Des bébés génétiquement modifiés ? "C'est techniquement possible"
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Publié le 28-11-2018 à 06h30 - Mis à jour le 28-11-2018 à 12h04
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D’après un généticien de l’ULB, c’est en tout cas techniquement possible. Même si une enquête a été ordonnée par la Commission chinoise de la santé pour en vérifier la véracité, l’annonce de la naissance de jumelles dont le génome aurait été modifié n’a pas fini de susciter des réactions.
Lundi, en effet, He Jiankui, un professeur d’université à Shenzhen, qui a été formé à Stanford aux États-Unis, a diffusé sur YouTube une vidéo annonçant la naissance, il y a quelques semaines, de jumelles dont l’ADN a été modifié pour les rendre résistantes au virus du sida.
Précisant que le père est séropositif, le chercheur y explique avoir employé la technique Crispr-Cas9, dite des "ciseaux génétiques", qui permet d’enlever et de remplacer des parties indésirables du génome. "Juste après avoir injecté le sperme du mari dans l’ovule, un embryologiste a également injecté une protéine Crispr-Cas9 chargée de modifier un gène afin de protéger les petites filles d’une future infection par le VIH", détaille He Jiankui.
Oui, c’est techniquement possible
Pour le Pr Guillaume Smits, chef du Service de génétique de l’ULB, "oui, techniquement, c’est vraisemblable. Le domaine du Crispr-Cas9, c’est-à-dire la fameuse technique des ciseaux moléculaires ou génétiques, a tellement avancé que cette annonce est plausible. Il arrive d’ailleurs que des patients m’en parlent, espérant mettre leurs futurs enfants à l’abri de certaines maladies génétiques dont ils sont porteurs. Depuis quelques mois, des scientifiques ont décrit des Crispr-Cas9 plus ‘sûrs’, qui n’ont pas d’effet off target, ce qui signifie que les ciseaux coupent juste à l’endroit voulu dans le génome, et pas ailleurs".
Dans le cas présent, et vu le peu d’informations scientifiques fournies, le chercheur chinois pourrait avoir coupé le gène de l’immunité CCR5 pour le remplacer par sa version plus courte (CCR5 delta 32), soit un gène capable de rendre résistant au VIH.
Bien que cette manipulation a déjà été réalisée avec succès dans des boîtes de Pétri, ce qui revêt ici un caractère nouveau, c’est de l’avoir expérimentée sur des embryons qui ont été réimplantés dans l’utérus de la mère.
"Si l’enquête en cours démontre que tout a bien été fait avec l’accord du comité d’éthique de l’Université et de l’hôpital, et si ce n’est pas illégal en Chine, on peut malgré tout se demander si ce scientifique n’a pas pris un grand risque de tenter la technique sur des bébés vivants, fait remarquer le généticien. Et aujourd’hui, nous n’avons pas le recul suffisant pour affirmer que cela ne représente pas de risque à terme. Personne ne sait en effet si les ciseaux ont bien coupé le génome seulement au bon endroit, et pas ailleurs. C’est le point central : démontrer qu’il n’y a pas de off target."
Il faudra suivre ces deux enfants
"Cela dit, lorsqu’est né le premier bébé-éprouvette, on n’avait pas non plus de vision sur son évolution, rappelle le Pr Smits. Pour autant que l’annonce chinoise s’avère réelle, il faudra suivre ces deux enfants à chaque étape de leur développement pour voir si tout cela est sans conséquence clinique néfaste."
Et donc, si cette technique fonctionne à terme et qu’elle s’avère sans danger, "il va aussi falloir se poser la question des objectifs poursuivis pour y avoir recours. Ici, a priori pour résister à une infection au VIH", poursuit le spécialiste.
Un progrès technique évident
Quant à savoir si cette prise de risque est inconsidérée ou non, "si le chercheur chinois est couvert par son hôpital, par son université et par la loi chinoise, alors on peut se demander s’il était raisonnable de tenter le Crispr sur l’espèce humaine et pour cette indication. Mais ce serait aussi un progrès technique évident vu la vitesse à laquelle avance ce domaine".
Ceci étant, "n’oublions pas cependant qu’il n’y a ici pour l’instant aucune communication scientifique sur cette manipulation, souligne encore le Pr Smits. Il y a juste eu une annonce sur YouTube. Ce n’est donc pas de la science. Peut-être juste de la mythomanie. Cela dit, il est tout à fait raisonnable de penser que ce professeur He Jiankui a dans les mains les techniques pour le faire."