Exploration humaine de Mars : “ce n'est pas la planète B de la Terre. Le faire croire est criminel”
Sur son sol, et en orbite, Mars a accueilli une quarantaine de missions - dont environ la moitié couronnée de succès -. A quand les humains? On en est vraiment loin. Même si les missions telles que Perseverance préparent en quelque sorte le terrain.
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Publié le 14-07-2020 à 07h08 - Mis à jour le 14-07-2020 à 16h38
Mars a été la destination d’une quarantaine de missions, dont environ la moitié couronnée de succès. A quand des humains sur son sol? On en est vraiment loin. Même si les missions telles Perserverance préparent en quelque sorte le terrain. “Tout ce qui améliore la connaissance de Mars prépare l’arrivée de l’homme sur Mars, entame Michel Viso, l’exobiologiste du Cnes (agence spatiale française). Pour les missions habitées, il faut connaître le vent, la température, la poussière, les niveaux de radiation, les risques que cela peut provoquer... Et sur le rover Perseverance, il y a en outre une expérience pour évaluer une technique qui pourrait être utilisé par les humains sur Mars. Il s’agit d’une technique de production d’oxygène à partir du gaz carbonique martien. Il faut savoir que l’atmosphère martienne est faite à 96 % de gaz carbonique...”
L’expert de l’agence spatiale française ne voit pas l’arrivée de l’homme sur Mars avant 2040. Même si cela reste un objectif des agences spatiales mondiales. “C’est un objectif à long terme, qui n’est pas forcément concrétisé dans une ligne budgétaire, avec une échéance. C’est plus une intention qu’un objectif, en fait. Elles se préparent à cela, mais l’approche est très progressive.” Le prochain grand but est en effet le retour sur la Lune, via une station autour de la lune, puis une base permanente. Les dates avancées sont 2024 ou 2028. “L’argument qui est donné, c’est qu’en renvoyant des hommes sur la Lune, on va préparer et valider des technologies dont certaines sont utilisables pour aller sur Mars : techniques de rendez-vous, télécommunications, navigation, techniques d’atterrissage de précision... Sur le plan technique, ça va aider et il y aura aussi un travail collectif d’organisation entre les différentes nations qui se donnent cet objectif”, estime Michel Viso.
“Directement vers Mars”
Pour l’ancien ingénieur de l’Esa Vladimir Pletser, membre de la Mars Society, “c’est un jeu à somme nulle : il y a une certaine quantité d’argent disponible pour une période de plusieurs années. Si on utilise d’abord cet argent pour construire une base lunaire, cela retarde d’autant les efforts vers Mars. Est-ce un bon ou un mauvais choix ? Je l’ignore. Il est fait ! Mais moi, j’aurais été directement vers Mars !” Les exigences pour Mars et la Lune sont en tous cas très différentes : “avec Mars, on n’a pas de proximité directe, de vision directe, souligne Vladimir Pletser. Pour la Lune, à 384 000 km, il y a un délai de communication aller-retour d’à peu près deux secondes, pour Mars (400 millions de km au plus éloigné), c’est 40 minutes. Le signal radio met 20 minutes à arriver et si la sonde répond, le signal remet 20 minutes à revenir. Les grands problèmes qu’on y voit : l’atmosphère est irrespirable, il n’y a pas de champ magnétique et il n’y a rien pour arrêter les rayonnements cosmiques. L’équipage risque de ne pas y survivre. Il faut des blindages épais: plomb, eau... Ou aller creuser ou utiliser les trous naturels... Il y a encore beaucoup de risques pour lesquels on n’a pas de solutions toutes faites. Pour l’atterrissage sur Mars, technique très compliquée, ce n’est pas dominé à 100 % non plus. ”
“Pour aller sur la Lune, on peut mettre les gens dans un espace très confiné car cela ne dure que quelques jours, pour aller sur Mars, cela dure 7 mois, on ne peut pas mettre les gens dans une boîte de conserve. Qui dit gros vaisseau, dit beaucoup d’énergie, énumère de son côté Michel Viso. Et en cas de problème, il faut pouvoir les régler, on ne peut pas revenir en arrière. Par ailleurs, avec le retour des échantillons, on va faire redécoller de Mars et mettre en orbite quelques kilogrammes. On est loin des tonnes qui sont nécessaires pour ramener des hommes de Mars. Sur place, il y a aussi le problème de l’eau, de l’énergie, de l’oxygène. Tout le monde pense qu’il y a moyen de retirer ces choses sur place, mais technologiquement, on n’est pas encore capable de le faire. Il y a encore d’énormes problèmes à régler. Actuellement, les scientifiques et les ingénieurs travaillent à combler les lacunes et le manque de connaissances pour amener et ramener des hommes sains et sauf sur et de Mars.”

Pas avant 20 ans
Et pour combler ces lacunes, “il faudra, à mon avis, au moins 20 ans, poursuit Michel Viso. Sans compter les problèmes financiers et politiques. Ce serait soit une mission américaine, soit internationale menée par la Nasa qui essaierait de fédérer les agences spatiales du monde entier (dont l’agence spatiale européenne), pour une mission extrêmement lourde financièrement. L’Australie, le Japon, tous pays qui essayent d’avoir une activité de vol habité autonome (Inde) ou qui l’ont déjà comme les Russes sont de bons candidats à rejoindre l’effort. Peut-être même la Chine un jour…” “Parce que Mars est là”
Mais, pourquoi y aller, au fond ? “Il n’y a aucune raison !, s’amuse d’abord Michel Viso. Parce que Mars est là. Mars est la limite ultime que l’homme peut envisager d’explorer physiquement. Pourquoi monter sur le Mont-Blanc ? Parce que c’est le Mont Blanc et qu’il est là. Mais Mars n’est pas la planète B de la Terre. Le faire croire est criminel. On peut faire une exploration de Mars, on peut faire éventuellement une base permanente, avec des équipages qui se relayent comme pour l’Antarctique. Mais il n’y a qu’un seul vaisseau spatial pour la biodiversité terrestre, dont l’homme est une infime partie, c’est la Terre. Il n’y a aucune raison de quitter un endroit où il y a tout, pour un endroit où il n’y a rien ! C’est ce que dit Elon Musk, pourtant, et personne ne le contredit. Il faut arrêter de regarder ces fantasmes transhumanistes américains avec un oeil énamouré. L’exploration de nos limites nous apprends des milliers de choses importantes ou fondamentales, mais in fine, il faut s’occuper surtout et toujours de la Terre !” D’autant, rappelle Vladimir Pletser, que technologiquement, les promesses martiennes d’Elon Musk sont loin de pouvoir être remplies. “On en sourit. Et envoyer deux hommes à 400 km d’altitude sur la station spatiale, ce n’est pas à 400 millions de km comme Mars.”