De la vie sur Vénus ? "À ce stade, il est dangereux de sauter au plafond"
L’annonce faite par la Société royale d’astronomie de Londres sur la possible présence de vie dans l'atmosphère de Vénus provoque un débat animé dans la communauté scientifique.
Publié le 15-09-2020 à 17h59 - Mis à jour le 16-09-2020 à 10h16
Le lundi 14 septembre, des chercheurs ont déclaré avoir établi la présence de phosphine - un gaz synonyme de vie sur Terre - dans les couches nuageuses de Vénus. C'est la première fois que l'on découvre ce composé dans l'une des quatre planètes telluriques de notre système solaire, "la Terre mise à part", a dit à l'AFP Jane S. Greaves, professeure d'astronomie à l'Université de Cardiff, qui a dirigé l’étude. L’annonce a très vite eu un effet boule de neige, tant sur les réseaux sociaux que dans la communauté scientifique, qui est partagée entre excitation et scepticisme.

Alain Jorissen, professeur d’astrophysique et responsable de l’Institut d’Astronomie et d’Astrophysique à l’ULB est, lui, très clair. “C’est une piste très intéressante, c’est très prometteur, mais à ce stade, il est dangereux de sauter au plafond en disant ça y est on a découvert une trace de vie.”
Il est primordial selon lui de prendre cette annonce avec des pincettes. “Le problème c’est le traceur indirect, c’est-à-dire que l’on n’a pas trouvé l’organisme responsable de cette émission de phosphine”, explique-t-il. “C’est basé sur un modèle. On part du principe que toutes les causes abiotiques (qui ne font pas intervenir la vie, ndlr.) susceptibles de produire la molécule la produisent en quantité bien moindre que ce qu’ont observé les chercheurs. Et on suppose qu’on a exploré toutes les possibilités abiotiques sans en oublier aucune. À ce moment-là, en effet, si aucune source inorganique n’a été oubliée et si on fait confiance au modèle et aux analyses, on peut conclure que cette émission vient d’une source organique, c’est-à-dire d’un organisme vivant.”
Mais attention, ce n’est pas la première fois que l’on pense avoir trouvé une forme de vie sur une planète. Déjà en 1975, lors du lancement des sondes Viking vers Mars, un espoir similaire s’était formé dans la communauté scientifique suite à des expériences sur des échantillons de sol martien. “Les sondes Viking, arrivées sur Mars en 1976, avaient le même but : déterminer s’il y avait des métabolismes à la surface de mars. Les résultats initiaux indiquaient qu’effectivement, de la vie avait bien été détectée. Mais les trois résultats positifs ont fini par être contredits par un quatrième résultat négatif, qui n’arrivait pas à détecter la présence de molécules organiques dans le sol. Donc oui, il y avait présence de métabolisme, mais il n’y avait pas de molécules organiques. Curieux, non ?"
Cette découverte avait, elle aussi, fait couler beaucoup d'encre à l'époque, tant les premières trouvailles de l'expérience de la Nasa semblaient décisives. 44 ans plus tard, le consensus scientifique explique ces résultats non pas par de la vie, mais par des métabolismes issus de réactions chimiques de nature non biologique, dues à l’atmosphère de Mars. "Cette expérience montre les difficultés de penser à une modélisation complète dans des environnements inattendus. Ici aussi, les chimistes et les géologues n’ont peut-être pas pris en considération toutes les possibilités inorganiques dues à l’atmosphère de Vénus. Peut-être que ce n’est pas du métabolisme en lien avec des molécules organiques qu’ils ont détecté, mais des réactions de chimie minérale inconnues pour l'instant”, prévient le professeur.
Alain Jorissen s’interroge également sur d’autres aspects de la démonstration de l’équipe anglo-américaine. “Le deuxième écueil selon moi, c’est la détection elle-même. Le signal est très faible. Pourquoi n’a-t-on pas cherché d’autres raies de cette molécule ? Pourquoi une seule raie a-t-elle été détectée ? Mes collègues et moi sommes d’ailleurs tous étonnés qu’il n’y ait pas eu d’explorations à d’autres longueurs d’onde. Parce que c’est évident que quand on a un signal aussi prometteur, on va essayer de le confirmer à d’autres longueurs d’onde pour être certain qu’il n’y ait pas une perturbation par une autre molécule sulfurée par exemple.”
Le professeur, qui demeure très enthousiaste face à cette découverte, insiste sur le fait que "ça n'est pas une preuve irréfutable de vie”, faisant écho aux explications de l’équipe à l’origine de la découverte.

"Nous ne prétendons pas avoir trouvé de la vie sur Vénus. Nous affirmons que nous avons détecté du gaz phosphine, dont l'existence est un mystère : soit une réaction chimique inconnue, soit éventuellement la présence de vie", pouvait-on lire lors de la conférence de presse de la Société royale d'astronomie.
“La phosphine est en effet un traceur prometteur de la vie dans un milieu anaérobie (sans oxygène)”, poursuit le professeur. “C’est un premier pas très intéressant. À voir si des études ultérieures ou d’autres équipes vont avoir d’autres idées, qui vérifient si toutes les pistes inorganiques ont bien été exploitées, et surtout qui améliorent le signal de manière à avoir une meilleure détection.”
Selon lui, l’étape d’exploration s’avérera tout de même bien plus compliquée que sur Mars, à cause de l’acidité de Vénus. La sonde Venera, qui avait réussi en 1961 à se poser sur cette planète à l’atmosphère hostile, a maintenu ses instruments en marche pendant quelques heures avant d’être détruite par l’acide sulfurique environnant. Envoyer un objet métallique demandera donc de redoubler d’ingéniosité, ce qui n’a pas l’air de rebuter la Nasa, dont le patron Jim Bridenstine annonçait ce mardi 15 septembre “qu’il était temps de prioriser Vénus.”