Les cliniques Saint-Luc dans la course pour révolutionner le traitement de l’hémophilie
Responsable de saignements au niveau des articulations et des muscles, l’hémophilie touche plus de 1000 Belges. Les Cliniques Saint-Luc sont sur le point de révolutionner le traitement. Un nouvel espoir.
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Publié le 11-04-2019 à 19h34 - Mis à jour le 12-04-2019 à 14h06
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Responsable de saignements au niveau des articulations et des muscles, l’hémophilie touche plus de 1000 Belges. Les Cliniques Saint-Luc sont sur le point de révolutionner le traitement. Un nouvel espoir. Prometteuse, la thérapie génique pourrait-elle révolutionner le traitement de l’hémophilie ? C’est ce que le Pr Cédric Hermans, chef du service d’hématologie aux Cliniques universitaires Saint-Luc va tenter de savoir avec un essai clinique. Cet été, entre cinq à dix patients belges vont en effet bénéficier d’injections qui pourraient changer le cours de leur vie de patient hémophile.
Qu’est-ce que l’hémophilie ?
C’est une maladie rare de la coagulation - environ 1 000 personnes en Belgique, dont 400 avec une forme sévère -, qui est responsable de nombreux saignements (hémorragies) dans les articulations et les muscles et résulte d’un déficit du facteur VIII ou IX de la coagulation, deux protéines produites normalement par le foie. Ces deux protéines sont indispensables au processus de coagulation (formation de caillots) et à la prévention des saignements. D’origine génétique, l’hémophilie affecte les hommes et est transmise par des femmes.
En quoi consiste le traitement à l’heure actuelle ?
Il s’agit d’un traitement de substitution ou de remplacement, qui consiste à administrer le Facteur VIII ou IX qui fait défaut. Ce traitement est contraignant car le patient doit se faire des injections intraveineuses jusqu’à une fois tous les deux jours. Il est aussi imparfait dans la mesure où il ne permet de corriger le déficit en FVIII ou FIX que de façon partielle et fluctuante, justifiant des injections régulières. Ces traitements ne guérissent pas la maladie et ne sont que partiellement efficaces puisque le patient peut encore avoir des hémorragies malgré des injections régulières.
Quel est le but de la thérapie génique ?
L’objectif est de guérir l’hémophilie en donnant au foie des patients hémophiles la faculté de produire le FVIII ou le FIX, ce que ces personnes ne peuvent pas faire compte tenu de leur maladie. Pour cela, on va introduire dans les cellules du foie le matériel génétique (gène) du FVIII ou FIX, en utilisant des virus totalement modifiés, ayant perdu quasi tout caractère ou propriété pathogène. Ces virus ou "vecteurs viraux", qui sont choisis pour leur tropisme hépatique, c’est-à-dire leur tendance à se diriger naturellement vers le foie, peuvent être administrés par voie intraveineuse. L’injection ne sera administrée qu’une seule fois et les résultats devraient apparaître après quelques semaines seulement.
Existe-t-il des risques pour le patient ?
Ils semblent limités. Le principal est la survenue d’une réaction du foie - sorte d’hépatite qui est quasi toujours transitoire et nécessite un traitement bref par de la cortisone.
Tous les patients sont-ils candidats à cette étude ?
Actuellement les études cliniques sont limitées à certains patients. Ils doivent être âgés entre 18 ans et 65 ans, ne présentant ni maladie du foie ni antécédents d’intolérance au FVIII ou FIX… Nous avons plusieurs candidats répondant à ces critères aux Cliniques Saint-Luc. Ils recevront les injections cet été. Les patients doivent aussi accepter les contraintes de l’étude et se soumettre à toutes les exigences du protocole avec une visite de contrôle chaque semaine pendant plusieurs mois et de nombreuses analyses de sang et autres, afin aussi de confirmer la production par le foie de FVIII ou FIX. Si la thérapie génique fonctionne en hémophilie à long terme et si elle est bien tolérée, cela ouvre des perspectives pour toute une série de pathologies. C’est donc un message d’espoir pour des centaines d’autres maladies rares ou du métabolisme.
Quelles sont les incertitudes qui subsistent ?
Il faut être réaliste, à l’échelle de la planète, il y a tout au plus 20 à 30 patients hémophiles qui ont été guéris par thérapie génique et 300 à 400 sont en cours de protocole d’étude et vont recevoir le vecteur dans les mois qui viennent. Les patients qui sont inclus dans les études sont sélectionnés et l’on ne sait pas si tous vont répondre à ce type de traitement. Les enfants qui pourraient le plus en bénéficier ne sont pas dans les protocoles d’étude. Il y a donc encore certaines limites même si cela ouvre clairement de nouveaux espoirs par rapport à une maladie dont le traitement reste quand même très contraignant. Par ailleurs, on ignore actuellement la durée de l’effet, en d’autres termes si la correction du FVIII ou FIX se maintiendra toute la vie. Les données disponibles chez les patients traités il y a déjà plusieurs années et chez l’animal (modèle de chien avec 10 ans de recul) sont prometteuses mais cela devra être confirmé. Les patients seront suivis pendant cinq ans.
Et qu’en est-il du coût de ce traitement ?
Les chiffres sont astronomiques. On parle de un à plusieurs millions d’euros. Cela dit, à l’heure actuelle en Belgique, le traitement d’un hémophile adulte qui est traité régulièrement s’élève à minimum 200 000 à 300 000 euros par an. Donc, à la limite, en trois ans, le traitement pourrait être remboursé.
"Si le traitement par thérapie génique que l’on me propose d’expérimenter est une réussite, cela va bien évidemment changer ma vie"
Heureux élu, Didier Tonneau devrait être l’un des patients belges à pouvoir bénéficier en juillet prochain d’une injection susceptible de le guérir. Aujourd’hui âgé de 60 ans, ce producteur artistique est atteint d’hémophilie A sévère, avec déficience de facteur VIII en coagulation. "Vu mon âge, nous dit-il, j’ai assisté à toutes les découvertes et connu tous les traitements proposés par les différents laboratoires pour éviter les saignements. Malgré cela, ma vie a été émaillée de nombreux épisodes hémorragiques à raison de deux ou trois par mois sur toutes les articulations et qui m’ont détruit énormément. J’ai donc aujourd’hui des prothèses de genoux, de hanches et des arthrodèses au niveau des pieds. Au fil du temps, j’ai pu bénéficier des produits de coagulation qui m’ont quand même aidé. Je me perfuse moi-même deux fois par semaine pour éviter les saignements hémorragiques importants, et les douleurs qui y sont associées. Si le traitement par thérapie génique que l’on me propose d’expérimenter est une réussite, cela va bien évidemment changer ma vie. Comme tout hémophile, j’aimerais en arriver à un facteur qui s’élève à 30 ou 40 %, voire plus pour pouvoir déclarer que, voilà, j’ai vaincu la maladie."