espace commun. “Je ne pense qu’il y ait une sorte d’espace coupole dans lesquels ces univers co-existent. Je pense plus ces multivers en terme quantique, comme un ensemble de mondes parallèles, qui coexistent dans la théorie. Mais qui se sont pas réalisés dans un même espace-temps. Je pense à cela en terme mathématiques, un peu comme on le fait avec le boson de Higgs.”
Mais sa vision, dit-il, n’est pas éloignée de celle du fameux physicien français Thibault Damour, par exemple, qui conçoit des mondes et des réalités alternatives, avec des versions de notre Terre avec des Histoires différentes par exemple. “Ce qui est difficile à expliquer au grand public, c’est que ces mondes parallèles sont tous ensemble dans la théorie. Un seul objet mathématique les décrit tous, on ne peut pas les séparer. C’est difficile d’en avoir une réelle image en tête. D’ailleurs, je n’essaye même pas ! La meilleure analogie que j’aie, c’est le film ‘Interstellar’ (2014), lorsque le héros revient à travers le trou de ver, se retrouve derrière une bibliothèque, dans une sorte de monde parallèle. Cela ne mène pas à la même réalité. C’est cela qu’évoquent pour moi les mondes parallèles”.

"La voie que suivent Hawking et Hertog, c'est la voie qu'il faut suivre!"
La théorie des Univers multiples est controversée, parmi les astrophysiciens et cosmologistes ( les scientifiques qui s'intéressent à l'histoire de l'Univers). Certains, très sérieux, défendent cette théorie, tandis que d'autres, tout aussi sérieux, la critiquent. Mais le dernier article de Stephen Hawking, réalisé avec Thomas Hertog, est considéré d'un très bon oeil, par André Füzfa, cosmologiste de l'Université de Namur, que ne fait pourtant pas partie des tenants de la théorie des multivers.
"L'approche de Hawking et Hertog de la gravité quantique est tout à fait pertinente et bien posée, et s'inscrit bien dans l'héritage de l'idée d'"atome primitif" de Lemaître (1934), juge-t-il d'abord. Elle s'inscrit également dans une littérature scientifique très abondante sur le sujet. L'avantage du modèle de Hertog et Hawking est qu'il permet effectivement de réaliser des calculs de prédictions précises, sans les ambiguités que l'on peut trouver par ailleurs".
"La volonté forte de Hawking de proposer des modèles qui ont un écho dans le réel et qui sont testables par des expériences est tout à fait honorable. Elle doit servir d'inspiration aux scientifiques mais aussi à la société dans son ensemble: la science d'Hawking est basée sur des mathématiques profondes, rigoureuses, compréhensibles avec un bon bagage, reproductibles par les autres et qui conduisent à des prédictions objectivables. A l'heure des fake news, du nihilisme, des platistes ou des (vieilles) vedettes de la télé (cathodique) en (grand) manque de reconnaissance intellectuelle, il est salutaire de s'inspirer de la vie et de l'oeuvre de Hawking et de ses proches, dans les circonstances difficiles que l'on sait."
"Mesurer finement ces phénomènes physiques"
Quant aux possibilités de tests proposés par le duo Hawking- Hertog, voici ce qu'il en dit : "Les tests proposés sont effectivement envisagés, intéressants mais pas spécifiques au modèle de Hawking et Hertog. Ils concernent de nombreux modèles inflationnaires et de gravité quantique, pas seulement celui-ci. La trame générale du scénario de l'inflation cosmologique est aujourd'hui confortée par plusieurs observations, notamment du rayonnement fossile par le satellite Planck. L'inflation cosmologique a été introduite il y a près de 40 ans, par des physiciens comme Starobinsky, Guth, Linde, mais aussi Gunzig, Brout et Englert de l'ULB! L'approche de Hawking et Hertog est l'une parmi de nombreuses autres menant à l'inflation."
"Il faudra donc voir si leur modèle peut prédire des caractéristiques suffisamment différentes des prédictions des autres modèles et si il est possible de mettre en évidence ces différences dans de futures expériences sur le rayonnement fossile et sa polarisation ou le fond cosmologique d'ondes gravitationnelles. Si on peut mesurer suffisamment finement ces phénomènes physiques, et si leur modèle amène des prédictions non ambigues et bien nettes, alors il serait possible de trancher en faveur des multivers d'Hawking et Hertog plutôt qu'en faveur d'autres explications. Ceci dit, je suis d'accord: si on peut prouver des prédictions découlant sans ambiguité des multivers alors on peut leur accorder un statut ontologique (i.e., une part de vérité) sans pour autant qu'on ait un accès direct à ces multivers!"
Trop lente, Lisa ?
Petit avertissement de sa part quant au détecteur d'ondes gravitationnelles à lancer en 2034 : "La mission Lisa Pathfinder en 2016-2017 a été un démonstrateur technologique pour la future mission eLISA, et la technologie qui a volé dans l'espace a eu une précision plus de cent fois meilleure que celle attendue pour LISA! La technologie est donc largement déjà disponible et pourtant le lancement n'est prévu qu'en 2036 pour diverses raisons malheureuses... Comme les USA se concentrent plus sur des vols habités vers la Lune et Mars, il n'est pas impossible que d'autres grandes nations, plus à l'Est, plus ambitieuses de prouesses technologiques et parfois plus enthousiastes pour la science fondamentale n'y arrivent avant nous..."
"Les univers multiples sont une vieille idée"
Enfin, par rapport aux univers multiples proprement dit : "Les univers multiples sont une vieille idée en philosophie et métaphysique, rappelle André Füzfa. Les spécialistes de ces disciplines ont défini des critères ontologiques permettant d'évaluer les différentes approches des multivers. L'approche quantique de la cosmologie est très différente de la mécanique quantique habituelle. Alors qu'on peut réaliser des expériences permettant d'observer tous les états quantiques d'un système avec les probabilités prédites par la mécanique quantique, nous n'avons accès qu'à un seul état de l'univers quantique: celui dans lequel nous vivons. Il faut donc être astucieux et procéder différemment si on veut déceler la nature quantique ultime de l'Univers. Il faut trouver dans nos théories des prédictions collatérales spécifiques, des indices irréfutables de la pluralité des mondes qui seraient accessibles dans l'état quantique où nous sommes. Et il faut ensuite que l'on puisse les mesurer. C'est la voie que suivent Hawking, Hertog et beaucoup d'autres, et c'est la voie qu'il faut suivre!"