Les cinq bonnes raisons de retourner sur la Lune (ou pas)
Faut-il retourner sur la Lune ? Depuis la fin prématurée du programme Apollo au début des années 70, la question a régulièrement refait surface.
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Publié le 17-07-2019 à 15h42 - Mis à jour le 19-07-2019 à 18h20
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Faut-il retourner sur la Lune ? Depuis la fin prématurée du programme Apollo au début des années 70, la question a régulièrement refait surface. George W. Bush redonnera une certaine consistance à cette hypothèse en annonçant les nouvelles ambitions lunaires des États-Unis (le programme Constellation) en 2004, avant que son successeur Barack Obama n’enterre un projet jugé trop coûteux et sans intérêt. Un point de vue que ne partage visiblement pas Donald Trump puisque ce dernier a fait savoir son intention de renvoyer des astronautes sur notre satellite en 2024…
Petite analyse critique des arguments le plus souvent entendus en faveur de ce retour en compagnie de Gregor Rauw, professeur d’astrophysique à l’ULiège.
L'argument technologique
C'était l’une des principales critiques avancées par l’administration Obama pour justifier l’abandon du projet Constellation en 2010 : celui-ci était jugé peu porteur d’innovations au regard de ce qu’avait pu apporter Apollo. La donne aurait-elle changé avec le programme Artemis promu par Donald Trump ? L’astrophysicien Gregor Rauw (ULiège) se montre sceptique. “La physique n’a pas changé depuis les années 60 : il faut toujours s’affranchir de l’attraction terrestre. Si vous voulez envoyer une grosse masse sur la Lune, il faut donc un énorme lanceur. Or il n’y a pas eu de rupture technologique. En réalité, aujourd’hui, au niveau des techniques de lancement, on n’a pas évolué depuis les fusées Saturn V.
On peut améliorer l’aspect durabilité en utilisant des lanceurs partiellement réutilisables, mais le problème reste entier.” Pour Apollo, poursuit l’astrophysicien, la Nasa était engagée dans une course contre la montre et n’a pas hésité à prendre un certain nombre de risques “qui se sont d’ailleurs soldés par la mort de certains astronautes” – lors de la 4e mission du programme, NdlR. “Ils étaient sur le fil tout le temps. Aujourd’hui, la mentalité des agences spatiales a changé, on n’est plus prêt à prendre pareil risque
Le traumatisme lié à la destruction de deux navettes spatiales et à la perte des équipages est toujours bien présent. On ne mettra pas un ordinateur dernier cri dans la capsule, mais plutôt une machine éprouvée, peut-être même avec des capacités un peu dépassées par rapport à ce qui existe, mais qui a fait la preuve de sa fiabilité. Dans ce contexte, il est difficile de dire qu’un nouveau programme lunaire pourra permettre de grandes avancées technologiques.” Par ailleurs, l’utilisation de la Lune comme produit d’appel pour stimuler la compétition et l’esprit d’innovation de sociétés privées est à “double tranchant”, juge encore M. Rauw. “Il y a une énorme attente et il y a probablement des choses à faire, mais je crois que dans ces sociétés énormément de personnes sous-estiment la difficulté que représente l’envoi d’hommes dans l’espace.”
Bon nombre de ces entreprises privées, apparues quand Barack Obama a initié le projet “New Space”, “ont d’ailleurs disparu ou ont été absorbées par d’autres”. Seules trois ou quatre grosses sociétés tirent leur épingle du jeu : Space-X (qui appartient au milliardaire Elon Musk), Blue Origin (qui appartient au milliardaire Jeff Bezos) et les plus traditionnelles Boeing et Lockheed Martin.
“Un point qui me préoccupe énormément est le côté Far West de cette approche, ajoute le scientifique liégeois. Quand on entend qu’Elon Musk veut lancer des milliers satellites dans l’espace pour offrir une couverture Internet par ce biais il en a lancé une soixantaine au mois de mai -, je me pose de sérieuses questions. Pour le moment, il y a environ 2300 satellites opérationnels en orbite terrestre, mais aussi des milliers de débris spatiaux qui se déplacent de manière incontrôlée. Si l’on s’engage dans la voie d’Elon Musk, ce que d’autres sociétés privées envisagent, à un moment donné on aura un problème. Il y aura un risque de chaos.”
L'argument de la préparation pour Mars
Pour le moment, “c’est sans doute le moins ridicule des arguments avancés”, estime Gregor Rauw, astrophysicien à l’ULiège. L’eau présente à l’état de glace sur la Lune pourrait en effet facilement être exploitée sur place, explique notre interlocuteur. “On pourrait en extraire de l’hydrogène et de l’oxygène. Et avec cet hydrogène, vous pourriez envoyer des fusées vers Mars ou ailleurs.” La gravité lunaire étant six fois inférieure à ce que nous connaissons sur Terre, il faudrait en outre moins de combustible pour faire décoller un vaisseau d’exploration spatiale. “C’est un scénario crédible, mais cela ne signifie pas qu’il est réalisable. Il faudra développer des équipements robotisés et il y a énormément de problèmes à résoudre.”
Un autre argument avancé par les promoteurs du voyage lunaire est celui de “laboratoire” martien. “Nous utiliserons la Lune pour faire la preuve de nos technologies, capacités et nouvelles approches avec les entreprises pour de futures missions vers Mars, tout en étant encore suffisamment proches de la Terre en cas d’urgence”, nous explique ainsi Timothy Tawney, de la Nasa.
L'argument économique
C'est également l’une des “carottes” agitées par les promoteurs d’un come-back lunaire : la possibilité d’exploiter certaines ressources, notamment minières, dont regorgerait notre satellite. Une fois de plus, Gregor Rauw (ULiège) se montre dubitatif. “L’intérêt économique commence à se profiler à l’horizon, mais pour l’instant ce n’est pas encore rentable, selon moi. On a beaucoup parlé de la possibilité d’exploiter l’hélium 3 (dont la présence a été détectée dans des échantillons lunaires, NdlR) pour produire de l’énergie par fusion nucléaire, mais à mon avis, c’est une chimère. D’une part, parce que l’on n’est pas à ce jour en capacité technique de l’exploiter. D’autre part parce que le ramener en quantité sur Terre sera tellement compliqué à organiser que ça va coûter des fortunes.”
Une remarque qui vaut pour l’exploitation d’autres minerais. Les processus d’extraction et les “charrois spatiaux” nécessaires pour rapatrier ces matières premières sur Terre généreront en effet des quantités très importantes de poussières lunaires “qui ont des propriétés abrasives très fortes”. “C’est un gros problème car ces poussières pénètrent partout et seraient très mauvaises pour les machines et les infrastructures.”
L'argument géopolitique
Il ne faut pas être dupe, souvent présentée comme un instrument de rapprochement entre les nations, la conquête spatiale est aussi un moyen de s’affirmer comme hyper-puissance, les programmes spatiaux étant très souvent adossés aux structures militaires. Fruit de la rivalité entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, le programme Apollo en est la plus belle illustration.
L’affirmation par la Chine de ses ambitions dans l’espace n’est sans doute pas totalement étrangère à la volonté de Donald Trump d’aller vérifier au pas de charge si le drapeau américain est toujours bien en place sur la Lune. D’autant que l’ambiance générale est au “bombage de torse” entre Washington et le reste du monde et qu’aujourd’hui “la Chine est sans doute le pays le mieux placé pour réaliser un vol habité vers notre satellite”, estime l’astrophysicien Gregor Rauw (ULiège). Ce que d’autres observateurs réfutent : Pékin est “encore très loin d’un programme de type Apollo”, note Isabelle Sourbès-Verger, du CNRS français. L’administration américaine “surjoue sans doute un peu l’aspect compétition chinoise” pour des raisons de politique intérieure, analyse Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique à Paris.
Le représentant de la Nasa en Europe assure que la coopération internationale est très importante dans le projet (nous y reviendrons), mais selon M. Rauw, dans le contexte international actuel, l’heure ne semble donc pas vraiment à un grand programme de coopération, “à part éventuellement avec quelques alliés des Américains ou parce qu’ils vont se rendre compte qu’ils ne peuvent pas supporter les coûts tout seuls”. De leur côté, ajoute-t-il, les Chinois ne sont pas non plus des modèles de transparence et d’ouverture dans le domaine de l’espace.
L'argument scientifique
Il ne faut pas se leurrer, la science n’est pas la raison qui motive un retour sur la Lune. Elle n’a d’ailleurs pas motivé les missions Apollo, où la dimension scientifique ne fut en quelque sorte qu’un bonus”, tranche sans hésitation l’astrophysicien Gregor Rauw. Les sites d’atterrissage de ces missions furent d’ailleurs choisis en fonction de critères permettant de minimiser les risques pour les astronautes et non de leur intérêt scientifique.
Si un certain nombre de questions restent effectivement en suspens concernant notre satellite – sa structure exacte, le mystère de ses origines, sa face cachée… –, celles-ci pourraient d’ailleurs trouver des réponses en faisant appel à des missions robotisées spécifiquement dédiées à la collecte de ces informations. L’installation de télescopes qui permettraient d’étudier l’univers depuis la Lune – en s’affranchissant des perturbations terrestres – plaide de manière un peu plus solide en faveur d’une mission lunaire. Mais il s’agirait essentiellement d’équipements de radioastronomie qui captent les ondes radioélectriques émanant du cosmos, car les télescopes optiques auraient bien du mal à résister aux écarts de températures – 300 C° – qui accompagnent les cycles jour-nuit de l’astre sélène.