Au fond des océans, la vie presque éternelle
Mal connus, les sédiments marins regorgent de microorganismes. Une nouvelle étude montre que ces microbes repoussent les limites du périmètre que nous attribuons à ce qu’est une forme de vie.
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Publié le 11-08-2020 à 17h27 - Mis à jour le 11-08-2020 à 20h31
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La plupart d’entre nous ignorons jusqu’à leur existence alors qu’ils constituent une partie non négligeable des organismes vivants qui peuplent notre planète. “Ils”, ce sont les microorganismes présents dans les sédiments marins. Découvertes pour la première fois lors de travaux scientifiques réalisés à la fin des années 80, ces cellules minuscules qui jouent un rôle essentiel dans le cycle du carbone et le climat terrestre sont encore très loin d’avoir livré tous leurs secrets.
Publiée jeudi dernier dans la revue Science Advances, une étude à laquelle a contribué la Pr Sandra Arndt, chercheuse au Service biogéochimie et modélisation du système terre de l’ULB, vient de lever un nouveau coin du voile. En se basant sur des échantillons de sédiments marins collectés aux quatre coins de la planète (de 200 à 3000 mètres de profondeur) et sur les travaux d’analyse réalisés par des milliers de chercheurs au cours des dernières décennies, ceux-ci sont parvenus à modéliser la biosphère contenue dans les sous-sols marins mondiaux. Ils ont ainsi dressé une “cartographie” globale de cette vie invisible profonde qui intègre notamment la distribution et la quantité de carbone et de vie microbienne qu’elle contient, ainsi que les processus biogéochimiques qui la régissent.
Des microbes “basse énergie”
Pour soutenir leur métabolisme, se développer et se reproduire, tous les êtres vivants ont besoin d’énergie fournie par les aliments qu’ils ingèrent. Les microorganismes dits hétérotrophes des fonds marins n’échappent pas à cette règle et puisent cette énergie dans la matière organique – cadavres de poissons, algues… – qui s’y dépose en permanence.
La consommation microbienne de cette matière organique recycle également les nutriments et les renvoie dans l’océan où ils vont soutenir la production primaire comme le plancton, complète Sandra Arndt.
Les auteurs de cette étude ont eu la surprise de découvrir que certains de ces microbes des abysses étaient capables de rester en vie en disposant d’une infime quantité d’énergie par rapport à ce que les scientifiques estimaient jusqu’ici. Survivre serait plus exact puisque les microorganismes en question n’existent que dans un état quasiment “végétatif” : ils ne grandissent pas, n’évoluent pas et ne se reproduisent pas (les microbes et les bactéries se reproduisent par division cellulaire). Le peu d’énergie qu’ils utilisent leur servant essentiellement à “réparer” leurs molécules défaillantes.
Quasiment immortels
Cette découverte peut paraître anodine, elle questionne pourtant les limites du périmètre que nous attribuons à ce qu’est une forme de vie.
“De tels microorganismes peuvent ‘vivre’ quasiment éternellement, explique la Pr Arndt. Nous disposons de nombreuses preuves indirectes (telles que des signatures géochimiques, etc.) qui montrent que ces microbes sont toujours actifs après avoir été enfouis pendant des centaines de millions d’années. Nous avons trouvé des preuves que des microorganismes présents à presque un kilomètre de profondeur dans une couche de sédiments se nourrissaient de matière organique qui s’y est déposée à l’époque où les dinosaures parcouraient encore la Terre. Récemment, une équipe de chercheurs a également pu faire 'revivre' de très vieux microorganismes extraits de sédiments profonds.”
Ces résultats confortent ainsi un peu plus l’hypothèse caressée par certains exobiologistes et astrophysiciens de découvrir de telles formes de vie primaire sous la surface glacée d’autres planètes, telle Mars.
En outre, ils permettront d’affiner encore la compréhension du cycle du carbone terrestre. “Les sédiments marins ne sont pas seulement le plus grand réservoir de carbone sur Terre, ce sont également le seul et unique puits de carbone à long terme sur la planète”, souligne Sandra Arndt. En se “nourrissant” d’une partie de ce carbone, les microorganismes qui habitent ces fonds marins jouent un rôle essentiel dans le contrôle de la concentration de CO2 et d’oxygène de l’atmosphère et donc sur l’évolution à long terme de notre climat.