Et si l'on chantait à l'hôpital pour stimuler l'activité cérébrale des bébés prématurés? (VIDEO)
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Publié le 12-11-2018 à 17h23 - Mis à jour le 12-11-2018 à 17h27
Quand-trois-pou-les-vont-au-champ, la-pre-miè-re-va-de-vant…” Debout, une petite chorale de blouses blanches – infirmières, psychologue, kiné, médecin néonatologue – aux côtés de deux artistes musiciens – dont l’un au ukulélé – de l’asbl Pont des Arts entonne la comptine. Assis face à elle, formant tous ensemble un cercle, des mamans et quelques papas serrent contre eux leurs tout petits. Blottis dans leurs bras, ils viennent de sortir de la période des soins intensifs. Certains parents chantonnent ; d’autres, plus timides sans doute, n’osent pas, se contentant de bercer leur bébé et le caresser avec douceur et tendresse.
La scène se déroule dans la salle de détente dédiée aux parents, au Centre néonatal intensif de l’hôpital Delta à Bruxelles. Une fois par mois, le chant s’y invite pour le plus grand bonheur des parents et le plus grand bien-être des petits prématurés, comme cela se fait déjà en Belgique, notamment à l’hôpital Erasme depuis 2013 ainsi qu’à la Clinique St-Vincent à Rocourt. Mais également dans d’autres pays depuis des années.
Les bienfaits du chant démontrés pour le nouveau-né
“Pas un petit bout qui bouge, qui pleure. Que les parents chantent ou pas, quelque chose se passe, observe le Dr Brigitte Sepulchre, néonatologue sur le site Delta du Chirec. Chaque monitoring est parfait. Cela fait du bien à tout le monde, même aux personnes qui n’ont pas de bébé. Il est en effet impressionnant de voir les émotions que cela suscite chez les chanteurs et les parents, une émotion qui est encore plus forte quand on chante des chansons dans leur langue”. De “Makotoudé”, un chant africain, à “Vent frais, vent du matin” en passant par la “Berceuse cosaque”, le répertoire se veut en effet multiculturel.
Si l’équipe de néonatologie a choisi de proposer une séance mensuelle d’art thérapie dans cet environnement médicalisé, c’est que les bienfaits du chant pour les enfants prématurés ont été démontrés. “A court terme, on observe une stabilisation des paramètres physiologiques : rythme cardiaque, rythme respiratoire et saturation en oxygène, précise le médecin. Les bébés s’apaisent ; leur sommeil est amélioré. A long terme, on constate une amélioration du développement de l’enfant et de l’interaction parent-enfant. On voit également une diminution de l’anxiété parentale et moins de dépression maternelle lorsque l’on introduit le chant régulièrement”.
Alors que, d’après les études scientifiques, la voix humaine semble plutôt jouer sur les interactions, les émotions et la relation, la musique harmonieuse influence davantage le sommeil des enfants. Des travaux ont encore démontré que certaines chansons rythmées leur permettent même d’avoir une succion plus efficace, une autonomisation alimentaire plus rapide, donc un gain de poids supérieur. Et, in fine, une réduction de la durée d’hospitalisation.
Il ne faut pas sur-stimuler les enfants
Proposées aux enfants de 32 semaines et plus, les séances de chant durent une trentaine de minutes. “Dépasser la demi-heure n’est pas nécessaire car il ne faut pas sur-stimuler ces enfants, intervient le Dr Dominique Grossman, chef du pôle mère-enfant et néonatologue. Lorsque l’on chante, on observe toujours l’enfant et s’il montre des signes de stress, c’est qu’il est trop stimulé et qu’il faut arrêter. Il y a les signes physiologiques comme un rythme cardiaque ou un rythme respiratoire ralenti ou accéléré, mais aussi les signes physiques, liés à la motricité de l’enfant, son agitation ou, au contraire, sa trop grande relaxation. Plus il est jeune et malade, plus il sera sensible.
C’est pourquoi il est important d’adapter les chants et la façon dont on chante. Les sons doivent être harmonieux pour que la stimulation soit positive pour le bébé. Pour un enfant prématuré, toutes les stimulations auditives ne sont pas bonnes. Si elles sont extrêmes, discordantes ou intenses, avec des tonalités particulières ou des décibels élevés, cela s’avère très dérangeant pour le cerveau de l’enfant et néfaste pour son développement cérébral”.
Les soins de développement
“In utero, l’enfant entend la voix de sa mère, les bruits cardiaques, et autres bruits du corps mais aussi tout ce qui est extérieur, explique encore la responsable du pôle mère-enfant. On sait qu’un bébé qui naît à terme reconnaît très bien la voix de sa maman. Lorsqu’un enfant naît prématurément, il est sorti de son contexte normal. Le cerveau, qui est extrêmement immature, va devoir se développer dans un environnement qui n’est pas du tout adapté. Partant de là, des équipes ont travaillé sur des “soins de développement”. Elles se sont rendu compte que lorsqu’il n’y avait pas de stimulation auditive, le développement de l’enfant, en général, et du langage en particulier, était altéré.
Des études américaines ont par ailleurs démontré que, dans le cas des soins de développement, il faut être très attentif à l’environnement de l’enfant : diminuer toutes les stimulations extérieures, comme le bruit et la lumière. Les unités se sont donc développées en néonatologie avec des box plus privatisés. Dans ce cadre-là et avec des parents qui n’étaient pas présents, ces bébés qui recevaient uniquement les soins des infirmières sans stimulations auditives de la voix humaine, présentaient par la suite d’énormes problèmes de langage.” C’est dire l’intérêt de ces stimulations auditives.
Gracieusement offerte aux parents, car considérée comme faisant partie des soins de base, la séance de chant est aujourd’hui organisée une fois par mois, mais “l’idée est de passer à deux fois par mois dans la salle de détente des parents et d’organiser ensuite des séances individuelles, en peau à peau parents/enfant, de manière hebdomadaire dans les chambres, nous dit le Dr Grossman. Cela permet beaucoup plus d’intimité. Ce sont souvent des chants très doux, très calmes avec une intensité nettement moindre en chambres privées”.
Des parents conquis
Quant à entendre les parents, ils paraissent conquis par cette “belle expérience” qu’est le chant en groupe et qui aidera certains à “chanter plus facilement pour leur enfant”. “C’est très émouvant, témoigne une maman. Cela me rappelle les chants que ma grand- mère me chantait quand j’étais enfant”. Ou encore, “c’est l’occasion de s’échapper de l’hôpital”, “un moment très agréable, apaisant, comme une petite bulle d’air légère”.