Cancer de la peau: "Le déni est à la fois nécessaire pour se protéger et nuisible"
Euromelanoma, la campagne de prévention du cancer de la peau a été lancée, mardi. Thème choisi : le déni. Trop souvent, la maladie est dépistée à un stade avancé faute d’avoir voulu voir la réalité en face.
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Publié le 02-04-2019 à 00h57 - Mis à jour le 03-04-2019 à 11h29
Euromelanoma, la campagne de prévention du cancer de la peau a été lancée, mardi. Thème choisi : le déni. Trop souvent, la maladie est dépistée à un stade avancé faute d’avoir voulu voir la réalité en face.
D’un point de vue psychologique, le déni est un mécanisme de défense très important, explique Julien Tiete, psychologue spécialisé en oncologie et lié à l’hôpital Erasme.
Que peut-il se passer dans la tête d’une personne lorsqu’elle est confrontée, par exemple, à une anomalie dermatologique, comme une tache ?
Elle va évaluer ce risque. Quand la perception subjective va au-delà du risque, on peut faire preuve de catastrophisme sur interprétation/identification. Mais lorsque la perception subjective est en deçà du risque, on parlera plutôt de déni.
Quelles sont les différentes déclinaisons du déni ?
Le déni recoupe plusieurs mécanismes différents. Il y a le déni au sens propre du terme, mais aussi l’évitement et la minimisation. Ces mécanismes ont des implications très différentes aussi bien pour les personnes que pour les soignants. Le déni, au sens strict ou psychiatrique du terme, est un mécanisme inconscient qui vise vraiment à refuser la réalité. Une personne chez qui on a diagnostiqué un cancer pourrait, par exemple, continuer à fonctionner comme si ce cancer n’existait pas du tout. L’évitement et la minimisation sont, en revanche, des mécanismes qui sont à la fois conscients et inconscients. Ils visent à réduire l’impact ou à l’éviter. Les personnes oscillent entre des moments où elles intègrent leur cancer dans la réalité et d’autres moments où elles le mettent à distance.
Quelle probabilité a-t-on d’adopter un comportement sain lorsque l’on est confronté à un symptôme ?
Cette probabilité est directement liée à l’importance du signal ou du symptôme. Si on a par exemple une tache qui triple de taille en un mois sur le bras, on est théoriquement plus enclin à aller voir un médecin. Mais il existe aussi d’autres facteurs qui vont influencer ce comportement sain que l’on va adopter. Aussi bien des caractéristiques socio-démographiques (âge, sexe, niveau socio-économique), que psychosociales (personnalité, caractéristiques cognitives ou histoire de vie) vont influencer la manière dont on perçoit les maladies et leur prise en charge, et donc la probabilité d’adopter un comportement sain.
Et ensuite ?
En termes de processus d’adaptation psychologique au cancer, ce mécanisme de déni, d’évitement ou de minimisation fait partie intégrante de notre effort d’adaptation pour faire face à la maladie. Cela signifie que, lorsque l’on voit une anomalie sur son corps, c’est un facteur de stress, qui représente un trauma ou une certaine dose d’incertitude qui va provoquer en nous un choc psychique. Suite auquel on va développer des réactions tout à fait normales, comme de la peur ou de la tristesse qui peuvent dévier vers des troubles anxieux ou dépressifs. Ce mécanisme de stress permet donc de réguler l’intrusion du cancer et de cette expérience traumatisante dans notre psychisme.
Cela signifie que s’il n’y avait pas de déni du tout, on serait totalement submergé, traumatisé par cette expérience ?
Effectivement. Et s’il y a trop de déni, à aucun moment le cancer ne revient dans notre vie. Le déni est donc un processus adaptatif normal pour supporter certaines situations et continuer à fonctionner. Mais quand il est intense et stable dans le temps, il devient pathologique et il empêche l’individu de consulter un médecin ou se traiter adéquatement. En conclusion, on peut dire que le déni est à la fois nécessaire pour se protéger et en même temps nuisible quand il devient pathologique et trop présent.
Quelles sont les réactions fréquentes en consultation ?
Par exemple des patients vont dire : "J’ai peur de consulter parce que j’ai peur qu’on me trouve quelque chose." Pour certaines personnes, l’anticipation de la menace associée au diagnostic et à des traitements peut dépasser les bénéfices potentiels en termes de prise en charge et de survie. Une autre réaction peut être : "J’ai juste une petite tache." Là, on se situe plus dans la minimisation. Cela va pousser les gens à attendre avant de consulter, se disant que ça va peut-être partir tout seul… Enfin, au niveau de la prévention primaire, il y a une pensée collective selon laquelle "prendre le soleil, c’est bon pour la santé". Même si ce n’est pas fondamentalement faux, c’est évidemment une question d’intensité. Et là, on touche, au-delà des réactions psychologiques, à un manque d’information ou d’éducation en termes de risques. Or l’information est fondamentale, car, lorsque l’on reçoit en consultation un diagnostic de cancer, elle permet de mettre un sens sur ce qui arrive. Outre cela, il y a une nécessité énorme de programmes d’éducation.