Les inquiétantes dérives de la chirurgie de l’obésité: "Quand on coupe dans l’estomac, on se trompe d’organe"
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Publié le 15-01-2019 à 11h08 - Mis à jour le 28-01-2019 à 21h57
À l’entendre s’emporter avec passion et conviction sur les dérives de la chirurgie de l’obésité, dite bariatrique, c’est à se demander pourquoi ce chirurgien digestif semble prêcher contre sa propre chapelle. Et de fait, il n’est pas rare que les confrères du docteur Marc Vertruyen, chef de service aux Cliniques de l’Europe (Saint-Michel et Sainte-Élisabeth), lui demandent pourquoi donc "il crache ainsi dans la soupe".
Peut-être le spécialiste est-il plus simplement très dubitatif, pour ne pas dire drôlement inquiet quant à la tournure que prend, chez nous aussi, la chirurgie bariatrique, à propos de laquelle il tient un discours musclé, provocateur et sans langue de bois. De quoi en tout cas susciter la réflexion. En voici quelques extraits percutants.
1) Le métier de chirurgien
Je suis chirurgien et lorsque l’on se retrouve avec des confrères dans des congrès purement chirurgicaux, on a l’impression que le traitement de l’obésité, c’est chirurgical. On pousse les techniques de plus en plus loin, on les affine… On a tellement le nez dans le guidon que l’on ne se pose même plus la question de savoir si c’est vraiment ça, le traitement de l’obésité. C’est là que se situe la dérive. Le chirurgien essaie d’avoir un traitement actif. S’il y a un problème de vésicule, d’appendice, un cancer…, on l’enlève et c’est en principe résolu. Mais l’obésité n’est pas un problème d’organe.
2) L’obésité, un problème comportemental, pas chirurgical
On peut couper tout ce que l’on veut dans l’estomac, cela ne va rien changer au comportement du patient. On va parfois le mutiler, créer une malabsorption par un "bypass" mais le problème causal qui a déterminé son obésité, lui, demeure. Trop de gens pensent qu’en faisant quelque chose de très violent, tout va s’arranger… Or l’obésité est un problème comportemental ; cela n’a rien de chirurgical. Quand on coupe dans l’estomac, on se trompe d’organe. C’est au niveau du cerveau qu’il faudrait avant tout faire quelque chose.
3) Les abus dans certains centres
Dans certains centres, des patients se font opérer de l’estomac deux, trois fois… On leur met un anneau, puis on passe à la "sleeve" avant de faire un bypass et quand ça ne va plus, on remet un anneau autour… Certains patients demandent qu’on serre davantage l’anneau ou que l’on coupe une plus grosse partie d’estomac… On répond que cela ne sert à rien de s’automutiler.
4) La demande en hausse
Nous sommes de plus en plus sollicités. Le nombre de patients que l’on opère augmente mais personne n’a l’air de s’en inquiéter et de se poser la question de savoir si on va bien dans la bonne direction. Si, en tant que chirurgien, on ne peut pas se plaindre du fait que l’activité augmente, quand on prend un peu de hauteur, on se dit que l’on est vraiment en train de partir en vrille. Certains médecins vont demander à la ministre de la Santé d’abaisser l’âge pour l’accès à ce genre d’interventions, donc on va finir par opérer des enfants…
5) Des patients au bout du rouleau
En tant que chirurgiens, nous sommes en bout de chaîne. Nous recevons des patients qui sont déjà passés par des psychologues, des diététiciens nutritionnistes et donc, ils veulent absolument un traitement définitif. Ils sont au bout du rouleau. Mais la chirurgie ne permet pas de régler cette situation et dire : "voilà, après l’intervention, la vie est belle, vous pourrez boire et manger tout ce que vous voulez, vous allez retrouver un boulot, votre mari ou votre épouse va revenir…" Non, il s’agit d’un problème de société, un problème beaucoup plus global.
6) La place de la chirurgie bariatrique
La place de cette chirurgie se situe en dessous d’une prise en charge nutritionnelle et psychologique. Si malgré cela, ça ne marche pas, la chirurgie peut éventuellement se positionner comme un coup de pouce, mais il ne faut certainement pas l’envisager comme le nirvana. Elle n’est en aucun cas la solution du problème. Il faut cibler ces interventions pour les gens qui en ont vraiment besoin. Et non pour ceux qui se disent : "tiens, je me ferais bien poser un anneau parce que tout le monde le fait…" Ce n’est pas anodin, ce type de chirurgie. Loin de là.
7) Le bypass crée une maladie
Personnellement, je ne fais pas de bypass, parce que, pour moi, c’est la dérive complète. Cela revient finalement à créer une maladie pour faire maigrir le patient. On change complètement le processus de digestion. Et n’oublions pas que la réversibilité est quand même extrêmement compliquée. Si l’on veut revenir en arrière, à une situation normale, ce n’est pas du tout évident de resuturer les organes dans le bon sens.
8) Le devoir de bien informer les patients
Quand je vois que certains prônent aveuglément le bypass même chez des jeunes de 18-19 ans sans expliquer qu’il s’agit d’une mutilation avec laquelle ils devront vivre jusqu’à la fin de leurs jours, je m’inquiète… Le souci est que les patients ne sont pas toujours correctement informés de ce qu’on leur fait. Si on choisit un traitement qui change le comportement alimentaire, il faut leur expliquer à quoi ils s’exposent. Si on fait un bypass, il faut par exemple expliquer que les voies biliaires ne seront plus accessibles par endoscopie. Et donc, s’il y a une occlusion, un ulcère ou un cancer, on ne pourra plus passer avec des cathéters.
Il faut aussi informer du dumping syndrome du bypass ; cela signifie que lorsque l’on mange, les aliments passent brutalement d’une petite poche d’estomac dans l’intestin. Mais celui-ci n’est pas fait pour encaisser des aliments à peine mâchés. Et donc, cela occasionne des malaises. Les gens demandent parfois qu’on leur fasse un bypass sans avoir la moindre notion de la gravité de cette intervention. Je suis persuadé que plus de la moitié des gens auxquels on propose un bypass en connaissance de cause vont le refuser.
9) Une possible augmentation de cancers du côlon en vue
Avec ces opérations et la nourriture que nous ingurgitons aujourd’hui, il ne faudra pas s’étonner de voir apparaître des gros problèmes dans dix ans. Comme on commence à avoir un peu de recul avec cette intervention, on lance des études pour savoir si cela n’engendre pas des pathologies à long terme du style cancer du côlon. Si la nature nous a donné six mètres d’intestin et trois mètres de côlon, c’est pour de bonnes raisons. C’est pour tout couper en petits morceaux, pour résorber à certains niveaux et détoxifier. Si, de six mètres on réduit l’intestin à un mètre, il ne faut pas s’étonner, les aliments non digérés arrivant sur des muqueuses hypersensibles comme le côlon, de voir apparaître dans les années à venir une augmentation importante du nombre de cancers du côlon. Il faut donc tirer la sonnette d’alarme maintenant, avant qu’un drame épidémiologique apparaisse.
10) La qualité de vie des patients insuffisamment prise en compte
Avec un bypass, le poids chute beaucoup plus rapidement. Pourquoi ? Parce qu’on perd non seulement de la graisse, mais aussi de la masse musculaire, de la masse osseuse, de la masse liquidienne… Les études ne prennent pas souvent en compte la qualité de vie de ces patients qui sont fatigués, vidés de l’intérieur, en carence la plupart du temps. Les grossesses posent de gros soucis parce que la moitié des vitamines ne sont pas absorbées. Les gynécologues ont d’ailleurs été les premiers à attirer l’attention sur le problème.
11) La plicature, une technique low cost
Pour les personnes qui sont hors critères et qui souhaitent une aide chirurgicale, des médecins proposent la plicature (voir infographie ci-contre), une approche pas trop coûteuse en termes de matériel. Cela consiste à plier l’estomac, faire une sorte de pseudo sleeve mais sans enlever l’estomac. Il suffit de prendre quelques fils et "plicaturer". Le problème est que l’estomac est toujours en place et continue à envoyer des signaux de remplissage. Il continue à sécréter de l’acide et donc des poches d’acide se forment, ce qui peut entraîner des perforations et des nécroses de l’estomac. Tout simplement parce que celui-ci n’est pas fait pour être saucissonné comme un accordéon. Il faut faire attention au bricolage…
12) Les invraisemblables dérives aux États-Unis
Aux États-Unis, on assiste à des dérives encore pires. Par exemple, une technique - approuvée par la FDA - où l’on accole l’estomac contre la peau, avec un dispositif comportant une pastille, un capuchon et une canule. Le processus consiste à autoriser les gens à manger autant qu’ils veulent et donc à les laisser évoluer dans leur processus de boulimie. Une fois l’estomac bien rempli, ils vont à la toilette, ouvrent la capsule, glissent une canule à travers le tuyau qui arrive directement dans l’estomac, lequel se vide dans les toilettes. C’est la boulimie organisée et avalisée par les médecins… Cela veut dire qu’on a baissé les bras et qu’on laisse continuer les gens à déraper dans ce genre de processus psychologique.
Pire encore, toujours aux États-Unis, les feeder kits. Il s’agit de matériel vendu sur Internet notamment, dont des recettes pour réaliser les plats les plus caloriques possible, visant à encourager les gens à devenir des super obèses (plus de 200 kg) afin de satisfaire dans des couples le désir du partenaire attiré par l’obésité extrême, morbide.
