"Le gras est indispensable pour notre santé"
Publié le 01-09-2018 à 11h46
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Les murs y sont aussi blancs que chez un médecin mais il ne faut pas s’y tromper. On est bien dans un cabinet, mais de diététicien, celui d’Alexis de Hemptinne, vice-président de l’Union Professionnelle des Diététiciens de Langue Française (UPDLF). Au cas vous oublieriez pourquoi vous êtes là, une affiche de la pyramide alimentaire est là pour vous le rappeler. Le maître des lieux se retourne vers elle quelques fois. Didactique, pratique, simple. Cela lui permet de montrer au visiteur ce qu’il doit consommer. Un peu comme un professeur qui explique à ses élèves avec son tableau. Il vaut mieux un dessin qu’un long discours.
Aujourd’hui, c’est une des cases de cette pyramide qui nous intéresse : celle des graisses. Leur mauvaise réputation les a reléguées dans une petite alvéole au sommet du schéma. Mais qu’en est-il aujourd’hui de leur place au sein de notre alimentation ? Alexis de Hemptinne est l'Invité du samedi de LaLibre.be et nous aide à y voir plus clair.
Auparavant décriées, les graisses (ou lipides) sont aujourd’hui réhabilitées. Certains médias commencent à parler du gras comme étant bon pour la santé. Cette évolution peut sembler bizarre quand on voit des industriels glorifier le « 0 % de matières grasses ».
Il faut d’abord rappeler que la population belge consomme déjà plus de graisses qu’il ne faut : 38 % de l’alimentation d’une personne moyenne. Or, cela devrait redescendre à 30-35 % en Belgique. Le premier message a donc été de réviser la part des graisses. Mais maintenant, au vu des développements récents, le message devient plus pointu avec la qualité des graisses que l’on consomme. C’est là que le discours est en train de s’affiner.
Il faut savoir d’autre part qu’il ne faut pas les supprimer de l’alimentation. Elles sont indispensables au bon fonctionnement du corps humain. La peau est composée d’une couche de graisse et on a besoin d’une petite quantité de cholestérol. Les acides gras essentiels sont indispensables au bon développement du cerveau. Des vitamines sont solubles dans les graisses et si on supprime tous les lipides, on manquerait de tous ces nutriments.
Mais cela n’empêche pas que neuf personnes sur dix consomment plus d’acides gras saturés qu’il ne faut. Alors qu’ils devraient constituer 10 % de l’apport énergétique total, une personne en consomme en moyenne 16 %. Pour les oméga-3, neuf personnes sur dix n’en ont pas assez. D’où la volonté de clarifier la communication sur la qualité des graisses.
Pour ne pas s’y perdre, peut-on avoir une vision d’ensemble de l’ensemble des graisses que l’on consomme ?
Parmi les lipides, il y a différents acides gras. Il y a d’abord les acides gras saturés, que l’on surnomme les « mauvaises graisses ». Puis il y a ceux insaturés, considérés comme des « bonnes graisses ». Dans ces dernières, on y retrouve deux familles : les monoinsaturés et les polyinsaturés. Ce sont parmi les polyinsaturés que l’on retrouve les oméga-3, 6 et 9. Enfin, il y a les acides gras trans qui sont transformés par les industriels et qui vont présenter des caractéristiques néfastes.
En mai dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé un programme pour bannir tous les acides gras trans pour 2023. Ils ne représentent donc aucun intérêt nutritionnel ?
Chaque année, l’apport en acides gras trans entraîne 500.000 décès par maladies cardiovasculaires. On a donc un chiffre très élevé, d’où les mesures très restrictives de l’OMS. Surtout qu’il n’y a aucun avantage à consommer des acides gras trans. L’organisme n’en a pas besoin.
Vous parliez aussi des acides gras saturés comme étant « mauvais ». Ils sont dans le même sac que les trans ?
Il y a justement une tolérance par rapport aux acides gras saturés. Ici, il est question d’un objectif de 10 % maximum de l’apport énergétique total parce que dans l’équilibre nutritionnel, c’est beaucoup plus complexe que juste manger des acides gras insaturés. Vu qu’il y a des saturés dans des aliments essentiels comme la viande rouge qui contiennent aussi du fer par exemple, on ne peut pas éliminer tous ces produits de notre alimentation. C’est pour cela que la diététique s’attache à l’équilibre de tous ces nutriments mis ensemble. D’où l’utilité de donner des fréquences de consommation, afin de rester dans ces pourcentages-là. C’est une situation complètement différente de celle des acides gras trans.
Même parmi les insaturés, les oméga-6 ont tendance à avoir moins bonne presse que les 3. Est-ce que vous donnez, vous aussi, les bons points à l’oméga-3 ?
Les oméga ont des fonctions très différentes au niveau du corps. Un acide gras, à partir du moment où il est insaturé, est bénéfique pour l’organisme. Et en général, on a des aliments qui ne contiennent pas que des oméga-3. Ils sont couplés avec les oméga-6 et 9. On ne peut pas les séparer dans notre alimentation.
L’apport en oméga-3 doit être de 1,3 à 2 % de l’apport énergétique total, alors que pour les oméga-6, c’est entre 4 et 8 %. Ce rapport de force doit être respecté pour bénéficier de la protection des artères, du cœur et de l’estomac, de la stimulation du système immunitaire… Mais à l’heure actuelle, neuf personnes sur dix sont en carence en oméga-3.
On n’arrête pas d’entendre qu’il faut garder une balance entre nutriments pour être en bonne santé. Mais concrètement, pour les acides gras, on fait comment ?
Pour gérer les quantités de graisses, il faut regarder à la famille des matières grasses visibles. Il s’agit des matières tartinables, de cuisson et d’assaisonnement. Pour les tartinables, il est recommandé d’aller vers celles d’origine végétale qui ne contiennent pas trop d’acides gras saturés. Il faut toujours regarder sur les étiquettes à ce qu’ils soient au niveau le plus bas possible.
Pour les matières grasses de cuisson, il y a différentes possibilités. On a toujours l’habitude de dire que les acides gras saturés viennent de milieu animal contrairement à ceux insaturés qui viendraient du milieu végétal. Mais on a quand même deux grandes exceptions desquelles il faut se méfier : l’huile de palme et l’huile de noix de coco. La première comporte 51 % d’acides gras saturés alors que la graisse de coco en a 91 %. Ce sont surtout des graisses utilisées dans les milieux industriels parce que ce sont des huiles qui ne sont pas chères qui vont donner une certaine onctuosité aux produits. Cela plaît à l’industriel, mais cela n’est pas recommandé nutritionnellement parlant. À titre d’information, on trouve dans le beurre 68 % d’acides gras saturés.
Puis il y a les huiles, avec celles que l’on peut cuire et d’autres qui ne s’y prêtent pas. Parmi les premières, on retrouve l’huile d’olive, d’arachide, de maïs et de pépin de raisin. Elles contiennent plus d’acides gras monoinsaturés, ce qui leur donne une plus grande stabilité à la cuisson. Celles plus riches en polyinsaturés sont vite dégradées dans ce cas-là. On ne peut pas cuisiner avec une huile riche en oméga-3, notamment avec celle de lin qui n’est pas du tout stable.
Et on en vient à l’assaisonnement où on privilégie les huiles que l’on ne peut pas cuire, surtout celles riches en oméga-3. C’est ici que l’on peut utiliser l’huile de tournesol, de soja, de lin… Cela permet de faire la balance entre les différents acides gras.
Ça, c’est pour les matières grasses visibles, mais qu’en est-il de celles dites « cachées » ?
Ici, on retrouve toutes les viandes, volailles et poissons, les alternatives végétariennes et les légumineuses. On recommande de consommer du poisson au minimum deux fois par semaine du fait de leurs teneurs en acides gras insaturés. On va aussi valoriser les volailles pour les monoinsaturés. Les viandes rouges, grasses et hachées en revanche sont à limiter à une fois par semaine maximum. Pour le reste du temps, on peut se tourner vers les viandes maigres.
Au niveau des produits laitiers, nous avons des critères par rapport à la qualité des fromages. Plus ils sont à pâte dure, plus ils contiennent de la graisse saturée et des protéines. Par conséquent, on tente de consommer des fromages qui ont un maximum de 30 % en graisses pour respecter les requis de la pyramide alimentaire, à savoir deux produits laitiers par jour. Il faut donc alterner les fromages pour ne pas avoir que des fromages à pâte dure.
Enfin, il y a les extras : les pâtisseries et les biscuiteries. Là aussi, on trouve une certaine quantité d’acides gras saturés du fait du beurre qui est utilisé. Sans compter la présence des acides gras trans.
La teneur en acides gras des aliments est aussi influencée par ce que mangent les animaux que l’on consomme. Peut-on contrôler ce type de facteur quand on est au supermarché ?
Théoriquement, l’industriel doit marquer sur son étiquetage nutritionnel la composition de son produit. Mais les industriels ne vont pas commencer à faire des analyses pour chaque poisson par exemple. C’est plus compliqué que ça. Ils vont faire des moyennes ou chercher des données dans les tables de composition. Malheureusement, on n’a pas de détail plus précis. Cela dépend du bon-vouloir de l’industriel en question.
Pas de label par exemple pour garantir de la teneur d’un poisson en oméga-3. Il y a eu des améliorations de l’étiquetage au niveau des allergènes, des valeurs nutritionnelles et de la provenance mais pas pour savoir si l’animal a été bien nourri. Cette information doit être disponible selon le principe de traçabilité mais cela n’apparaît pas directement sur l’étiquette. Après, pourquoi pas fonctionner via une base de données sur internet où on a la possibilité d’avoir beaucoup plus d’informations ?
En 2014, Laurette Onkelinx voulait abaisser la part des acides gras saturés de 10 % pour l’horizon 2020. La suédoise a-t-elle pris de nouvelles mesures pour encourager la balance des graisses ou pas ?
Pour le moment, pas à ma connaissance. Ça, c’est plutôt mon boulot (rire). Pour les acides gras trans, cela se discute au niveau européen pour les limiter dans les produits industriels. Ces développements sont une très bonne chose. Après, la population est de plus en plus attachée à la qualité de son alimentation. Les industriels s’adaptent donc en proposant des produits moins sucrés ou moins gras. Cela dit, il faut toujours être vigilant. Un produit light peut voir la graisse remplacée par du sucre. Il faut de toute façon faire attention aux aliments ultra-transformés où on ne maîtrise pas du tout ce qui est contenu dans le produit. C’est pour cela que l’on recommande de cuisiner avec des produits de base, pour savoir ce que l’on met dans son assiette.
Ces derniers jours, les médias ont relayé un nouvel indice alimentaire : le Nutriscore. Est-ce qu'il prend en compte ces acides gras ?
On commence seulement à travailler avec le Nutriscore. Le groupe de travail vient d’être formé. On n'a donc pas encore de critères là-dessus.