Et si les Russes étaient arrivés les premiers sur la Lune ?
Durant toute cette semaine, La Libre commémore l’exploit technique et l’événement géostratégique du 21 juillet 1969, lorsque l'Homme a mis le premier pas sur la Lune.
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Publié le 18-07-2019 à 13h41 - Mis à jour le 19-07-2019 à 18h20
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Il y a bientôt un demi-siècle, le 21 juillet 1969, un être humain posait pour la première fois le pied à la surface de la Lune. Cinquante ans après, la Lune est de nouveau devenue un objectif pour les agences spatiales et les entreprises privées. Les Etats-Unis ont ainsi annoncé en mars vouloir être de retour sur la Lune en 2024. L’Agence spatiale européenne (ESA) entend bien être de la partie.
Durant toute cette semaine, La Libre commémore l’exploit technique et l’événement géostratégique de 1969. Troisième épisode de notre série : un récit de fiction sur le mode de l’uchronie (réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé) avec cette question “Et si les Russes étaient arrivés les premiers?” Nous avons imaginé ce texte sur base d'interview d'experts et de documents historiques.
Et Alexei Leonov fit le premier pas sur la Lune le 21 décembre 1968 (Récit de fiction)
Années 50 : la guerre est terminée. Le monde a été scindé en deux parties. D’un côté, le bloc Ouest, de l’autre, le monde communiste à l’Est. Dans ce face-à-face, on assiste à l’escalade dans l’armement, de chaque côté. chacun veut détenir la fusée, la bombe la plus puissante.
En 1957, au milieu de cette tension, 1958 est décrétée année géophysique internationale. Les Américains clament qu’ils lanceront à cette occasion un satellite autour de la Terre. Les Russes, eux, espèrent couper le sifflet à leurs ennemis. Dans le plus grand mystère, ils transforment un missile militaire en fusée capable de satelliser un objet autour de la Terre. Ils décident de faire simple : une grosse boule avec 4 antennes et dedans un émetteur radio. A la grande stupéfaction des Américains, les Russes passent sous le nez de ceux-ci en octobre 1957. De leur côté, les Américains voient leurs lanceurs exploser les uns après les autres car ils ont dispersé leurs forces entre l’US Navy et la US Air Force, qui vivent une grande rivalité.
La première étape de la conquête spatiale est donc largement remportée par les Russes. Le régime communiste impose alors à Korolev, le père du Spoutnik, d’inclure un être vivant dès le lancement du second satellite. Ce sera la chienne Laïka. Deuxième coup d’éclat pour les Russes.

Du côté américain, la Nasa est créée avec l’idée, dans le plus grand secret cette fois, de préparer le premier vol habité. Sept premiers astronautes sont recrutés pour ce vol balistique d’une quinzaine de minutes. In extremis, les Américains décident de mener un dernier vol d’essai avec un chimpanzé. Cela se joue à quelques jours près car les Russes, eux, envoient Gagarine mener un tour complet de la Terre – une satellisation, donc bien mieux qu’un vol balistique qu’effectue Alan Shepard quelques semaines plus tard.
Dans ce qui est clairement vu comme une guerre – et dont les premières batailles sont perdues ! -, le président américain Kennedy interroge alors la Nasa : que peut-on faire pour battre les Russes dans la course à l’espace ? Il est décidé de viser la Lune. Bien sûr, les Russes eux aussi se lancent dans la même course, bien qu’avec du retard. Mais cela se passe dans le secret militaire le plus absolu. Ils ont cependant dans leur manche un atout, dont l’identité sera longtemps gardée secrète : Sergueï Korolev, ingénieur aux grandes capacités d’organisation et à la forte personnalité. Problème : sa rivalité avec Valentin Glouchko, jusque-là presque unique responsable des programmes spatiaux. Celui-ci est contre l’usage de l’hydrogène liquide comme carburant, et propose un atterrissage direct sur la Lune.
Mais ce qui aurait pu être un conflit très dommageable pour le spatial russe, se règle rapidement, faute de combattants : Valentin Glouchko décède dans un accident de laboratoire, en expérimentant son propre carburant lunaire.

En mars 1965, le programme dirigé par Korolev aboutit à la première sortie extra-véhiculaire en orbite autour de la Terre. Mais tout se joue vraiment un jour de janvier 1966. Korolev doit être opéré des polypes intestinaux. Il faut dire que l’homme est de santé fragile, après avoir été envoyé dans le pire goulag russe lors des purges staliniennes. L’opération est assez bénigne, mais au Kremlin, on se dit que l’on ne peut pas se permettre de perdre cet homme clé dans la course à la Lune. C’est le ministre de la médecine soviétique qui se charge donc de pratiquer l’opération.
Hélas, il n’a plus opéré depuis des années ! L’ablation du polype déclenche une hémorragie et Korolev est sur le point d’y passer. Un ami médecin est appelé en renfort, juste à temps. Korolev survit finalement et peut continuer à diriger le programme spatial russe, et le projet de vol habité qui se base, après remaniement, sur un scénario similaire à celui de la Nasa, à savoir le rendez-vous en orbite lunaire.

Comme cela a été décidé un an plus tôt, les premiers vols doivent avoir lieu en 1966 avec un atterrissage fin 1968. Et c’est un Russe, Alexeï Leonov, qui fait le premier pas sur la Lune le 21 décembre 1968. Avec cette phrase devenue célèbre : "Nous venons en paix et d’ici, nous ne voyons plus les frontières".

Aux États-Unis, on ne s’avoue pas battu, même après avoir atteint la Lune seulement six mois après les Russes : il faut entretenir le souvenir de JFK, assassiné 5 ans auparavant, et remporter cette “guerre”. Si l’orbite terrestre et la Lune ont été un échec, où peut-on encore arriver premier ? Sur planète Mars bien sûr ! Alors que le programme Apollo se poursuit jusqu’à sa conclusion, c’est-à-dire jusqu’à la vingtième mission lunaire, Mars devient donc le nouvel étendard affiché par les États-Unis pour affirmer leur puissance.

Vu le maintien des programmes spatiaux depuis les années 50, les technologies d’exploration de l’espace lointains continuent à se développer, se perfectionner, acquérir de la puissance. Avec ces mêmes technologies poussées plus loin, la capsule de type Apollo peut contenir non plus trois astronautes, mais six, la fusée Saturn V est modifiée en Saturn 6 encore plus grande et plus puissante… Le 3 août 1985, le drapeau étoilé est planté sur la planète rouge. La victoire est désormais américaine, dans cette guerre froide qui se prolonge. Pour l’URSS, c’est un peu le coup de grâce, pour un régime qui agonise. Le boost politique apporté par la victoire lunaire est oublié depuis longtemps. Le régime soviétique, portant en lui les germes de sa propre destruction, disparaît à l’aube des années 90.
Merci à Pierre-Emmanuel Paulis, auteur de "La Conquête de l'espace" (Casterman) et à Vladimir Pletser, candidat astronaute belge et ancien ingénieur-physicien à l'Agence spatiale européenne.
Ce qui s'est réellement passé :
1957 1958 est déclarée année géophysique internationale.
1957 le 4 octobre 1957, le Spoutnik est le premier engin en orbite autour de la Terre, le 3 novembre, Laïka est le premier être vivant mis en orbite. L’effort américain est divisé et connaît des difficultés de lanceur.
1961 Gagarine est le premier homme à voler (en orbite) dans l’espace le 12 avril 1961. En mai Alan Shepard est le premier Américain dans l’espace avec un vol balistique. Le 25 mai, Kennedy “promet la Lune”.
Début ‘60s Désaccords entre Korolev et Glouchko sur la voie technique à prendre pour aller sur la Lune et division des efforts.
1965. Première sortie extra-véhiculaire par Leonov, sous l’égide de Korolev. Leonov sera l’astronaute pressenti pour un alunissage prévu alors pour fin 1968.
1966 Mort de Korolev, maître à penser du programme spatial russe, dans une opération réalisée par le ministre de la médecine. Son ami médecin appelé en renfort, arrive trop tard. Les ingénieurs dévieront ensuite de sa ligne.
Mi-1968 Survol du pas de tir de Baïkonour par des espions US, la vue de la fusée N1 pousse les Américains à accélérer et faire le tour de la lune avec Apollo 8.
1969 : Nombreux échecs des fusées russes, premier Homme (un Américain) sur la Lune.
1973-74 Nixon coupe les budgets des programmes Apollo. La Nasa bifurque vers le programme du Shuttle. La Russie envoie des missions automatiques vers la Lune et Mars après 1969.
1989. Mort de Valentin Glouchko à plus de 80 ans.
2019. La Nasa promet le retour sur la Lune en 2024 et le premier homme sur Mars en 2033.
Ambiance : A Cap Carnaveral en Floride, en ce moment, "c'est la fête partout"
Dans les alentours du Kennedy Space Center, à Cap Carnaveral en Floride, d’où a décollé il y a pile 50 ans le premier équipage qui a marché sur la Lune, en ce moment, “c’est la fête partout”, raconte Pierre-Emmanuel Paulis, auteur belge spécialiste de l’espace. “On croise des astronautes à tous les coins de rue ! Dans la rue, les magasins, il y a plein de gens avec des tee-shirts Apollo 11. Comme à l’époque, il y a des enseignes lumineuses Apollo 11 le long de la route. Mais parmi les touristes, il y a plus d’Américains que d’Européens. Ils sont très fiers d’Apollo !”

Le16 juillet, Pierre-Emmanuel, qui s’est pris de passion pour l’espace à 5 ans lors du premier pas de l’homme sur la Lune s’est rendu à exactement à 9 heures 32 à Cocoa Beach, non loin du site de la Nasa. “A l’heure pile du décollage de la Saturn V, 50 après. Là, la plage était vide, mais c’est là que les gens se sont rassemblés pour voir le décollage d’Apollo. À l’époque, on pouvait aller sur les plages avec les mobile-homes et les voitures. Il y a des photos avec des milliers de mobile-homes alignés le long des vagues avec les gens sur les toits pour assister au décollage…”

Le Belge sera de retour sur la plage sur le 21, le jour de l’alunissage, pour assister à un lancement d’une fusée Space X. Entre-temps, il a aussi pu assister au gala de la fondation des enfants de Buzz Aldrin, en l’absence de celui-ci, mais en présence de personnalités dont Michael Collins, l’astronaute resté en orbite lors d’Apollo 11 ou encore du fils de Neil Armstrong, qui joue à présent… dans un groupe de rock. “On était installés, à table, sous la Saturn V, dans le Kennedy Space Center. C’était magique !” C’est grâce son métier d’auteur et ses relations dans le domaine que Pierre-Emmanuel a pu assister à ce dîner de 200 personnes triées sur le volet. Et ce sont aussi ces rencontres qui nourrissent ses ouvrages.

Comme cette anecdote racontée Michael Collins au gala, qui a confié avoir parié avec Amstrong un casier de bières que les trois astronautes seraient dans un position droite en se posant au retour de la Lune dans l’océan pacifique. Raté : la capsule était retournée et ils pendouillaient dans leur harnais, la tête en bas. “Cela a été le plus mauvais moment de ma vie, j’ai dû payer ce casier à Neil Amstrong”, a raconté Michael Collins sous les rires de l'assistance.