Plus belle, la vie, après un AVC ? C’est lui qui le dit !
Un pseudo borsalino au ruban rose sur la tête, assorti à la chemise et aux chaussettes, Antoine Audouard débarque, tout sourire bien que "traînant la patte", comme il aurait pu dire, en cette belle journée ensoleillée. Peut-être un temps comme celui qu'il faisait le 28 juin 2012 alors que " par un beau midi de début d'été, écrit-il dans les premières lignes de "Partie gratuite", j'ai émergé d'une sieste pour découvrir que le côté gauche de mon corps était paralysé et que toute la partie gauche du monde avait disparu".
Publié le 03-05-2018 à 16h50 - Mis à jour le 03-05-2018 à 17h48
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Un pseudo-borsalino au ruban rose sur la tête, assorti à la chemise et aux chaussettes, Antoine Audouard débarque, tout sourire bien que "traînant la patte", comme il aurait pu dire, en cette belle journée ensoleillée. Peut-être un temps comme celui qu'il faisait le 28 juin 2012 alors que " par un beau midi de début d'été , écrit-il dans les premières lignes de "Partie gratuite" (Ed. Robert Laffont, 22,70 €), j'ai émergé d'une sieste pour découvrir que le côté gauche de mon corps était paralysé et que toute la partie gauche du monde avait disparu ".
Un AVC (accident vasculaire cérébral) avait frappé, dans son 56e été, cet ancien éditeur, devenu écrivain entre-temps. Ou plutôt venait-il de se voir administrer un (sacré) coup , comme il préfère l'appeler. " Je reprends le mot anglais stroke qui me plaît plus que le froid et technologique sigle AVC , dit-il. Le coup, c'est ce que tu prends sur la tronche (pour moi dans le cou) ". Le coup, c'est aussi le coup d'Etat à la suite duquel le régime s'effondre. "Il n'y a plus de centre de commandement, les routes sont coupées, c'est le bordel dans les rues , nous explique-t-il. Il faut petit à petit rétablir la paix civile et l'ordre. Et cela ne se fait pas d'un seul coup. Il ne suffit pas d'envoyer une mission de l'ONU et dire : vous roulez à droite ou à gauche. Il faut prendre le temps pour reconstruire quelque chose qui ne fonctionne plus."
Et c'est précisément ce que ce père de cinq enfants fait, jour après jour, depuis ce 28 juin 2012. Sans s'apitoyer sur son sort, mais au contraire avec une bonne dose d'humour distillé au fil des pages. " Le lendemain du coup, le caillot a été drainé mais un œdème s'est formé et une réunion a eu lieu au-dessus de mon corps peu défendant, entre réanimateurs et neurologues ", écrit-il, convaincu que l'humour est " une arme, un outil thérapeutique".
Ou encore, quelques pages plus loin, alors que, dans le coma, il est allongé sur la table d'opération : "J'entends un des médecins réanimateurs: "Putain, il a une haleine de cheval !" Me voici d'évidence changé en une sorte de bout de bois devant lequel on peut dire tout et n'importe quoi. Ma réplique est toute prête mais je la garde pour moi par la force des choses: "Désolé, pov' con; si j'avais eu le temps de me brosser les dents avant de dégueuler, je sentirais la menthe fraîche! " Avant d'ajouter : " Sans rancune, les mecs! Vu que je suis encore là pour me foutre de vos gueules, c'est que vous avez fait le boulot ".
Il y a l'avant-coup et l'après-coup
S'il l'avait déjà avant-coup, son sens de l'humour et de l'autodérision se serait, selon ses enfants, aggravé après-coup… " Tout comme l'humour , insiste-t-il , le fait d'avoir de la famille et des proches autour de vous participe à la guérison. De même que la musique. Et la littérature; les Fables de La Fontaine, entre autres. Je pense que l'on peut s'enfermer avec des mots comme on peut se libérer avec des mots. Cela ne suffit pas, mais ça aide ".
C'est que, maintenant dans l'après-coup, il savoure plus que jamais tous les plaisirs simples de la vie: une balade à pied, et non en ambulance ou en taxi conventionné, entre deux hôpitaux dans les rues de Paris, c'est tout simplement devenu magnifique. Car oui, Antoine Audouard peut dresser la liste de ce qui est mieux dans l'après-coup. Un exemple de ce qui a changé pour lui depuis? " J'ai longtemps porté des chaussettes grises , nous répond-il spontanément, maintenant, je mets des chaussettes roses ". De fait. Pourquoi? " Parce qu'il faut mettre des couleurs dans la vie. Et d'ailleurs, je trouve maintenant que ma vie est mieux; elle a plus de couleurs. Aujourd'hui, je goûte beaucoup plus simplement à la vie. Me dire que je suis là, pouvoir regarder ma femme et mes enfants, écouter les oiseaux chanter, tout cela est formidable. Je suis plein de reconnaissance à la vie. Et aux gens. Aux infirmiers, aux médecins, aux kinés, aux brancardiers… J'ai une admiration sans borne pour toutes ces personnes. "
Admiration mais aussi affection que l'on lit au gré des nombreuses rencontres narrées dans "Partie gratuite", et presque autant d'amitiés nouées avec ses complices de mésaventure, les hémi(plégiques) gauche et les hémi droits.
Ses priorités ont-elles changé depuis le coup? " Je pense que je les ai mieux comprises. Mes priorités, c'est m'occuper des gens que j'aime, écrire les livres que j'ai envie d'écrire, m'arrêter quand j'en ai besoin, aller à l'essentiel, dire beaucoup de bêtises… "
"Je ne vois pas de quoi je pourrais me plaindre"
L'humour, encore et toujours. C'est le parti pris pour dédramatiser la situation? " Honnêtement, je ne vois pas de quoi je pourrais me plaindre. Autant il y a des accidents de la vie qui sont absolument atroces, sur lesquels je ne vois pas d'angle drôle, autant, pour ce qui me concerne, il m'est arrivé un accident de santé banal qui touche 150 000 personnes par an en France (soit une personne toutes les 4 minutes) . Je me sens un peu cabossé mais plutôt pas mal, faisant l'essentiel de ce qui compte pour moi. Certes, je ne serai jamais Jimi Hendrix, mais ça, je le savais avant. Ni Usain Bolt, mais là aussi, j'étais au courant". Cela dit, s'il pouvait un jour à nouveau courir, " sur le sable ou dans un bois, mais pas sur le béton ", ce ne serait pas de refus, nous a-t-il encore confié, lui qui découvre quotidiennement des améliorations de son état de santé. " Je suis comme aux premières années de la vie. Je vois des changements quasi tous les jours. Ces temps-ci, cela se passe au niveau de la main. Je la sens de plus en plus souple. J'ai même l'impression qu'elle peut être utile alors qu'elle était jusqu'à présent un poids ou un poing. De temps en temps, quand je lui dis: 'tu ne veux pas prendre ça, lâcher ça?', elle y arrive. J'ai recommencé à compter mon âge, non pas en mois, mais en années après le coup. Là, je ne vais pas tarder à avoir 6 ans. L'année prochaine, c'est l'âge de raison que j'espère n'atteindre pas vraiment, parce que ça me fait peur. C'est l'âge où on devient sérieux et je veux devenir de moins en moins sérieux ".
Antoine Audouard, nous avons demandé de compléter des phrases
L'avant-coup, c'était... Sa réponse intantanée: " C'était bien, mais c'est fini ".
L'après-coup, c'est... Réponse : " C'est bien et ça continue ".
S'il devait parler de l'AVC dans une rubrique santé, il dirait que... Réponse : " Le fait de ne pas avoir fumé une cigarette depuis 30 ans m'a sauvé la vie ".
A propos de la lenteur et de la patience dans ce monde de l"immédiateté, il nous dit : " Aujourd'hui, on n'arrête pas de nous dire qu'il faut accélérer. Pouvoir dire 'non, je vais aller plus lentement' est un privilège. Cela s'applique à la marche, pour moi. Quand j'essaie d'aller vite, cela ne va pas du tout, mais lorsque je m'applique à marcher lentement, j'avance beaucoup plus vite. Au niveau de la vitesse, ma voix a beaucoup changé. Avant, je parlais comme une mitraillette. Après le coup, le débit s'est fort ralenti, même si cela revient petit à petit ".Et il écrit : " Avec 'à gauche' et 'encore', 'doucement' est le mot que j'ai le plus entendu depuis le coup. J'ai toujours été un 'homme pressé', et la découverte de la lenteur (pour reprendre le titre du beau roman de Nadolny) est un apprentissage jamais fini. Déjà, à l'hôpital, quelle belle trouvaille que de nous appeler 'patients' car, en dehors des attentes, tu dois apprendre que ton retour à une forme de vie acceptable est, entre autres, une 'longue patience'".
A propos de la phrase : " J'ai mes chances de retrouver une sorte de vie qui ressemble à la vie ", cela signifie... Réponse: " Etre autonome, me laver et m'habiller seul, marcher, rire, boire un coup, écrire, serrer dans mes bras - pas trop fort - ceux que j'aime… C'est aussi simple que ça ".
Côté chiffres
A propos des chances de survie et de rétablissement : " De mon type d'AVC (ischémique sylvien malin par dissection caritidienne), 80% meurent, soit sur le coup, soit dans les jours qui suivent par oedème cérébral. Susanna (sa troisième épouse) m'a appris en son temps (quand j'avais basculé vers la vie) l'autre partie de la statistique, la sympa: des 20 % de survivants, 80% récupèrent une autonomie motrice si ce n'est totale, très satisfaisante ".
A propos de "Partie gratuite" (Ed. Robert Laffont, 406 pp., 22,70 €), le 13e livre d'Antoine Audouard: " Entièrement écrit de l'index droit (sauf les trois dernières lettres (Fin) - index gauche) entre janvier 2015 et le 6 août 2017" .