Que faut-il penser de l'alimentation crue, vive, vivante?
Publié le 28-09-2018 à 18h36 - Mis à jour le 28-09-2018 à 18h42
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Qualifié d'extrémiste par certains, le restaurateur, formateur et auteur, Pol Grégoire continue de défendre, plus que jamais, le concept qu'il a créé il y a une vingtaine d'années, à savoir l'Alimentation Vive.
Il organisera un week-end découvertes sur ce thème, du 30 novembre au 2 décembre prochain, à Sechery près de Redu, dans le cadre d'une escapade La Libre Zen. (Voir détails pratiques ci-dessous)
Au menu, ce matin, c'était noix de cajou crues trempées, abricots séchés réhydratés et poires du jardin avec cannelle et cardamome. Ce midi, salade de tomates de la serre, oignons, vinaigre de pommes non pasteurisé, petites olives noires non dénoyautées en saumure et huile d’olives crue. Et ce soir, ce sera un blanc de poulet cuit à la vapeur, avec des aubergines, une crème de poivrons, de l'huile d'olive, des courgettes et des herbes du jardin… Mais encore ?
On entend parler d'alimentation crue, vive, vivante: faut-il faire des distinctions?
Il y a en effet beaucoup d'amalgames. Le concept d'Alimentation Vive est un concept qui m'appartient; c'est une marque déposée. Elle est issue, pour une bonne part, de l'alimentation vivante d'Ann Wigmore, qui est totalement crue et végétale, alors que l'Alimentation Vive a ajouté des cuissons à basse température et des produits d'origine animale (viande, poissons, œufs…) Si je devais donner une définition de l'Alimentation Vive, je dirais que c'est un concept alimentaire qui vise à nous faire passer d'une alimentation carencée à une alimentation vivante; elle tend un pont entre la gastronomie et la diététique.
Quels sont les grands principes de base du concept?
Dans l'Alimentation Vive, il y a un ratio de 70 à 80% d'aliments crus pour 20 à 30% d'aliments cuits, dont la température de cuisson n'excède pas 95°C. Les viandes, par exemple, sont cuites à 85°, voire moins; les œufs, à 63°. les cuissons sont douces, à la vapeur; il n'y a pas de coloration. Tous les aliments utilisés sont bio ou sauvages et idéalement cultivés par soi-même, dans son propre potager ou verger. Cela, de façon à avoir un temps le plus court possible entre la récolte et la consommation.
Pourquoi est-ce si important?
Parce que ce qui est visé est l'activité enzymatique. Les aliments qui ne sont pas frais ou pas vivants n'ont plus d'enzymes actives. Or ce sont elles qui sont les premiers catalyseurs de la digestion. Sans enzyme, il n'y a pas de digestion harmonieuse possible.
Quels sont les principaux bienfaits de l'Alimentation Vive?
Avant tout la vitalité, mais aussi l'économie des réserves endogènes, et notamment la durabilité du système immunitaire. Les substances endogènes sont des substances métaboliques en général. Si on les utilise pour la digestion, si on les disperse pour compenser les carences, on épuise notre potentiel vital rapidement. Tout va donc dans le sens de l'économie, voire le rechargement de ce potentiel vital endogène.
Où ces aliments interviennent-ils dans la classification?
On peut classer les aliments en quatre catégories. En un, les super aliments ; ils sont capables de combler les carences et donner une vitalité maximum. Ces super aliments ne sont pas très nombreux: ce sont les graines germées, les jeunes pousses, les algues d'eau douce et d'eau de mer, les produits de la ruche (pollen frais, miel cru dont les abeilles sont nourries avec leur propre miel et non du glucose), tout ce qui contient de la chlorophylle, les herbes aromatiques, les fleurs comestibles… En deux, il y a les aliments qui sont capables de maintenir une santé qui est déjà acquise: ce sont les aliments bio, frais, qui n'ont pas été transformés… En trois, il y a les aliments qui grèvent la vitalité; ce sont les aliments cuits, préparés, transformés, raffinés… En quatre, il y a les "super acidifiants", qui sont tous les aliments cuits à très hautes températures et qui ont créé des substances chimiques nocives et non reconnues par le corps.

Sur quelles bases scientifiques repose le concept de l'Alimentation Vive?
Sur une bibliographie extrêmement complexe et variée, dont j'ai fait une synthèse au fil des années. Je fais de la cuisine depuis plus de 40 ans et je me suis lancé dans le concept de l'Alimentation Vive il y a plus de 20 ans.
Vous vous nourrissez exclusivement de cette manière?
Oui. S'il peut m'arriver de manger des aliments autres, en l'occurrence toxiques, c'est extrêmement rare et l'addition est très salée ensuite. Je peux supporter une petite charge, mais comme je respecte les associations alimentaires et que je mange beaucoup de cru, dès que je mets dans mon système digestif quelque chose qui est inadéquat, mon corps le rejette spontanément ce qui peut se traduire par une baisse de vitalité passagère.
L'Alimentation Vive peut-elle, selon vous, convenir à tout le monde ou y a-t-il des contre-indications?
Elle convient à tout le monde à condition d'avoir des connaissances suffisantes pour ne pas faire de bêtises.
N'est-ce pas un concept un peu excessif?
Ce qui est excessif, c'est de vouloir manger sain à partir d’aliments qui sont arrosés de poisons près de vingt fois avant d’être récoltés ou de vouloir se nourrir d’animaux malades issus d’élevages intensifs. Je pense que c'est là qu’il y a aberration totale. Il faut donc trouver un moyen terme pour que la vie soit agréable en famille et en société tout en se nourrissant à partir d’aliments sains et cuisinés dans le respect de leurs constituants nutritifs qui sont essentiels à une vitalité éclatante et à une longévité en bonne santé.

Quel est le piège à éviter?
Le plus grand piège est d'aller vers les aliments miracles que nous vantent les magazines parce qu'ils ne seront bénéfiques qu'un temps. Si ces aliments ont des vertus, le corps n'a pas besoin des mêmes vertus en permanence. Il faudrait allier l'aliment de qualité avec le ressenti personnel. Il faut apprendre à s'observer et à ressentir vers quoi aller ; c’est in fine le corps qui est le véritable médecin . Il est sûr que si l'on se dirige vers des chips, ou des aliments acides, sucrés, salés, cela va fausser notre instinct alimentaire et on ne sentira plus rien. Mais, si l'on va vers des aliments tels que la nature les a conçus, notre corps nous guide à coup sûr. Il faudrait donc restaurer la communication avec notre organisme et retrouver le bon sens commun. Le plus grand écueil est de suivre les prescriptions de gens qui ont quelque chose à y gagner ; le conseilleur n’est pas le payeur et dans ce cas précis c’est mon corps qui paye l'addition. Il faudrait donc écouter son corps tout en se réappropriant les connaissances alimentaires et culinaires de base de manière à bien interpréter les messages qu’il nous envoie et savoir que faire.

Une escapade La Libre Zen à Sechery
Du vendredi 30 novembre au dimanche 2 décembre aura lieu une Escapade La Libre Zen dans les Ardennes, à Sechery, près de Redu. Au cours de ce week-end de découvertes gustatives en pleine nature, Pol Grégoire et Jean-Michel Loriers, artisan des tables et buffets bien connus, transmettront leur savoir-faire. Alliant gastronomie et diététique, ils proposeront des ateliers et des conférences sur leur façon de concevoir une alimentation saine, énergisante et savoureuse à la fois. Ce sera l'occasion de découvrir des recettes, de redécouvrir certains aliments, modes de cuissons, de conservation...Plus d'infos : Waouw Travel, Amandine Bleeckx, 0471 99 99 19. Mail : amandine@waouwtravel.be

Le crudivorisme a ses limites
"Il y a bien sûr des points positifs dans l'alimentation vivante ou vive, reconnaît Serge Pieters, professeur de diététique à la Haute Ecole Léonard de Vinci. Ainsi le fait de proposer une alimentation relativement diversifiée et généralement des aliments peu transformés. De même que des cuissons à basse température sont effectivement meilleures pour la santé. On sait en effet que notamment les cuissons prolongées à très hautes températures génèrent des composés nocifs".
Par rapport au crudivorisme présent dans cette approche, à raison de 70 à 80 % d'aliments crus, "il faut savoir que tous les aliments crus ne sont pas nécessairement bons pour la santé, souligne le diététicien nutritionniste. Du blanc d'œuf cru, par exemple, contient un enzyme (avidine), qui empêche l'absorption de la vitamine B8. Par ailleurs, certains aliments, comme les pommes de terre ou les champignons, contiennent également des toxiques, dont certains seront détruits par la chaleur. La cuisson n'est donc pas anodine: elle permet de rendre certains aliments beaucoup plus digestes. Notre tube digestif n'est en effet plus du tout adapté à une alimentation exclusivement crue. D'autre part, le fait de cuire permet de rendre certains nutriments beaucoup plus accessibles. Le lycopène, par exemple, qui est un antioxydant présent dans les tomates, sera plus concentré dans un ketchup que dans une tomate crue. Enfin, la cuisson permet également de détruire les bactéries, ce qui est utile au niveau sanitaire. Rappelons-nous, en 2011, du scandale des graines germées de moutarde et de roquette, sur lesquelles a été retrouvée la bactérie E. Coli et qui a fait, rien qu'en Allemagne, 53 morts, 4 000 malades et plus de 800 personnes hospitalisées notamment pour un syndrome rénal…"
Preuve encore que le crudivorisme a ses limites, "tous les paléontologues s'accordent à dire que la cuisson a permis à l'Homme d'avoir une meilleure densité nutritionnelle, laquelle a notamment entraîné l'augmentation du volume cérébral".
Tout ce qui est naturel n'est pas forcément bon pour la santé
Par ailleurs, l'approche de l'alimentation vive se base sur beaucoup de mythes et de croyances, selon Serge Pieters. Comme? " Tout ce qui est naturel est bon pour la santé, ce qui n'est pas toujours vrai. Quant à l'argument des enzymes, n'oublions pas que ce sont des protéines qui vont être digérées au niveau de l'estomac et ensuite de l'intestin. Ces enzymes ne sont donc jamais absorbés tels quels; s'ils peuvent avoir un effet bénéfique un court moment sur la digestion, ils ne peuvent pas avoir d'effet direct sur le fonctionnement de l'organisme". En ce qui concerne la présence de chlorophylle, qui permettrait d'apporter énormément d'énergie dans l'organisme, "elle est, comme le reste, digérée et donc le magnésium qu'elle contient n'aura pas plus d'activité que sous une autre forme".
Et la notion de vivant dans l'alimentation?
La notion de bio-énergétique dans l'alimentation est également "discutable", poursuit le professeur en diététique. " La notion de vivant dans l'alimentation est très floue et pas reconnue que ce soit au niveau chimique, physique… Personnellement, je n'ai pas connaissance d'étude scientifique permettant de dire que l'alimentation vivante soit liée à une meilleure qualité de vie ou qu'elle protège contre une série de pathologies aiguës ou chroniques, même s'il est vrai que les adeptes de cette alimentation sont davantage axés sur la consommation de fruits et légumes, si possible frais et de saison, ce qui permet en effet d'avoir une densité en micronutriments supérieure et plus intéressante dans la prévention de certaines maladies. Enfin, il faut éviter de jouer à l'apprenti sorcier." En conclusion, "si tout un chacun réapprend à cuisiner, utilise des produits frais, de préférence locaux, de saison, les moins transformés possible, les cuisine correctement et les savoure, ce n'est pas, pour moi, la notion de "vivant" qui compte, mais simplement d'avoir trouvé du plaisir dans une alimentation équilibrée, saine et savoureuse".