"L'idée pour nous, c'est que dans tous les cas on va choper le paludisme"
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Publié le 25-04-2019 à 13h05 - Mis à jour le 25-04-2019 à 14h19
Ce 25 avril est la journée mondiale contre la malaria. Dans nombre de pays africains, le paludisme est endémique. Au Cameroun, une pharmacienne mène des recherches sur l’Artemisia et conseille de boire ses tisanes. La malaria ? Elle fait partie de notre quotidien !" À 50 ans, le Camerounais Vincent Nomo, établi à Yaoundé, vit avec le paludisme depuis son enfance. Et avec les conditions qui l’entraînent, dans ce pays où la maladie est endémique. "Les égouts n’existent pas ou quand ça existe, c’est bouché. L’eau qui stagne, c’est là que se trouvent les moustiques. Là, il y a deux mois, on a eu une invasion de moustiques à Yaoundé. Vous sortiez deux minutes et vous étiez couverts ! On ne peut pas échapper à la malaria, on vit avec !" Le paludisme ou malaria est dû à un parasite, le Plasmodium, transmis par les moustiques qui en sont porteurs. Chez l’humain, ces parasites se multiplient dans le foie puis s’attaquent aux globules rouges. Le paludisme se manifeste par de la fièvre, des maux de tête et des vomissements. Sans traitement, il peut entraîner rapidement le décès par troubles circulatoires.

Trop cher
Les symptômes du "palu", Vincent Nomo les connaît bien. "Je fais habituellement de 3 à 4 crises de paludisme par an. Je suis si habitué que je sens les symptômes quand la maladie arrive. À un moment, sur un cycle bien précis, de trois à quatre mois, je commence à sentir de la douleur dans les articulations, de la fatigue, de la fièvre qui monte, je sais que j’ai une crise. C’est à tel point que quand vous arrivez dans les petits centres médicaux, même avant d’avoir les résultats, on vous met sous traitement anti-palu. Parfois, on prend même les médicaments sans aller à l’hôpital."
Ses premières crises ont eu lieu quand il était petit et il ignore dans quelles circonstances exactes il a attrapé la malaria. "Mon fils, qui a 9 ans, a des crises de palu depuis l’âge de 3-4 ans. On est tous comme ça ! Pour les enfants, c’est violent, parfois ils y restent. Ils peuvent faire des convulsions. On est dans un tel état qu’on a l’impression que l’on va mourir dans les minutes qui suivent. Cet état est beaucoup plus difficile à vivre pour les enfants que pour les adultes."
Les Camerounais ne prennent pas de traitements préventifs. "C’est vrai que pour nous, l’idée, c’est que dans tous les cas, on a le palu en nous, et que de toute façon, on va choper la maladie à un moment ou un autre, et là, on se soigne ! Les Européens qui arrivent sont obsédés par les moustiques. Nous, on ne les remarque même pas… La politique sanitaire au Cameroun, en ce moment, privilégie non les soins mêmes mais de dormir sous moustiquaire imprégnée. Il faudrait plutôt éradiquer les moustiques. Nos autorités devraient plutôt se battre contre les eaux stagnantes."
Au Cameroun, la plupart des centres de santé sont privés, mais il en existe aussi de petits dans les quartiers, dépendant de l’État. "Il y a un suivi, une disponibilité des médicaments, mais parfois les gens n’ont pas l’argent pour les acheter." La malaria et celle de son fils lui coûtent ainsi environ un salaire mensuel par an.
Faux médicaments, vendus dans la rue
L’autre problème, c’est la fiabilité de ces médicaments. "On peut les acheter dans la rue ! On les vend au bord des routes, aux carrefours ! Ce n’est pas le circuit officiel, sous le contrôle des autorités sanitaires. On peut acheter juste une plaquette, ou moins ! On la coupe avec des ciseaux ! Mais il y a beaucoup de faux. Ça, c’est à la ville. Dans les villages, il y a des gens qui circulent impunément avec des motos, avec des médicaments qu’ils vendent. Et ces médicaments sont, pour la plupart, faux. Par ailleurs, dans le village de ma mère, à 80 km de Yaoundé, le premier centre de santé se trouve à 10 km. Le transport en moto coûte déjà plus cher que le médicament qu’elle prendra."
Depuis un an, Vincent Nomo s’est mis à la controversée tisane d’Artemisia, cette plante utilisée contre la malaria par la pharmacopée traditionnelle chinoise et défendue par des médecins locaux et des ONG, mais pour laquelle manquent des preuves d’efficacité, selon nombre de médecins occidentaux. C’est lors d’une crise de malaria, qu’un des proches de la pharmacienne Rosine Chougouo (voir ci-contre), qui mène des recherches sur l’Artemisia, lui conseille de boire la tisane. "Je l’ai utilisée, avec beaucoup de doutes comme tout le monde, avec toute la culture occidentale liée aux médicaments que l’on a reçue. La tisane fait partie de notre culture, mais on a perdu cela. J’étais sortie de l’hôpital avec la thyphoïde et le palu, on m’avait mis sous relais, des médicaments en comprimés à prendre après la perfusion pour que les symptômes disparaissent complètement. Vu mes occupations, je n’ai pas pris le relais, ni pour la typhoïde, ni pour le palu. Mais j’ai pris la tisane sur le mois qui suivait. Un mois après, j’ai fait une rechute. À l’hôpital, on m’a diagnostiqué de la typhoïde mais pas du palu. J’étais guéri du palu ! C’était il y a un an." Depuis, Vincent Nomo boit de l’Artémisia de manière préventive - "je veux être mon propre cobaye !" - et assure qu’il n’a plus connu de crise de malaria depuis avril 2018, alors qu’il "ne prend pas la moindre précaution contre les moustiques". Son fils en boit depuis six mois et n’a pas eu de crise.
Illustrateur, Vincent Nomo a décidé de dessiner un livre pour enfants, avec l’aide du Dr Chougouo, pour promouvoir l’usage de la tisane et la culture de la plante en Afrique. "J’ai examiné les arguments pour et contre la tisane, et j’ai pris une décision. J’ai une responsabilité. Vis-à-vis de ma mère, d’abord : quand elle est malade, c’est moi qui lui envoie de l’argent pour qu’elle se soigne. Au lieu de laisser ma mère entre les mains des faux médicaments venant entre autres d’Inde, je préfère que ce soit une tisane. En outre, autour de moi, plein de gens n’ont pas les moyens de payer les traitements par médicaments. Enfin, le palu a aussi une influence sur l’absentéisme scolaire. La plupart du temps, quand les enfants ne sont pas à l’école, c’est à cause d’une crise…" L’auteur est à présent à la recherche de fonds pour soutenir la distribution gratuite de son livre dans les écoles.
Infos : vincentnomo@gmail.com
