Réchauffement climatique, chute de la biodiversité... Et si on déménageait sur Mars ?
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Publié le 28-09-2019 à 14h36 - Mis à jour le 30-09-2019 à 15h50
C'est le célèbre astrophysicien Stephen Hawking qui l’affirmait : l’humanité n’a plus qu’une centaine d’années à vivre. La solution pour survivre, selon lui : que l’homme devienne une espèce multi-planétaire. Il n’est pas le seul à le penser. L’entrepreneur Elon Musk souhaite, après avoir établi une base dans la décennie, faire de Mars une colonie, une “cité prospère” et “une civilisation autonome”. Quant à l’ancien chef de la Nasa Charles Bolden, il assurait en 2014 que nous étions dépendant de la planète Terre et que “seule une espèce multi-planètes pourrait survivre sur une longue période de temps”.
La meilleure candidate
“Réchauffement climatique, chute de la biodiversité… (...) Cela va désormais de travers sur Terre. Ce sombre tableau incite certains à rechercher une planète de rechange et Mars apparaît à l’évidence comme la meilleure candidates”, constate l’exobiologiste André Brack, auteur de "Mars, notre passé et notre avenir" (HumenSciences), qui vient de paraître.
L’idée de base est de rendre vivable la planète rouge, trop froide, aride et dotée d’une atmosphère trop fine pour les humains. La terraformation d’une planète est le processus imaginé pour modifier son atmosphère et sa température afin de les rapprocher de celles de la Terre et de les rendre habitable. Le terme figura d’abord dans la science-fiction et le premier scientifique à étudier la question fut Carl Sagan (1934-1996), célèbre astronome américain. Il proposait d’ensemencer les calottes polaires avec des plantes sombres, modifiées génétiquement pour survivre au rude climat de Mars. Les calottes ainsi assombries fondent, libérant le CO2. Celui-ci contribue à l’effet de serre. En quantité suffisante,le CO2 rend possible une hausse des températures, de l’eau à l’état liquide, une atmosphère dense et chaude adaptée aux organismes.
Enthousiasme douché. D’autres chercheurs se sont penchés sur le problème au cours du temps. Mais une étude de 2018, soutenue par la Nasa, est venue doucher l’enthousiasme. Le but était de savoir s’il était possible de mobiliser assez de gaz potentiellement présents sur Mars pour la survie des plantes et des humains. Après l’estimation des volatiles disponibles grâce à des sondes, les résultats suggèrent qu’il n’y a pas de CO2 suffisant pour créer un effet de serre, et que ces réservoirs de CO2 sont en outre difficilement accessibles et mobilisables. Elon Musk, lui, y croit toujours. Il vient de (re) proposer de lancer des bombes nucléaires sur Mars pour faire fondre les calottes et causer ce fameux effet de serre…

L'idée de la planète B ne fait pas l'unanimité
Dans une nouvelle étude, des chercheurs d’Harvard proposent plutôt une terraformation localisée dans des “îlots” et affirment qu’une épaisseur de deux à trois centimètres d’un aérogel (gel où le composant liquide est remplacé par un gaz) de silice permettrait de créer des espaces protégés du rayonnement ultraviolet et laissant filtrer assez de lumière pour élever les température à la surface.
Mais beaucoup de scientifiques s’étranglent face à cette idée de “planète B” : “Si on n’a pas appris à bien se comporter vis-à-vis de la Terre, ici, qu’est-ce qu’on va faire quand on ira ailleurs ?, nous disait l’astrophysicien Hubert Reeves. Je n’y crois absolument pas. Ce n’est pas une solution. Il faut qu’on résolve nos problèmes à la maison. Si on n’arrive pas à vivre avec notre intelligence, à contrôler le profit immédiat, qu’est-ce qui va se passer après ? C’est une question de gestion de la planète, dans le sens du développement durable. Oui, je trouve que c’est fascinant d’explorer les autres planètes. Mais je ne crois pas que cela sauvera l’humanité. Il n’y a aucun rapport entre ça et les problèmes qui se posent à nous. Même si on allait sur Mars, après peu de temps, on ferait comme ici ! On ne voit pas pourquoi les voyageurs qui iraient là-bas se mettraient à se comporter autrement…” De son côté, l'astronaute français Thomas Pesquet répondait récemment, à la question : sauver la planète ou en trouver une autre : "La sauver. Les gens qui vendent une colonie sur Mars dans 5, 10 ans ou même 20 ans, ce n'est pas vrai, ce sont des gens qui ont quelque chose à y gagner. (...). On ne peut pas déplacer l'humanité sur une autre planète."
"Mars aux Martiens"
D'autant, que selon l'exobiologiste André Brack, la terraformation de Mars n'est pas qu'une problématique scientifique. "Elle pose aussi de nombreuses questions éthiques.(...) Première interrogation: a-t-on le droit de conquérir Mars si la planète est déjà habitée par des microorganismes ?" Réponse catégorique de Carl Sagan: "S'il y a de la vie sur Mars, nous devrions tout faire pour ne pas perturber cette vie. Mars appartient aux Martiens même si ce sont des microbes."
D'autres ont des réponses plus nuancées, comme le planétologue américain Christopher McKay, qui envisage trois possibilités : laisser Mars tranquille sans changer la vie qui l'habite, modifier Mars pour favoriser son propre développement biologique, et enfin prélever des échantillons de toute vie martienne et les stocker dans des biobanques avant d'envahir la planète. "Les deux premières options excluent toute terraformation, commente André Brack. La deuxième, tout en constitutant une ingérence manifeste, présenterait un intérêt scientifique énorme en permettant l'étude du développement d'une deuxième biosphère. La troisième enfin, la seule à impliquer la terraformation, serait contraire à l'éthique et empêcherait l'étude passionnante d'un deuxième type de vie".
Robert Thirsk, astronaute : “Pour l’humanité, la Terre est juste un berceau. Il faut coloniser Mars”
Robert Thirsk est un astronaute canadien, qui a notamment pris part à une mission sur la Station spatiale internationale, en compagnie du Belge Frank De Winne. Désormais, il conseille l’agence spatiale canadienne sur les futurs voyages spatiaux. Il défend ardemment l’idée d’une mission vers Mars et en particulier sa colonisation. Nous l’avons interrogé lors de son passage à Bruxelles, il y a quelques semaines.
Pourquoi aller sur Mars ?
Tout d’abord, de manière générale, je veux dire que nous avons besoin d’investir dans la science, dans des objectifs presque impossibles. Dans les années 60, John Kennedy a dit que nous irions sur la Lune et retour, dans la décennie. À l’époque, aux États-Unis, juste une personne avait été dans l’espace, pour 15 minutes. Mais il a convaincu les gens qu’il était visionnaire. Et les Etats-Unis l’ont financé et cela s’est réalisé. Nous avons besoin d’objectif presque impossible aujourd’hui. Nous avons besoin de vision audacieuse. Moi, comme citoyen, je ne veux pas être impliqué dans des projets qui sont certains. Je veux avoir des projets avec cinquante pour cent de succès. Je veux utiliser mon énergie, mes compétences, pour le faire !
Et pour la planète rouge en particulier ?
Nous allons retourner sur la Lune (la Nasa prévoit d’y atterrir en 2024, NdlR), mais l’objectif final n’est pas la Lune, c’est Mars. Nous voulons aller sur Mars, pour comprendre si la vie a existé sur cette planète, ou pas. Nous voulons comprendre l’histoire de cette planète, parce que nous pensons que l’histoire de la planète Mars et celle de la planète Terre sont très similaires. Et en trois, nous voulons aller sur Mars pour voir si ou non, cela pourrait être une colonie pour l’humanité dans le futur. La Terre est juste un berceau pour l’humanité, cette humanité qui a besoin d’habiter le système solaire interne (du Soleil à Jupiter, NldR). Nos petits-enfants, eux, feront même des voyages “interstellaires”. En tant qu’espèce survivante, cela vaut le coup de satisfaire notre soif de découverte, de curiosité, d’exploration. Je pense que c’est pour cela qu’il faut aller sur Mars. Nous ne sommes pas prêts à y aller, pour diverses raisons : les radiations, la propulsion, le support-vie, la gravité, l’isolation… La Lune n’est qu’à trois jours. Si quelqu’un a l’appendicite, on peut retourner sur Terre ! On doit développer des systèmes et des approches fiables, avant que nous soyons prêts pour aller sur Mars. Ce qui est probablement pour dans 15 ans.
Et pour la colonie ? Une centaine d’années ?
Je ne pense pas que je le verrai (Robert Thirsk est né en 1953, NdlR) mais un trentenaire actuel pourra le voir.
Mais que fait-on avec la Terre si on a une colonie sur Mars ? On la laisse derrière ?
Cette colonie sera petite. Et la Terre est notre maison. On doit être des meilleurs intendants de la Terre, s’attaquer au problème du changement climatique. Depuis la station spatiale internationale, on voit la beauté de la Terre, mais vous comprenez aussi que la vie est fragile, vulnérable, que les ressources sont en tension. Actuellement, nous sommes 7 milliards de personnes. Mon impression, depuis l’ISS, c’est que la Terre ne pourra pas supporter plus de 7 milliards de personnes. La croissance de population explose. D’ici 2050, on aura une population de 10 milliards. Donc, nous devons attaquer le problème de la surpopulation, de la pauvreté, de l’inégalité, pour que ce soit ‘durable’ d’être sur Terre.
Qui irait sur Mars ? Les gens qui pourraient se le payer ?
Non ! Vous, par exemple ! Initialement, ceux qui iront seront les scientifiques (astrophysiciens, géologues…). En tant qu’astronaute, vous devez être habitué à des conditions drastiques. Ce serait inconfortable, ce ne sera clairement pas un hôtel cinq étoiles, vous devrez avoir une attitude “je peux le faire”. Comme dans le film “Seul sur Mars”.
Donc, vous ne voyez pas cette colonie pour les “gens normaux”, mais pour les astronautes/scientifiques ?
Il y a un autre problème. Notre ambition, c’est dans des centaines d’années d’ici, de rendre, avec la terraformation (lire ci-contre), Mars habitable, pour la vie. La vie humaine, végétale, animale… On ne peut pas faire cela tout de suite. On ne peut pas contaminer l’environnement martien, on doit d’abord l’étudier. Je pense que pour la première centaine d’années, la colonie sera toute petite car on ne peut pas contaminer la planète. Ce sera une poignée de gens. Dix-vingt personnes. Mais après que les études géologiques sont faites, dans deux à trois cents ans, j’espère que nous pourrons faire ressembler Mars à la Terre, donc faire de la terraformation. Et qu’on pourra alors avoir des millions de gens ordinaires là-bas. Mais pas dans notre vie à nous. Mars va rester un habitat isolé dans les décennies à venir.
