Les grandes épidémies de l'histoire: Congo, 1920 et le virus du sida prit le train
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Publié le 17-08-2018 à 15h20
L’année 2018 marque le centenaire de la grippe dite espagnole, pire pandémie de l’histoire. A cette occasion, "La Libre" passe en revue plusieurs grandes épidémies de l’histoire, connues ou moins connues. Troisième épisode : l’émergence de l’épidémie de sida, à partir des forêts camerounaises.
L’histoire du sida, qui a fait 36 millions de morts sur ces quatre décennies, ne commence pas en 1981, lorsque les cinq premiers cas sont officiellement décelés à Los Angeles (la maladie n’a pas encore de nom, les médecins remarquent juste que ces jeunes hommes homosexuels, consommateurs de drogue, sont tous atteints d’une pneumonie anormalement sévère) mais il y a au moins un siècle, dans les forêts d’Afrique centrale. Entre-temps, c’est une "épidémie invisible" qui s’est propagée.
Le point zéro de cette épidémie se trouve sans doute dans la jungle de la région de la Lobéké, à l’extrême Sud-Est du Cameroun. C’est là que les scientifiques ont déterminé le lieu originel de la première contamination entre le singe - un chimpanzé - et l’homme, due vraisemblablement à la chasse et la consommation de cette viande de chimpanzé, mais parfois aussi à une simple blessure. Nous sommes alors autour de l’année 1900. A peu près 20 ans plus tard, un commerçant bantou infecté par ce virus voyage le long de 700 km de rivière, du Cameroun jusqu’à ce qui s’appelle alors Léopoldville, actuellement Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. C’est de là que partira la pandémie qui infectera 75 millions de personnes dans le monde.
Du singe à l’homme
Selon les scientifiques belges, français et britanniques qui ont étudié le chemin du virus grâce à des données génétiques en 2014, celui-ci a bénéficié d’une brève "fenêtre d’opportunité". Car les recherches ont démontré qu’à 13 reprises, un virus de l’immunodéficience simienne a "sauté" des singes, chimpanzés ou gorilles vers l’homme. Mais un seul, celui connu comme le VIH du groupe M (pour Majeur) s’est propagé à grande distance pour donner lieu à une épidémie, celle que l’on connaît actuellement. Les autres groupes O, N, P, sont restés largement confinés au Cameroun et aux pays avoisinants.
Alors, qu’est-ce qui a donné l’avantage au virus M ? Pour le préciser, il faut se replonger dans le Kinshasa des années 1920-1950. En pleine urbanisation et essor industriel et commercial, elle accueille des milliers de migrants venus des campagnes. Et des prostituées, les "femmes libres". Le développement du chemin de fer, arrivé en 1898 à Léopoldville, joue un rôle clé pour l’essor de la ville et de la maladie. Kinshasa, au niveau ferroviaire, une des villes les mieux desservies de l’Afrique centrale, a dû jouer le rôle de plaque tournante dans l’épidémie. A l’intérieur du Congo, la plupart des voyages se font alors en train. Le réseau ferroviaire - à présent en déliquescence - était utilisé par 300 000 personnes par an en 1922, et par plus d’un million de personnes en 1948. Les scientifiques ont pu déterminer, grâce à leurs analyses génétiques, que le virus du groupe M a d’abord atteint les trois grandes villes peuplées les mieux connectées à Kinshasa : Brazzaville, Lubumbashi (en 1937) et Mbuji-Mayi (en 1939). Lubumbashi était une cité minière et la deuxième plus grande du Congo, Mbuji-Mayi la plus grande productrice de diamants industriels de la planète.
Le rôle de la décolonisation
Mbuji-Mayi, Lubumbashi et Kisangani (un peu plus tard) ont, eux, servi de foyers secondaires d’infection dans ces régions dotées de bons réseaux de communication avec des pays du Sud et de l’Est de l’Afrique. Le virus a pu aussi se propager à l’aide du transport fluvial. Et peut-être aussi se transmettre via des seringues mal désinfectées, utilisées par la médecine coloniale…
A partir des années 60, le rythme de transmission du virus du groupe M à Kinshasa devient nettement plus élevé que le groupe 0, comprenant les autres variantes du virus du sida. Les chercheurs forment l’hypothèse que cette "accélération" est due aux changements dans la société après l’indépendance. Notamment des changements dans les attitudes sociales et chez les travailleurs du sexe - menant à davantage de clients - ont ainsi pu faire flamber l’épidémie, et faire disséminer le virus à partir de petits groupes de personnes séropositives pour infecter des populations plus étendues.
Et puis, dans les années 60, des milliers de jeunes coopérants haïtiens arrivèrent en République démocratique du Congo pour remplacer les fonctionnaires coloniaux limogés par le nouveau pouvoir, avant de repartir infectés dans leur pays. Les scientifiques pensent en effet que le VIH est passé par Haïti avant de gagner l’Amérique et l’Europe. Les chercheurs, en 2014, ont montré qu’un sous-type du groupe M, apparu à Kinshasa en 1944, est responsable de la plupart des infections en Europe et aux Etats-Unis. C’est à Haïti, lieu de tourisme sexuel, que de nombreux gays occidentaux, qui s’y rendaient dans les années 70, ont été contaminés. En outre, les Etats-Unis importaient alors des milliers de litres de sang, chaque mois, à partir de donneurs haïtiens. Du sang contaminé…
A voir. "Sida, sur la piste africaine", documentaire de Rémi Lainé, disponible sur Youtube.
A suivre. "Les danseurs fous de Strasbourg"