Qu'est-ce que le nitrate d’ammonium, le produit suspecté d’être à l’origine de l’explosion de Beyrouth?
Axel Coussement, chercheur à l’École polytechnique de l’Université libre de Bruxelles, nous explique les propriétés de cette substance. Entretien.
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- Publié le 05-08-2020 à 19h31
- Mis à jour le 05-08-2020 à 22h20
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Suspecté d’être à l’origine de l’explosion qui a dévasté le port et la ville de Beyrouth, le nitrate d’ammonium est couramment employé depuis des décennies, notamment dans les engrais azotés utilisés pour fertiliser les cultures.
Chercheur à l’École polytechnique de l’Université libre de Bruxelles, Axel Coussement nous éclaire sur les spécificités de ce produit.
Qu’est-ce que le nitrate d’ammonium et à quoi sert-il le plus couramment ?
En gros, c’est le résultat d’une réaction chimique produite à partir d’ammoniac associé à de l’azote et de l’oxygène. Cela donne des sortes de cristaux qui ressemblent à du sel. On s’en sert principalement comme composant de base des engrais agricoles. Il peut être utilisé comme tel ou légèrement dilué avec d’autres adjuvants.
À l’origine, on s’en servait pour produire des explosifs. On trouvait ainsi du nitrate d’ammonium dans les bombes utilisées lors de la Première Guerre mondiale. Il était également utilisé par l’industrie minière car c’est assez facile à fabriquer. Depuis, il a été remplacé par des substances un peu plus efficaces et plus sûres en termes de manipulation. Il peut également être utilisé par des groupes terroristes, qui aiment bien se baser sur ce produit parce qu’il est assez facile de créer une bombe puissante en le mélangeant avec du diesel.
Il existe, par ailleurs, certaines applications plus spécifiques dans l’aérospatial, notamment pour produire du combustible solide pour fusée. Mais c’est très marginal.
Quelle est sa dangerosité ?
En soi, c’est une substance stable et assez safe, ce n’est pas en tant que tel un bâton de dynamite. Le problème vient de la présence d’ammoniac, qui est un combustible. En l’associant à l’azote et l’oxygène, on se retrouve avec un produit qui comporte en son sein un combustible et un comburant. Si on l’expose à une température assez élevée, grosso modo au-delà de 300 degrés, une réaction chimique va s’enclencher. Celle-ci va décomposer ce mélange solide en différents gaz. Cela marche un peu comme un airbag, on a une petite pastille qui va produire un gros volume de gaz et ce volume de gaz doit bien aller quelque part. Il finit par exploser et cela crée une onde de choc qui va se propager à la vitesse du son. Ce souffle va ensuite comprimer de l’air qui est soumis à de hautes températures et de hautes pressions. C’est cela qui a l’effet destructeur sur les bâtiments, en fait.
Quand ce genre de phénomène se produit, toutes les particules de nitrate d’ammonium qui n’ont pas forcément réagi au départ se trouvent dans des conditions pour le faire sous l’effet de la hausse de température et de pression. Cela fait en quelque sorte un effet boule de neige, déclenchant des explosions en cascade.
Dans le cas présent, sous réserve de confirmation, on peut penser que c’est une explosion et un incendie qui ont eu lieu à côté du site qui ont déclenché ce drame. Dans d’autres cas, un court-circuit peut aussi être à l’origine de ce genre d’accident, il faut toujours une source de chaleur importante.
Quelles sont les conditions nécessaires pour que ce produit soit stocké en toute sécurité ?
Les règles et contrôles en place varient en fonction des pays, notamment en ce qui concerne les quantités maximales qui peuvent être stockées.
On sait que c’est un produit qu’il faut éviter de mettre dans des réservoirs en cuivre ou en plomb car cela peut les oxyder. Ça les "bouffe" littéralement. Pour le reste, les principes de base sont de le stocker dans un endroit ventilé, fermé, à l’abri de l’humidité et de toute source de chaleur.
Les gaz et les fumées émis par cette explosion sont-ils toxiques ?
Les gaz en soi, s’ils brûlent correctement, émettent de l’azote, de l’eau et de l’oxygène. Rien de bien méchant, puisque ce sont les composants que l’on trouve dans l’air que nous respirons.
Par contre, si cela brûle mal, on peut se retrouver avec des émanations d’ammoniac qui sont très irritantes et nocives pour les bronches, et avec de l’oxyde d’azote, nocif également. Le résultat de ces combustions peut donner une couleur orangée telle que décrite par certaines personnes à Beyrouth.
Il faut aussi voir ce qu’il y avait dans ces stocks, peut-être le nitrate d’ammonium était-il mélangé à d’autres substances. On pourrait alors se retrouver avec des cocktails toxiques.