Comment expliquer la surconsommation d’antibiotiques en Belgique ?
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Publié le 03-04-2019 à 00h00 - Mis à jour le 04-04-2019 à 16h07
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En Belgique, nous utilisons plus d’antibiotiques que la moyenne européenne. Dans les soins ambulatoires, dans les maisons de repos et dans l’élevage d’animaux destinés à la consommation. Le KCE lance des pistes pour améliorer la situation.
Alors que la Belgique fut, en 1999, l’un des premiers pays européens à installer une commission nationale de coordination de la politique antibiotique, la BAPCOC, de nombreuses initiatives ayant été prises depuis lors pour améliorer la prescription et la consommation prudente des antibiotiques, notre pays fait partie du top 9 des plus gros prescripteurs (surtout des médecins généralistes) d’antibiotiques (de surcroît en majorité à large spectre) en Europe, pour le secteur ambulatoire. Cela, avec 21,1 doses définies journalières (DDD) pour 1000 habitants en 2017. Et si, dans le secteur hospitalier, nous nous situons juste en dessous de la moyenne européenne, dans les maisons de repos, les résidents en consomment plus que leurs homologues européens.
Quant au secteur vétérinaire, les ventes s’élèvent à plus du double de la médiane européenne. Or nul n’ignore aujourd’hui que seul un usage prudent et raisonné des antimicrobiens tant en médecine humaine que vétérinaire, permettra de limiter le phénomène croissant et très inquiétant des résistances.
Dans cet esprit, le Centre d’expertise des soins de santé (KCE) publie ce jeudi un rapport contenant des propositions pour une politique antibiotique plus efficace en Belgique. Après avoir énuméré les mesures prises dans notre pays et avant d’en venir aux recommandations (voir ci-dessous), les auteurs ont tenté de voir pourquoi les niveaux de prescription et de consommation d’antibiotiques restent élevés en Belgique. Voici quelques éléments d’explication.
1. Au niveau des prescripteurs et utilisateurs individuels
Si, d’après la littérature scientifique, les médecins sont bien conscients de la menace que représente la résistance aux antibiotiques, trop souvent leur comportement de prescription semble ne pas en tenir compte. "Cela signifie qu’un certain nombre d’autres déterminants influencent tout autant leur décision de prescrire", indique le rapport qui cite les risques cliniques perçus, la relation avec le patient, la perception que le patient demande des antibiotiques, l’incertitude diagnostique et le désir de la contrôler, la pression du temps, l’idée que la surconsommation d’antibiotiques présente moins de risques que la limitation de leur usage ("mieux vaut prescrire trop que pas assez"), l’importance attachée à la liberté thérapeutique et à l’autonomie clinique, le manque de confiance dans les guides de pratique clinique existants et même l’opposition à la médecine fondée sur les preuves…
Au niveau du patient et du grand public en général, les facteurs identifiés par des études qualitatives et quantitatives sont la demande de solutions rapides, la difficulté à accepter de soigner une infection bénigne par un simple repos et un traitement symptomatique, la pression sociétale poussant à être constamment en bonne santé et performant, ainsi que le présentisme.
Beaucoup de ces facteurs s’appliquent au secteur vétérinaire qui, non seulement peut prescrire des antibiotiques mais est aussi autorisé à les délivrer (vendre) avec toute la question du conflit d’intérêts.
2. Au niveau des établissements de soins de santé et des élevages
Bien que différentes stratégies aient été mises en place pour limiter la prescription d’antibiotiques, comme l’obligation de groupes pluridisciplinaires de gestion de l’antibiothérapie dans tous les hôpitaux aigus et les grands hôpitaux chroniques, des améliorations doivent être faites, notamment au niveau des ressources humaines minimales à y affecter ou des objectifs à atteindre. Et alors que le problème de résistance aux antimicrobiens est considérable dans les maisons de repos, "la majorité de ces institutions manquent actuellement d’initiatives structurées en matière de bon usage des antibiotiques", souligne le rapport. Il en va d’ailleurs de même pour le secteur ambulatoire, dans lequel est prescrite la majorité des antibiotiques, et dans le secteur vétérinaire où cette gestion de l’antibiothérapie fait aussi défaut, le rôle consultatif des vétérinaires restant très limité.
3. Au niveau politique
Parmi les déficiences importantes au niveau politique, le rapport pointe la qualité de la formation universitaire sur cette thématique qui présente des lacunes dues à la fragmentation de l’enseignement en infectiologie en différentes sous-disciplines enseignées par des experts différents. Mais aussi l’absence de formation continue obligatoire pour les prescripteurs au sujet de la prescription d’antibiotiques ou de la résistance aux antimicrobiens. Et à l’heure où l’on parle beaucoup de pénurie, l’accès au médicament adéquat pose également question : il s’avère parfois impossible parce que l’(ancien) antibiotique n’est pas ou plus disponible sur le marché, qu’il est temporairement indisponible ou que la formulation adaptée aux enfants manque dans le bon dosage.
Enfin, quand on sait que les compétences concernant la prescription, l’usage des antibiotiques et la résistance aux antimicrobiens sont réparties entre les autorités fédérales, les Communautés et les Régions, cela n’arrange rien à la complexité du sujet.
Voici quelques-unes des 21 recommandations des experts pour éviter la surconsommation des antibiotiques
Sans établir d’ordre de priorité, les experts mandatés par le KCE ont formulé 21 recommandations pour améliorer la situation. En voici quelques-unes.
- Développer un plan d’action national "One Health" contre la résistance aux antimicrobiens, qui devrait impliquer tous les acteurs concernés et être régulièrement évalué.
- Renforcer la gestion de l’antibiothérapie dans les hôpitaux aigus.
- Déployer des équipes locales de gestion de l’antibiothérapie dans le secteur ambulatoire, où sont prescrits la majorité des antibiotiques.
- Développer la gestion de l’antibiothérapie dans les maisons de repos, où il existe un sérieux problème de résistance.
- Améliorer la formation professionnelle en matière de prescription et d’usage prudent des antibiotiques, et développer des interventions ciblant les facteurs psychologiques, sociaux et institutionnels du changement comportemental.
- Reconnaître la microbiologie médicale et l’infectiologie comme des spécialités médicales et rémunérer ses avis.
- Améliorer la disponibilité d’antibiotiques anciens/à spectre étroit, qui ne sont pas/plus toujours disponibles sur le marché, obligeant les prescripteurs à les remplacer par des antibiotiques moins optimaux, souvent à large spectre. Or on sait qu’une composante vitale de la lutte contre la résistance antimicrobienne est l’accès au produit antibactérien approprié.
- Délivrer le nombre exact de comprimés d’antibiotiques nécessaires dans les pharmacies publiques, sachant que les conditionnements d’antibiotiques disponibles sur le marché belge sont souvent plus grands que nécessaire pour un traitement, ce qui accroît le risque de garder le surplus à domicile et de recourir par la suite à l’automédication.
- Améliorer l’observance des guides cliniques Evidence-Based en matière de prescription.
- Utiliser la (future) application d’e-prescription obligatoire pour améliorer la prescription prudente d’antibiotiques.
- Envisager l’adoption de mesures structurelles pour améliorer la prescription et l’usage rationnels des antibiotiques.
- Stimuler l’évolution de comportement vers un usage plus prudent des antibiotiques tant dans le grand public que chez les prescripteurs.
Plus spécifiquement dans le secteur vétérinaire
- Renforcer le rôle de conseiller des vétérinaires.
- Suivre l’utilisation des antibiotiques et l’apparition de résistances chez les animaux de compagnie et stimuler la recherche dans ce secteur.
- Rendre superflue l’utilisation des antibiotiques comme moyen d’intensifier la production animale.
- Changer le comportement des gros prescripteurs d’antibiotiques.
- Définir de nouveaux objectifs pour l’usage des antibiotiques dans le secteur vétérinaire.