Dons de sperme ou d’ovocytes : le Conseil de l’Europe appelle à la levée de l’anonymat
Publié le 17-04-2019 à 07h50 - Mis à jour le 17-04-2019 à 07h51
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De nombreux adultes nés par PMA souhaitent connaître leurs origines. Ils se heurtent au principe de l’anonymat en vigueur dans de nombreux pays européens. Véronique Leblanc Correspondante à Strasbourg Au niveau mondial, on estime que plus de huit millions d’enfants sont nés grâce aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA). Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont été conçus par don de gamètes humains, c’est-à-dire de spermatozoïdes ou d’ovocytes.
Maîtrisée depuis des décennies, cette pratique est traditionnellement fondée sur l’anonymat du donneur ou de la donneuse afin de protéger le caractère altruiste et volontaire du don, la vie privée du donneur et les intérêts de la famille légale de l’enfant.
Des droits dont nul ne conteste la légitimité mais qui se trouvent aujourd’hui confrontés aux questionnements d’enfants devenus adultes qui revendiquent, eux, leur droit de connaître l’identité de la personne qui a rendu leur naissance possible.
Des législations disparates
Leurs questions sont douloureuses et quasi existentielles : qui est cette personne à qui je dois la vie ? Pourquoi a-t-elle fait cette démarche ? Ai-je des demi-frères ou des demi-sœurs ? Ne suis-je pas tombé(e) amoureux(se) d’un membre de ma famille ? Difficile de se construire et de construire sa vie quand on est en proie à de tels vertiges.
En Europe, l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, l’Autriche, les pays scandinaves et le Royaume-Uni ont d’ores et déjà levé l’anonymat. Le Portugal est en train de faire évoluer son cadre législatif… D’autres pays continuent par contre à préserver l’anonymat alors que, parallèlement, le droit international et le droit européen ont progressé vers la reconnaissance d’un droit de connaître ses origines.
Cruciale, la question ne peut désormais plus être évitée et le Conseil de l’Europe s’en est emparé par le biais d’un rapport défendu vendredi dernier par la sénatrice belge Petra De Sutter (Groen), gynécologue obstétricienne et cheffe du service de médecine reproductive à l’hôpital de Gand.
Primauté des droits de l’enfant
La recommandation qui a été adoptée dans la foulée et à la quasi-unanimité met l’accent sur "les droits de la personne conçue qui se trouve dans la position la plus vulnérable et pour laquelle les enjeux semblent les plus importants". Sans pour autant négliger "les intérêts des autres parties concernées dans le don de spermatozoïdes et d’ovocytes, au premier rang desquels on trouve les donneurs et les parents légaux".
Selon les préconisations adoptées par les parlementaires issus des 47 États membres du Conseil de l’Europe, l’identité du donneur ou de la donneuse ne devrait pas être révélée au moment du don à la famille mais au 16e ou au 18e anniversaire de l’enfant ainsi conçu. Celui-ci serait alors informé - de préférence par l’État - de l’existence d’informations complémentaires concernant sa naissance. Liberté lui serait ainsi donnée d’accéder à ces informations et de prendre contact avec son parent biologique ainsi qu’avec d’éventuels demi-frères ou demi-sœurs.
Autant de démarches qui devraient être entamées "de préférence après avoir eu accès à des services d’orientation et de conseil appropriés", est-il précisé dans ce texte qui appelle aux mêmes précautions à l’intention du donneur avant le don.
Aucune conséquence sur la filiation ou la succession
La renonciation à l’anonymat ne devrait avoir aucune conséquence juridique sur la filiation, est-il également précisé, le donneur devrait être protégé contre toute demande de détermination de la filiation ou d’une revendication parentale ou successorale.
Pour cadrer ces nouveaux dispositifs, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe propose que les États membres tiennent un registre national des donneurs et des personnes conçues par don de sperme ou d’ovocyte, afin de faciliter l’échange d’informations et d’imposer une limite supérieure au nombre de dons possibles par le même donneur.
Dernier point et non des moindres, la recommandation ne vise que les futurs dons de gamètes, elle ne concerne donc pas les milliers de personnes déjà nées de dons anonymes et qui voudraient avoir accès à leurs origines.
3 questions à Petra De Sutter, Gynécologue obstétricienne et sénatrice (Groen), qui a piloté le rapport du Conseil de l’Europe
1 L’anonymat a été levé dans de nombreux pays européens, où en est-on en Belgique ?
En pleine discussion autour de la loi de 2007 ! Celle-ci prévoit le don dit "direct" ou "dirigé" qui permet de se rendre dans un centre avec un donneur de son entourage. Une femme peut, par exemple, donner ses ovocytes à sa sœur. Si ce n’est pas possible, le couple ou la célibataire devra avoir recours à un centre de fertilité ou à une banque de sperme et, dans ce cas, la loi ne permet que l’anonymat complet. Le donneur ne connaîtra pas l’identité du receveur et vice versa. Plusieurs propositions sont sur la table pour changer cette loi : lever intégralement l’anonymat ou introduire des donneurs non anonymes en laissant ouverte la possibilité de l’anonymat pour ceux qui le veulent. Ce qui n’est pas remis en cause, c’est la gratuité du don. La démarche doit rester altruiste et non commerciale.
2 Votre rapport refuse tout effet rétroactif d’un changement législatif. Pourquoi ?
Il s’agirait d’une rupture de contrat qui violerait les droits du donneur. À l’heure actuelle, au niveau mondial, seul l’État de Victoria l’a fait en Australie, mais je ne pense pas que cette voie sera suivie. Par ailleurs, cela n’empêche en rien les enfants déjà nés par dons de gamètes d’entamer une démarche personnelle via les réseaux sociaux ou les tests ADN. À ce propos, la Fondation "Donor Detectives" est très active en Belgique et aux Pays-Bas.
3 En quoi le Conseil de l’Europe est-il la bonne "plate-forme" pour votre rapport ?
En tant que gardien des droits humains dans 47 États européens, il est le lieu par excellence où faire avancer la réflexion et promouvoir les bonnes pratiques sur ces questions. Fondamentalement, il s’agit ici du droit de l’enfant à connaître ses origines pour se construire. Ce n’est pas rien… Et c’est intéressant de voir comment les pays européens se positionnent sur des droits humains qui devraient être universels. Au sein de l’Assemblée parlementaire, nous avons voté non pas une résolution mais une recommandation. Le Comité des ministres doit nous répondre et, s’il le décide, accélérer le processus dans des pays qui sont en pleine réflexion. La France et la Belgique, par exemple.