Quelle est l'affection pour laquelle les préjugés sociaux sont pires que la maladie elle-même? (INFOGRAPHIE)
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Publié le 11-02-2019 à 14h22 - Mis à jour le 11-02-2019 à 16h32
Ils se prénomment John, Ana, Jacqueline… et, le visage rayonnant, ils s'affichent sous le slogan "Aujourd'hui, osons parler de l'épilepsie", mot d'ordre de la campagne de sensibilisation lancée par la Ligue Francophone Belge contre l'Epilepsie (LFBE). Et ce, afin de lutter contre la stigmatisation des personnes atteintes de cette maladie, dont c'est la journée mondiale ce lundi 11 février.
"Il n’y a pas d’autre affection que l’épilepsie pour laquelle les préjugés sociaux sont pire que la maladie elle-même", écrivait, il y a 50 ans le célèbre neurologue américain William Lennox. Malheureusement, cette constatation reste d’actualité, comme le montrent encore de nombreuses études.
Bien que l'épilepsie concerne quelque 65 millions de personnes dans le monde, dont environ 70000 en Belgique, cette "maladie chronique fréquente aux réalités très diverses" demeure manifestement méconnue. "Ces personnes ont souvent une très mauvaise estime d'elles-mêmes, un manque de confiance suite à des échecs, des problèmes de concentration…", nous explique Chantal Lejeune, infirmière formée en éducation thérapeutique du patient (ETP), plus particulièrement pour les enfants alors que ses deux collègues prennent en charge l'une, les adolescents, et l'autre, les adultes, au Centre hospitalier neurologique William Lennox à Ottignies.
Une consultation complémentaire
"Souvent, les consultations chez le médecin durent 15-20 minutes et de nombreuses questions subsistent, nous dit l'infirmière qui a suivi, en France, une formation ETP de 40 heures spécifiquement à l'intention des personnes épileptiques. D'où l'intérêt d'une consultation supplémentaire chez l'infirmière en éducation thérapeutique du patient. Chez nous, une première prise en charge dure une heure. Les patients ou les parents prennent le temps de s'exprimer. Cela se fait toujours à la demande du médecin. Travailler ainsi avec les patients permet d'éviter certaines hospitalisations et diminuer la fréquence des crises parce que nous insistons surtout sur la prise du traitement: comment le prendre, à quelles heures, pourquoi c'est important… Si on les oublie ou si on vomit, comment réagir? Toutes des choses très pratiques qui doivent aider le patient épileptique". Lors de la première séance, on se préoccupera toujours de voir où en est le patient; comment il vit sa maladie, ce qu'il en connaît, de même pour son traitement, les facteurs favorisants… "On tente de voir ce qui l'embête le plus dans sa pathologie afin de pouvoir au mieux l'aider à corriger ce qui le gêne, complète l'infirmière. On part de ses besoins et on essaie d'y répondre. Il n'existe pas de schéma clé que l'on donne à tous les patients. On s'adapte à chacun, avec ses difficultés spécifiques".
Dans le déni de la maladie
Cela dit, dans ce vécu et quels que soient les patients, certains moments s'avèrent particulièrement importants, voire plus délicats encore à négocier. Ainsi l'annonce de la maladie, le passage à l'adolescence, une dégradation de la maladie. "C'est en effet souvent à ces moments clés que l'on nous demande une prise en charge", poursuit Chantal Lejeune.
Frédéric (*), 15 ans, illustre bien ces propos. Son épilepsie, qui s'est déclarée il y a quelques années, il la nie. Tout bonnement. Si son papa est "très clair, vis-à-vis de la maladie", il veut que "son fils ait une vie la plus normale possible", nous dit Chantal Lejeune. L'adolescent est décrit comme "très renfermé", il est en échec scolaire. Au niveau de ses médicaments, il n'est pas autonome. Pas plus que dans la façon de vivre son épilepsie. "Il veut faire comme s'il n'avait rien. Il dit qu'il va très bien et quand on l'interroge sur ce qui l'ennuie dans sa maladie, il répond 'rien'". Manifestement, Frédéric est en plein déni, ce qui peut notamment le mettre en danger s'il ne prend pas rigoureusement son traitement ou s'il va par exemple nager tout seul en mer…
C'est donc ici, entre autres, qu'intervient cette infirmière. "Souvent, ces enfants ou adolescents sont surprotégés par leurs parents qui leur interdisent par exemple de déloger. Nous, infirmières, essayons d'expliquer comment réagir en cas de crise et que ce n'est pas une raison pour ne pas dormir chez des copains… à condition de tout bien expliquer à tout le monde. L'adolescence est un âge charnière où le jeune doit apprendre à devenir autonome et où les parents doivent apprendre à lâcher prise. Nous devons donc travailler tant avec l'ado qu'avec le parent".

Comment gérer une crise à l'école
Avec les enseignants aussi, fait encore remarquer l'infirmière. "Souvent, nous contactons les écoles pour leur expliquer comment gérer une crise. Les profs sont perdus car ils ne savent pas comment s'y prendre en cas de crise. Et ils ne sont pas les seuls. La première chose à faire consiste à le mettre en sécurité et tout écarter de lui. Ne surtout pas le maintenir. Il faut le laisser faire ses mouvements. Et ne rien mettre dans sa bouche. Il faut en revanche regarder sa montre pour voir combien de temps dure la crise. En-dessous de 5 minutes, on peut considérer qu'en principe, ce n'est pas trop grave et qu'il ne faut pas intervenir. Au-delà de 5 minutes, il faut administrer un traitement de crise ou consulter un médecin". "Les questions que se posent certains enseignants sont légitimes et méritent de s’y attarder, ajoute pour sa part le Dr Lise Maskens, présidente de l'Association des médecins scolaires. Certains parents aussi s’interrogent : vais-je trouver une école, mon enfant y sera-t-il en sécurité … Le Service de Promotion de la Santé à l'Ecole (PSE) est présent pour soutenir et aider à mettre en place un accueil de qualité de l’enfant, du jeune ayant une épilepsie dans le respect de celui-ci, de la classe, des parents et des enseignants".
Comment cela se passe-t-il concrètement? "Le médecin et l’infirmière scolaires rencontrent la direction de l’école et les parents, prennent contact avec l’accord des parents du jeune avec le neurologue en vue de bien comprendre les traitements et ce que le neurologue/le neuropédiatre attend de l’établissement scolaire tant pour les temps en classe que les temps d’excursions scolaires, précise le Dr Maskens. Le document de prise de médicaments et des attitudes à avoir lors d’une crise est propre à chaque élève et est réévalué chaque année scolaire. Il offre un temps de dialogue permettant à chacun d’évoquer ses craintes, ses peurs. L’école, les parents et le PSE réfléchissent ensemble, de façon très pratique, à comment organiser l’information au sein de l’école, le lieu de la trousse voire des trousses contenant le protocole, les médicaments de l’élève..."
En outre, le PSE peut organiser des séances d’information pour les enseignants, le personnel Accueil temps libre. "Des formations à la gestion des situations de crises, aux premiers secours permettent à tout un chacun d’être plus serein dans la prise en charge des enfants ayant une épilepsie, de lever les craintes… Dans certaines situations, la classe a besoin d’un temps de parole pour comprendre, dire ses émotions face à la maladie d’un des leurs. Le médecin et l’infirmière se rendent, alors, à l’école et organisent un temps de questions-réponses, un temps d’expression de ses sentiments".
(*) Prénom d'emprunt

A savoir sur l'épilepsie à propos de…
La maladie
L'épilepsie est définie par la répétition de crises, qui correspondent à un dysfonctionnement cérébral transitoire. Lors d’une crise, l’activité électrique d’un très grand nombre de neurones s’emballe au sein d’un réseau anormal, réseau qui a été progressivement constitué dans le temps.
Les crises les plus spectaculaires - mais moins fréquentes -, qu’on appelle tonico-cloniques, comportent perte de connaissance et convulsions. La majorité des crises sont plus discrètes, se résumant souvent à une brève rupture de contact avec le monde extérieur.
Les causes sont très diverses, principalement de deux types : lésion cérébrale (malformation, AVC, trauma, encéphalite, tumeur…) ou anomalie génétique.
La stigmatisation
Selon une étude menée par les neurologues Pascal Vrielynck (Centre Neurologique William Lennox) et Michel Osseman (CHU UCL Namur), la stigmatisation, ouvertement exprimée ou ressentie, est retrouvée chez près de la moitié des personnes atteintes d'épilepsie et est jugée sévère dans 10 à 30% des cas. La personne ou son entourage peuvent éprouver des difficultés à fonder une famille ou trouver un emploi, même en l'absence de contre-indication. Un enfant risque, pour sa part, de se voir exclu de certains activités ou sorties scolaires auxquelles il aurait pu participer sans difficultés.
La méconnaissance
Considérée comme mystérieuse, voire honteuse, cette maladie effraie et entraîne, aujourd'hui encore, des attitudes de rejet injustifié.
Au 21ème siècle, il reste difficile pour beaucoup de patients de parler ouvertement de leur épilepsie. "La discrimination est manifestement favorisée par une méconnaissance de la maladie chez le grand public, relève le Pr Osseman. Une première enquête de la LFBE sur la perception de la maladie dans la société montrait que près de 30% des personnes sondées pensaient que l'épilepsie est une maladie mentale. 85% pensaient également qu'en cas de crise, il fallait insérer un objet entre les dents pour éviter d'avaler sa langue, ce qui est impossible."
Le traitement
Environ deux personnes sur trois n'ont plus de crise lorsqu'elles sont sous traitement médicamenteux et la majorité des personnes avec une épilepsie ont une vie familiale, sociale et professionnelle normale. Cela dit, certains patients (environ 20 000 en Belgique) ont une épilepsie difficile à traiter, dite “épilepsie réfractaire”.