Etes-vous du genre perfectionniste qui rumine? Gare au burn out!
- Publié le 15-02-2019 à 14h00
- Mis à jour le 09-02-2022 à 16h19
A une époque où la pression à la perfection est croissante et omniprésente, il ne fait pas toujours bon être perfectionniste. Grande en effet peut être la souffrance de ces personnes, comme le constatent les psychologues amenés à les suivre. Dans ce contexte, les Consultations Psychologiques Spécialisées de l'UCLouvain ont estimé qu'une meilleure compréhension des mécanismes qui rendent les perfectionnistes plus vulnérables psychologiquement était une priorité en matière de santé mentale. Et cela, tant dans une perspective de prévention que de prise en charge des personnes en souffrance. Chercheuse à l'Institut de recherche en sciences psychologiques de l'UCLouvain, Céline Douilliez est spécialiste des troubles liés au perfectionnisme.

Quelles sont les principales caractéristiques des personnes perfectionnistes ?
La personne perfectionniste se caractérise bien sûr par des exigences excessivement élevées, voire irréalistes. Mais l’élément réellement important pour comprendre les conséquences en matière de santé mentale est le fait que ces personnes ont tendance à être excessivement autocritiques, à considérer bien souvent que leur valeur personnelle dépend uniquement de leur capacité à atteindre ces exigences particulièrement élevées. Lesquelles peuvent être aussi bien fixées par leur entourage que par elles-mêmes.
Et c'est précisément sur cet aspect que porte votre travail...
Effectivement, dans notre institut, nous travaillons à mieux comprendre ce qui contribue à rendre les personnes perfectionnistes vulnérables à la détresse psychologique. Avec un intérêt particulier pour la manière dont ces personnes gèrent leurs émotions. Souvent, en effet, l'entourage essaie de convaincre le perfectionniste de "simplement" diminuer ses exigences, ce qu'il n'arrive évidemment pas à faire... Ces personnes ont beaucoup de mal à gérer les émotions associées au fait de ne pas faire les choses parfaitement, ou en tout cas aussi bien qu'elles l'avaient envisagé. Elles n'arrivent pas à accepter l'échec. Ces émotions peuvent se traduire par de la honte, de l'anxiété, de la culpabilité...
Comment dès lors font-elles avec ces émotions ?
Ce que nos recherches montrent, c’est que la personne perfectionniste a tendance à recourir à une stratégie inadaptée de gestion de ses émotions, en l'occurrence la rumination. C'est-à-dire le fait de ressasser sans cesse les choses qui n'ont pas fonctionné, d'être centré sur la comparaison entre sa situation actuelle réelle et l'idéal qu'elle souhaite atteindre, que ce soit au travail, dans son rôle de parent ou encore dans ses activités sportives.
Mais il n'y a pas que les perfectionnistes qui ruminent...
Non, bien évidemment, mais cette tendance à ruminer est particulièrement caractéristique des perfectionnistes. Ils ressassent aussi bien leurs erreurs passées qu'ils se préoccupent des erreurs potentielles dans le futur. Ce qui fait qu'ils ont toujours au-dessus de la tête cette épée de Damoclès de l'évaluation et du risque d'échec.
Quels sont les risques de la rumination ?
Contrairement à ce que les personnes pensent, ruminer aide rarement à trouver des solutions. Les recherches menées à l’UCLouvain montrent que, lorsque l'on rumine, on reste focalisé sur soi et on entretient ses émotions négatives, on s’isole des autres et on se prive de tout ce qui pourrait nous aider à aller mieux. Et cela contribue à la dépression, à l'anxiété, aux troubles du sommeil ou encore aux troubles des conduites alimentaires.
Comment alors peut-on aider les personnes perfectionnistes ?
Se focaliser sur les exigences en tant que telles, comme cela est souvent proposé, ne suffit pas à aider la personne perfectionniste. Elle n’est pas prête à abandonner son perfectionnisme si facilement. Aux Consultations Psychologiques Spécialisées, nous pensons aussi qu'il est surtout important d'apprendre à ces personnes à mieux gérer leurs émotions et notamment à sortir du cycle de la rumination.
Concrètement, que pouvez-vous proposer?
Nous allons aider ces personnes à mieux identifier les situations dans lesquelles elles ont tendance à ruminer, à mettre en place des stratégies alternatives pour gérer leurs émotions, ou encore à s'engager dans des activités dites "absorbantes", que ce soit le jardinage, la musique.... Des activités dans lesquelles on peut s'immerger en étant en connexion avec le moment présent, en débranchant les pensées autocritiques. Cela peut être facilité par le développement de la pleine conscience.
Que peut-on encore travailler avec la personne perfectionniste ?
Un autre aspect du travail consiste à aider les personnes perfectionnistes à accepter leurs imperfections et les émotions qui y sont associées, à être plus bienveillantes vis-à-vis d’elles-mêmes. En fait, bien souvent, plus on lutte pour essayer d'être parfait et plus on se met en difficultés et moins on arrive à atteindre son objectif. Certaines personnes perfectionnistes peuvent parfois préférer éviter les situations de performance, par exemple, ne pas s'engager dans un processus pour avoir une promotion, de peur d'échouer. Le travail de l'acceptation est donc extrêmement important : pouvoir accompagner la personne à réaliser que sa valeur personnelle est nourrie par d'autres choses que l'atteinte des exigences qu'elle s'est fixées.
Quel lien y a-t-il avec le burn out ?
Il semble en effet que les traits perfectionnistes, en particulier la tendance à l’auto-critique, peuvent favoriser les difficultés liées au burn out. En voulant faire les choses parfaitement, ces personnes ont tendance à se sur-engager dans toutes leurs activités. Et les contraintes temporelles du travail ne permettent pas d'être à ce niveau de perfection. Il y a donc un véritable déséquilibre entre les demandes et de l'environnement et de la personne elle-même, d'une part, et ses ressources disponibles, d'autre part. Ce qui peut effectivement mener à de l'épuisement.
Naît-on perfectionniste ou le devient-on ?
Ce sont des caractéristiques qui peuvent survenir assez tôt dans la vie de la personne. Il y a différentes voies de développement du perfectionnisme : cela peut être un environnement familial qui, lui-même est perfectionniste. Et donc l'enfant va suivre le modèle de ses parents. Dans d’autres cas, l’enfant aura appris qu’il faut être parfait pour être aimé. Le contexte sociétal prônant un idéal de perfection peut aussi favoriser le développement du perfectionnisme.
Le perfectionnisme pose-t-il nécessairement problème ?
Non, il existe des perfectionnistes qui visent des exigences très élevées tout en étant capables d’accepter ne pas les atteindre. Dans ce cas-là, on peut considérer que ce n'est pas dysfonctionnel. Ces personnes arrivent à correctement gérer leurs émotions, à prendre du recul, ... Ce que nous appelons le perfectionnisme clinique, c'est celui qui va avoir des conséquences délétères dans la vie de l'individu, celui qui va l’épuiser, l’éloigner de sa famille, le maintenir dans une peur constante de l’échec, l’empêcher de se réaliser. Celui qui va le rendre plus à risque de développer des troubles psychologiques.
Peut-on être perfectionniste et heureux pour autant ?
De nouveau, c’est une question de définition. Si on définit le perfectionnisme comme le simple fait d'avoir des exigences élevées, alors il est possible d’être perfectionniste et heureux. Mais le perfectionnisme dit "clinique", lui, va être un obstacle au bonheur. Évidemment, quand on se met des exigences irréalistes et inatteignables, l'échec est d'autant plus probable. Ce qui doit alerter le perfectionniste, c’est lorsque la poursuite de ses exigences devient une obligation. Lorsqu’il a le sentiment de ne plus avoir aucune valeur à ses propres yeux ou pour son entourage en cas d’échec. C’est lorsque le perfectionnisme prend cette forme que nous rencontrons les personnes dans nos consultations.