Notre cerveau peut-il ressusciter ?
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Publié le 18-04-2019 à 19h58 - Mis à jour le 18-04-2019 à 21h46
Des chercheurs américains de l’Université de Yale ont réussi à réactiver les cellules de cerveau de porcs quatre heures après leur mort. De là à penser qu’il est possible de ressusciter d’une mort cérébrale, on n’y est pas (encore). La découverte reste très importante, selon le Pr Steven Laureys neurologue au CHU de Liège et chercheur. Si l’étude parue, mercredi dans la revue Nature est encore loin de prouver qu’il est possible de ressusciter d’une mort cérébrale, elle démontre néanmoins que l’on a sous-estimé la capacité de restauration cellulaire du cerveau.
En quoi donc a consisté l’expérience menée par des chercheurs de l’Université de Yale aux États-Unis ? Pour réaliser leurs travaux, les scientifiques ont utilisé 32 cerveaux prélevés sur des porcs morts depuis quatre heures. Grâce à un système de pompes, ils les ont irrigués durant six heures avec une solution spéciale, à une température équivalente à celle du corps (37 degrés). Cette solution, un substitut au sang, était conçue pour oxygéner les tissus et les protéger de la dégradation liée à l’arrêt du flux sanguin, sachant que les cerveaux des mammifères sont très sensibles à une diminution de l’oxygène qui leur est fourni par le sang.
Et qu’ont pu observer avec stupéfaction les chercheurs ? Ils ont constaté une diminution de la destruction des cellules cérébrales, une préservation des fonctions circulatoires voire une restauration d’une activité synaptique, en l’occurrence des signaux électriques ou chimiques dans la zone de contact entre les neurones.
En d’autres mots, l’équipe de Yale est parvenue à rétablir certaines fonctions neuronales dans ces cerveaux de porcs morts depuis plusieurs heures.
Toutefois, les chercheurs insistent sur le fait qu’ils n’ont repéré dans les cerveaux étudiés " aucune activité électrique qui serait le signe de phénomènes de conscience ou de perception ". " Ce ne sont pas des cerveaux vivants, mais des cerveaux dont les cellules sont actives ", a tenu à préciser l’un des auteurs de l’étude, Nenad Sestan.
Ressusciter un cerveau mort ?
Ces résultats laissent penser que la détérioration des neurones " après l’arrêt du flux sanguin pourrait être un processus de longue durée et non rapide ", font remarquer les auteurs de l’article paru dans Nature .
Quant à savoir ce qu’apporte cette étude, d’après les chercheurs américains, cela pourrait aider à mieux comprendre le cerveau, en l’étudiant de façon post-mortem avant qu’il ne se dégrade. Cela pourrait également ouvrir la voie à des techniques futures permettant de le préserver après une attaque cardiaque, par exemple. De façon encore plus lointaine, on pourrait imaginer, théoriquement, ressusciter un cerveau mort, ce qui reste, pour l’instant, de la science-fiction.
"Cela va nous obliger à un peu repenser les frontières de la mort"
"C’est super. Pour moi, c’est comparable à l’invention du respirateur artificiel ou du défibrillateur cardiaque, a réagi le Pr Steven Laureys, neurologue au CHU de Liège et chercheur, spécialiste mondialement reconnu du coma et de la conscience. On pouvait déjà réanimer le cœur, remplacer ou du moins assurer le bon fonctionnement des poumons. Maintenant, avec cette étude, on voit que le cerveau, malgré sa fragilité apparente, est peut-être plus robuste qu’il n’y paraît et qu’il peut être réanimé. C’est donc une découverte considérable ."
Les résultats de cette étude vous surprennent-ils ou était-ce plutôt attendu ?
Il s’agit d’une étude qui est incroyablement bien menée par une superbe équipe et qui constitue vraiment une étape importante. Elle est évidemment construite sur une série de connaissances déjà établies. Cela fait déjà un petit temps en effet que l’on dit que le cerveau a une capacité à survivre quelque part, même dans des conditions extrêmes comme c’est le cas ici. Décapiter des porcs et voir qu’il y a encore une activité cérébrale quatre heures après, c’est quand même extraordinaire !
Quelles sont les implications et applications de cette découverte à terme ?
Cela va permettre d’avancer dans le domaine de la réanimation du cerveau. Et cela nous concerne tous quand nous nous retrouvons aux soins intensifs. Cela va permettre de définir la frontière entre la vie et la mort, de savoir à partir de quand le processus de mourir est encore réversible. Et ceci n’est pas une question philosophique. C’est vraiment de la science, de la technologie. Ce sont ces chercheurs-là qui vont repousser les frontières de la mort, vraiment.
En quoi ces travaux sont-ils particuliers et originaux ?
Les chercheurs ont en fait connecté deux artères à leurs machines, en l’occurrence les deux carotides que l’on sent dans notre cou. Et ils ont obturé les deux autres artères qui se trouvent dans la colonne vertébrale. C’est pour cette raison que le porc n’a pas récupéré une conscience et une activité globale. Mais on pourrait très bien imaginer que, la prochaine fois, on ne connecte pas seulement deux artères mais bien les quatre. L’animal sera alors éveillé et l’on devrait voir beaucoup plus d’activité. Ce serait l’étape suivante.
Ceci pourrait-il avoir des conséquences pour le don d’organes ?
Pour l’instant, non. Mais il est important d’avoir une discussion transparente sur quel est le moment où l’on arrête nos machines pour la réanimation. De même pour le don d’organes chez des personnes qui se trouvent dans le coma que l’on laisse mourir et pour lesquelles nous avons aujourd’hui une frontière arbitraire. Si le cœur s’arrête de battre pendant autant de minutes, on considère que c’est irréversible. Mais avec cette étude, on peut se poser des questions sur ces délais. C’est fascinant de voir comment il faut un peu tout repenser sur ces frontières de la mort. Les résultats de cette étude ont donc beaucoup de conséquences. D’autant que l’homme est très proche du porc. Pour preuve, le fait que l’on prélève chez cet animal des valves cardiaques qui sont transplantées chez l’homme. Et donc, si l’on a obtenu de tels résultats chez le porc, il n’y a pas de raison qu’on ne les reproduise pas chez l’homme.
Dans le futur, on devrait assister à d’autres études de ce type ?
Oui, certainement et cela notamment grâce à ce liquide qui permet de mieux protéger le cerveau. D’autre part, pour les expériences de mort imminente, on pensait jusqu’ici que, si le cœur s’arrête, le cerveau doit être mort. Or, cette étude démontre que le cerveau peut encore fonctionner. Et donc, la notion de ce qui est réversible va être repoussée. La mort, c’est un processus, c’est ça, la réalité. Or, dans la société, on veut que ce soit noir ou blanc. On ne peut pas être "un peu mort". La science et la technologie repoussent la frontière des réversibilités.
Pour vous, on peut donc considérer que cette étude est une grande avancée ?
Oui, très certainement. En sciences, on avance toujours par étapes, et celle-ci est réellement très importante. Elle aura notamment des conséquences sur une meilleure prise en charge des personnes dans le coma. Et donc, c’est une très bonne nouvelle.