Sous la montagne du Jura, des Belges tentent de percer les mystères de l'Univers
Plus de 200 Belges travaillent au ou avec le Cern, à cent mètres sous la terre franco-suisse. Le plus grand accélérateur de particules au monde et ses détecteurs connaissent actuellement un lifting. Reportage et rencontres avec ceux qui veulent percer les mystères de l’Univers.
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- Publié le 09-02-2020 à 11h58
- Mis à jour le 10-02-2020 à 10h37
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Plus de 200 Belges travaillent au ou avec le Cern, à cent mètres sous la terre franco-suisse. Le plus grand accélérateur de particules au monde et ses détecteurs connaissent actuellement un lifting. Reportage et rencontres avec ceux qui veulent percer les mystères de l’Univers.
Avec les montagnes du Jura au sommet enneigé en toile de fond, et sous un ciel bleu pur, le drapeau belge flotte sur l’esplanade des Particules. Toutes les rues avoisinantes portent d’ailleurs des noms de savant ou en lien avec la science. Nous sommes ici au cœur d’une véritable mini-ville dédié à la recherche scientifique, située dans les environs de Genève et construite littéralement au-dessus de la frontière franco-suisse. Et si le Cern, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire, dont la Belgique est un des 12 Etats-fondateurs – d’où le drapeau -, comprend des restaurants, un hôtel, une caserne de pompiers, une supérette et même une crèche, en plus de tas de bâtiments administratifs et de bureaux, tout se passe en fait… sous la surface.
À cent mètres sous terre, se trouve ce qui est considéré comme la plus grande construction érigée dans un but expérimental : le plus puissant accélérateur de particules du monde, le grand collisionneur de hadrons (LHC) – “hadron, c’est le mot chic pour proton”, glisse une scientifique du lieu. Le but : faire se percuter des particules entre elles pour mieux connaître ou même découvrir ces plus petits constituants de la nature.
Deux étages et 100 mètres de descente
L’endroit pour arriver à ce LHC, ne paye pourtant pas de mine, un simple bâtiment de tôle peint en vert. C’est après que l’on a pénétré dans ce “hangar” que les choses se corsent : ici, pour descendre vers les installations souterraines, tous les membres du Cern doivent porter au cou un dosimètre, qui sert de badge pour leur permettre d’ouvrir les sas pour descendre, mais enregistre aussi leur exposition aux rayonnements. À l’intérieur du sas, un scan rétinien contrôle leur identité, avant que la seconde porte ne s’ouvre. Ne reste plus alors qu’à prendre le grand ascenseur, pour descendre au niveau du collisionneur lui-même. Comme le Belge Jean-Philippe Tock, ingénieur au Cern et ses collègues qui nous accueillent aiment à dire avant d’appuyer sur le bouton, “il n’y a que deux étages, sauf que le deuxième se trouve à cent mètres sous terre !”

À la sortie, on débouche sur un tunnel, bordé d’un côté par tout une variété de tuyaux, et de l’autre côté, par un petit “trottoir”, où nous croisons quelques employés du Cern, casqués, en train de circuler. À pied, mais aussi pour beaucoup… en vélo ! Et ceux-ci sont bien utiles, car ce tunnel de trois mètres de diamètres se poursuit ainsi sur… 27 kilomètres. Au fil de ces kilomètres qui suivent une forme d’anneau, les tuyaux peuvent changer d’apparence – bleu, blanc, hérissés de fils ou parfois laissant apparaître deux tubes métalliques nus parallèles, reposant sur des pieds à environ un mètre du sol.
Onze mille fois par seconde le tour de l'anneau
C’est dans ces tubes étroits que circulent habituellement les particules, quasi à la vitesse de la lumière (ils font 11 000 fois par seconde le tour de l’anneau), dans un vide très poussé, accélérées à certains endroits par des impulsions électriques et guidées par un champ magnétique généré par des aimants. Les gros “tuyaux bleus” sont par exemple au nombre de 1232, pèsent chacun 30 tonnes et sont des aimants dipolaires. “Ces dipôles servent à courber la trajectoire des protons pour qu’ils suivent un cercle, explique casque sur la tête Jean-Philippe Tock, responsable des départements “aimants” au Cern. D’ailleurs, on voit là-bas le début de la courbure de l’accélérateur, poursuit-il, montrant le tunnel qui s’incurve. Une des avantages de l’anneau par rapport à la ligne droite ? Ce n’est pas un one-shot, les particules peuvent tourner des heures en cercle.
“Dans l’accélérateur, il y a deux faisceaux de protons qui circulent dans un sens opposé, reprend Jean-Philippe Tock. Ces protons entrent en collision au centre des détecteurs. Ces détecteurs sont des sortes d’appareils photographiques qui analysent ces collisions. Ensuite, ces analyses permettent aux physiciens de comparer les résultats avec leur modèle et de valider ou d’invalider leurs théories.”
L’un des quatre “appareils photographiques” du LHC, c’est le détecteur CMS ou le Compact Muon Solenoid, accessible depuis un autre des huit points d’accès au LHC, à quelques kilomètres de là. Il n’a de “compact” que le nom. Aux yeux du profane, le CMS apparaît comme une gigantesque “roue” métallique et hérissée de fils, dans lequel s’apprête à s’insérer un immense nez, tout aussi métallique et parcourus de câbles colorés. C’est en fait un aimant cylindrique de 14 000 tonnes, de 15 mètres de diamètre et 21 mètres de long, qui, disposé, à un endroit sur l’anneau de 27 kilomètres du LHC “intercepte” le faisceau de particules qui y circulent et enregistre la collision.
“Au sein du détecteur, les protons rentrent en collision 40 millions de fois par seconde. Par ces collisions, on essaye de produire de nouvelles particules, explique Christophe Delaere, physicien à l’UCLouvain, et maître de recherches FNRS, devant la “roue”. L’objectif général est de s’assurer que les lois de la physique que l’on a établi son correctes, mais aussi d’aller plus loin, d’établir une ‘nouvelle physique’: connaître le détail du mécanisme du boson de Brout-Englert-Higgs (que l’on a observé pour la première fois en 2012 avec le CMS), comprendre la matière noire… En effet, on connaît la matière qui nous entoure, depuis l’Antiquité : on a appris qu’elle était faite d’atomes : de protons, de neutrons d’électrons. Mais plus récemment, on s’est rendu compte que tout cela ne représentait qu’une petite partie de l’Univers et en étudiant les galaxies, la manière dont les étoiles se déplacent, qu’il y avait quelque chose d’autres, dont on ignore complètement la nature et qu’on a appelé la matière noire. Ce qu’on espère faire ici, lors de notre collision de protons, c’est avoir suffisamment d’énergie pour produire ces nouvelles particules et enregistrer ces nouvelles signatures dans le détecteur. On espère produire artificiellement ces particules (de matière noire) qui seraient dominantes dans le reste de l’Univers. […] Savoir quelles particules compose la matière noire, ce serait résoudre une énigme fondamentale de l’Univers.”
"On est guidés par notre intuition"
Le physicien belge vient au Cern une semaine par mois pour échanger des idées avec ses collègues et travailler au détecteur, en cours d’amélioration. Si 104 Belges travaillent au Cern comme membres du personnel, 112 (150 d'universités belges) sont aussi impliqués dans les expériences, dont 72 auprès du détecteur CMS. Les Belges ont participé à la construction de la pièce centrale, le trajectographe. “Ce que j’aime, c’est l’environnement international et la liberté de chercher, confie Gilles De Lentdecker, maître de recherches FNRS, physicien de l’ULB qui travaille lui aussi sur l’instrumentation et à la future nouvelle version du CMS. On a bien sûr des budgets limités, mais on ne doit pas produire quelque chose pour que ce soit rentable, mais parce qu’on est guidés par notre intuition. On essaye, on développe quelque chose de nouveau, on pousse les technologies dans des limites que l’industrie ne ferait pas car il n’y a pas d’intérêt pour elle.” Son laboratoire a ainsi conçu – “c’est de l’artisanat” – un circuit informatique qui permet de sélectionner les collisions du CMS les plus intéressantes à conserver à l’aide de l’intelligence artificielle – on ne peut en effet “enregistrer” toutes les collisions du Cern car il y en aurait bien trop ! Les centres de stockage et traitement des données des collisions du Cern sont d’ailleurs répartis un peu partout sur la planète et deux se trouvent en Belgique, à l’ULB/VUB et l’UCLouvain.

L’heure est en tout cas au chantier. Le CMS, les autres détecteurs et le LHC sont pour l’instant en arrêt pour des travaux d’entretien et d’amélioration – ce qui permet d’ailleurs aux visiteurs d’approcher les expériences au plus près alors que d’habitude personne n’y descend – depuis décembre 2018. Il doit rouvrir progressivement à partir de la fin de cette année. L’énergie des protons sera augmentée, ainsi que la luminosité, ce qui augmentera le nombre de collisions et donc le potentiel de découvertes au Cern, espèrent ses responsables.
Pourquoi sous terre ?
Pourquoi les infrastructures du Cern sont-elles sous terre ? Outre moins occuper de “terrain” puisque les activité humaines se poursuivent au-dessus,” en surface, on aurait les rayons cosmiques qui nous tombent dessus et ces particules ferait du bruit de fond dans notre détecteur, répond la physicienne Fabienne Ledroit. Et par sécurité : avec des protons, des ions lourds, il y peut y avoir des radiations, si il y a un accident, il ne faut pas que ça tombe sur la société. Ici, cela irait dans la terre. Car en cas de perte de faisceau, ça nous brûlerait. Un faisceau de particules du LHC, cela traverse un bloc d’acier ! ”
Un incubateur pour start-up avec les technologies du Cern en Belgique
La Belgique fait partie des 12 Etats fondateurs du Cern en 1953. Pour la secrétaire générale du FNRS (Fonds national de la recherche scientifique), Véronique Halloin, déléguée de la Belgique au Cern, la décision de l’époque “reste pertinente et d’actualité. Car il y a différentes types de retombées.” Scientifiques, entre autres : “Le but est de résoudre des mystères qui restent dans l’Univers, et la Belgique a une tradition de physicien de grands niveaux.” Il y a également des retombées technologiques, “car on est dans les extrêmes à tout niveau : températures, pression, vitesse, de l’informatique... Donc, cela permet énormément de progrès.”

Par ailleurs, le Cern a une politique d’achat par marché public de “juste retour”. Les dépenses dans un Etat membre équivalent à sa contribution au budget du Cern. La contribution annuelle belge (Etat fédéral) est de 30 millions d’euros, soit 2, 7 % (le FNRS finance de son côté chaque année pour 7 millions des projets de chercheurs belges en lien avec le Cern). Enfin il existe un projet en Belgique de création d’un “hub”, d’un incubateur Cern pour start-up. “Il y a déjà plusieurs réunions pour voir comment on pourrait procéder. L’idée est que les pays membres peuvent avoir accès librement aux technologies développées par le Cern. Il y aurait des projets introduits par des start-up, et qui seraient labellisés par le Cern. Les start-up pourraient mettre en évidence que les produits qu’elles développent sont basées sur les technologies du Cern. Ces technologies ont déjà, par exemple, donné des applications en imagerie médicale.” Le Cern souhaite un interlocuteur central, mais il pourrait y avoir différentes antennes edans les Régions. Celles-ci devront dégager de l’argent pour le salaire d’une personne. D’ici six mois, une solution pratique pourrait être trouvée.